Un sourire dans les décombres, tel un premier signe d’espoir après la catastrophe. Le 14 décembre 2024, une heure après le passage du cyclone Chido, le photographe Nayl Mtoubani sort de chez lui à Mtsapéré, son appareil photo à la main, pour immortaliser les scènes qui s’offrent à lui.

Devant sa caméra, une fille laisse échapper un sourire, malgré la destruction qui s’affiche derrière elle. La scène se répète un peu plus loin avec une femme assise au milieu des débris du restaurant La Renaissance, à Mamoudzou. « J’ai pris des photos car je voulais garder une trace de ce cyclone. Quand je suis sorti, j‘ai vu de la douleur, du chaos, mais aussi de l’espoir”, raconte Nayl Mtoubani. Quatre mois après, « chaque cliché est une histoire vraie, un moment suspendu ».
Du mercredi 16 au samedi 26 avril, ses photographies seront exposées à travers Mamoudzou, de Kawéni jusqu’à Tsoundzou, dans le cadre de l’exposition « Les artistes s’exposent », inaugurée ce mercredi à la mairie de la commune. Une quatrième édition, « spéciale Chido », intitulée « Mémoires du vent », organisée conjointement par la Ville de Mamoudzou et l’association Zangoma, qui compte « rendre hommage à la résilience, à la mémoire des vies perdues et à la force créatrice qui émerge après le passage du cyclone ».
Une exposition à ciel ouvert, « un message de résilience«
« Cette exposition est importante car tout le monde a été touché par Chido et faire une rétrospective cela peut aider les gens psychologiquement », continue Nayl Mtoubani, photographe indépendant depuis 2013. « Je suis content de pouvoir témoigner du cyclone à ma façon et de partager cette mémoire collective avec les habitants à travers mes photos ».

En plus des photographies, des récits visuels, des perspectives artistiques singulières et des œuvres réalisées par les écoles de la commune, seront exposées sur les murs des bâtiments publics, privés et des établissements culturels, à la vue de tous. « Le but est que la population regarde l’exposition sans avoir la volonté de la voir, qu’elle s’inscrit dans le quotidien », explique Yasmine Youssouf Thany, responsable du développement culturel à la Ville de Mamoudzou.
« C’est un symbole fort d’exposer à ciel ouvert après le cyclone, car les œuvres seront exposées sur des murs vaillants, qui n’ont pas été détruits, c’est un message de résilience », ajoute Fatima Ousseni, cofondatrice de l’association Zangoma, qui oeuvre dans les arts plastiques à Mayotte depuis 2003. « Avec cette exposition on veut montrer que c’est la vie qui l’emporte, et on espère parler aux âmes touchées par Chido ».
« Maintenir cette exposition est très important«

Du côté des artistes, si l’exposition leur permet de s’exprimer sur le cyclone et d’exposer leurs œuvres à la vue de tous, elle est surtout un véritable bol d’air dans un monde culturel à l’arrêt forcé depuis maintenant quatre mois. Le secteur n’a pas reçu d’aide spécifique de la part de l’Etat, un « abandon », déploré par le collectif « Les Arts Confondus », représentant des artistes, techniciens et structures culturelles locales, dans un communiqué du 29 janvier dernier.
D’après le collectif, 96,5 % des activités culturelles prévues entre décembre 2024 et janvier 2025 ont été annulées, privant le territoire de nombreux événements et ateliers artistiques. A cela s’ajoute un grand nombre de structures détruites qu’il faut réparer.
« Les mariages, les chantiers, et tous les événements des collectivités sur lesquels je devais faire des photographies ont été mis en stand-by pendant plus d’un mois et demi, ça n’a pas été facile », remarque Nayl Mtoubani, qui a hâte de voir ses photos exposées. « Les artistes de Zangoma ont presque tout perdu dans le cyclone, et les locaux de l’association ont été pillés et endommagés », témoigne Fatima Ousseni. « Par exemple l’artiste Conflit, spécialisé dans le tressage du cocotier, a perdu tout son travail ainsi que son domicile, il ne peut pas participer à l’exposition à cause de cela ».
« Malgré les situations difficiles de chacun, on reste debout et maintenir cette exposition est très important car l’accès à l’art et à la culture est une mission de service public ! », insiste la cofondatrice de Zangoma, qui se bat pour que l’association poursuive ses activités.

Durant ce mois d’avril, Zagoma accompagne l’artiste mahoraise Juliette Botolava, ingénieure de formation, originaire de Kani-Kéli, à la 8ème édition de l’événement Art Connects Women à Dubaï, pour qu’elle puisse y exposer ses peintures. « Chaque fois qu’on peut impliquer nos artistes à l’international on le fait, on l’a fait à travers des résidences en Guyane, à Maurice, à La Réunion aux Comores, et récemment à Madagascar avec la visite d’une exposition à la Fondation H. Le but est de nourrir la pensée artistique et d’ouvrir les horizons à nos artistes qui se déploient ici à Mayotte », note Fatima Ousseni.
« L’exposition à Mayotte mais aussi ces échanges extérieurs, interviennent après Chido. Il faut voir cet évènement climatique comme une invitation à mieux nous construire à mieux nous structurer, pour porter un discours encore plus audible et plus visible auprès de nos citoyens ».
Victor Diwisch