Alors que les travaux de Caribus commencent à représenter visuellement ce que sera le premier service de transport en commun de Mayotte, donnant des envies aux autres intercommunalités, il en est une qui ronge son frein, Petite-Terre. Pourtant précurseures dans la création de la 1ère communauté de communes du département, Dzaoudzi et Pamandzi qui la constituent, ne se sont pas entendues sur la compétence transport, Pamandzi ayant voté contre. Il s’agit donc de la seule EPCI de Mayotte à dépendre d’autres autorités pour mettre en place ses projets de mobilité. Or, il est urgent d’agir au regard du développement de la plus petite des deux îles de Mayotte, et de surcroît, celle qui abrite l’aéroport.
Qu’il soit maintenu en Petite-Terre ou déménagé en Grande-Terre, l’aéroport Marcel Henry ne va pas s’évanouir dans la nature de Bouyouni du jour au lendemain, et d’autre part, le sujet ne doit pas masquer les nombreux projets de développement de ce territoire de 11.000m2, comme nous l’explique Mohamed Hamissi, Chargé des mobilités à la CCPT justement. « Petite-Terre est en pleine mutation, avec de nombreux projets structurants comme l’Ecoparc des Badamiers, le CPRU de La Vigie, un programme immobilier important à Labattoir, des hôtels et restaurants. Or, la question du déplacement est étroitement liée à l’aménagement du territoire », rappelle-t-il, toujours dans l’objectif de ne pas réitérer l’erreur qui a été faite aux Hauts Vallons où les programmes immobiliers se sont enchaînés… comme désormais les voitures sur la route, faute d’avoir pensé le désengorgement routier en amont.
La démographie s’en mêle avec un accroissement de 26% entre les deux recensements de 2012 et 2017, soit plus de 5% par an. Enfin, des enjeux d’aménagement indispensable, comme la ZAE en étude, les routes à revoir car menacées de submersions marines, les infrastructures pétrolières ou de production d’électricité, etc.
« Nous n’avons pas la main sur notre propre territoire »
« Les flux continuent de s’accroître en Petite-Terre, avec des besoins de déplacements inhérents, et sur 11 km2 ». Il les a quantifiés : « Près de 2.500 actifs prennent la barge chaque jour pour travailler en Grande-Terre, et pas tous à Mamoudzou, et 600 de Grande vers Petite-Terre, soit plus de 3.000 personnes. On le voit, ce déplacement concerne le STM du Conseil départemental mais aussi le réseau routier des intercommunalités qui accueille ces salariés. Et on le voit, les week-end, de plus en plus de bouchons se créent en Grande-Terre. »
Et de son côté, Petite-Terre doit aussi faire face à l’arrivée de ceux qui, soit bargent leur voiture, soit se déplacent en taxi, « mais aucune étude des besoins en mobilité n’a été menée. Nous n’avons pas la main sur notre propre territoire. » La CCPT a une délégation de compétence sur le cyclable, mais reste freinée car sa boucle de 9km utiliserait des routes nationales et départementales, impliquant l’autorisation de l’Etat ou du Département. « Donc nous avons une intercommunalité qui veut développer sa mobilité mais n’a pas la main ! »
La solution selon lui viendrait d’un travail en commun des autorités organisatrices qui, on l’a vu, sont de toute façon impactées par les déplacements des populations. « La loi d’Orientation des Mobilités (LOM) de 2019 prévoit cela en proposant des outils de coordination entre les intercos et les Régions. » Les Contrats Opérationnels de Mobilité sont de ceux-là, « mais pour cela, il faut définir un périmètre d’actions sur un bassin de mobilité. Pour reprendre notre exemple, un travail de concert pourrait être mené entre la CCPT, la CADEMA et la Communauté d’agglomération du Grand Nord (CAGN) qui absorbent une partie des déplacements des ‘migrants’ de Petite-Terre. On considère alors qu’elles font partie d’un même « bassin de mobilité ». « Mais ce travail n’a pas été mené, bien qu’imposé par la LOM. Donc Petite-Terre est contrainte de subir les décisions de mobilité, sans en être actrice ». Dommage de brader ainsi les compétences de ce diplômé de l’École nationale des Travaux publics de l’Etat et des améliorations qui pourraient bénéficier à la petite île de Mayotte.
La LOM insuffisamment déclinée à Mayotte
Surtout que la LOM impose aussi la mise en place d’un Comité partenaire, qui permet à tous les acteurs de la mobilité de se réunir, qu’ils soient économiques, collectivités, chambres consulaires, etc. et de valider les grandes décisions comme un projet de transport interurbain. Il n’existerait pas à Mayotte bien qu’obligatoire.
Il ne s’agit donc pas de donner une compétence mobilité à Petite-Terre, mais « d’apporter de la cohérence », une « continuité dans les itinéraires. » Elle serait alors partie prenante des négociations.
Une fois ce regroupement par bassin de mobilité effectif, il faut être attentif à sa logique : « De Petite-Terre à Acoua, ce n’est pas le même territoire, il faut prendre garde de ne pas faire de redécoupage administratif mais rester en cohérence entre les flux et les besoins en mobilité. »
Pour Mohamed Hamissi, ce travail de copartage des projets doit permettre d’arriver à « l’inter-mobilité » : « On met alors en place un Contrat opérationnel de mobilité dont la finalité est l’intermodalité. »
Il décline les atouts de ces bassins de mobilité : « Cela permet de mettre en place les infrastructures, comme nos 9km de pistes cyclables, d’avoir la capacité de calibrer finement les services de mobilité au plus proche des besoins des habitants, d’inciter à changer les habitudes de déplacement dans une réflexion commune avec les autres collectivités concernées, et surtout, penser l’urbanisme par le prisme des mobilités. Car je vous assure que si demain, Petite-Terre sort ses grands projets qui génèrent des flux, ça pourrait saturer le STM et d’autre réseaux de mobilité ». Comme les taxis par exemple dont le sort n’a toujours pas été fixé, malgré les très nombreuses réunions et consultations dès la naissance du projet Caribus, rapportés de nombreuses fois dans les colonnes du JDM.
Donc avec ou sans aéroport, il faut penser les transports de Petite-Terre, « car ce territoire va se développer fortement dans les prochaines années », met-il en garde.
Anne Perzo-Lafond