Semaine de lutte contre les déchets, actions d’Octobre rose, évènements de novembre vert, défis sportifs, spectacles, colloque sur les 20 ans du CESEM, fête de la vanille… cela fait des semaines que l’agenda se remplit pour le plus grand bonheur des habitants. Sans report d’évènements. Presqu’un sentiment de sécurité, en tout cas, celui de pouvoir (re)vivre un peu. « Les nombreuses festivités actuelles peuvent se tenir car le climat social est apaisé », nous glissait un des organisateurs la semaine dernière. Or, le climat social est intrinsèquement lié à ce que vivent les habitants. Personne n’est dans la rue dans les départements de métropole où l’on n’est pas menacé à chaque virage par un caillassage.
Depuis quelques semaines, dans le Nord de l’île, la route n’est plus déserte dès 20h, et nous étions plusieurs à circuler à 22h. Un habitant de Majikavo nous confiait sourire aux lèvres, « on a presque l’impression de vivre normalement ».
Ce lundi, le lancement de la plus grosse opération de démolition d’habitat insalubre à Mavadzani n’a pas ravivé autant de tensions que les précédentes. Pour autant, la délinquance n’a pas disparu d’un coup comme par magie de l’île, des agressions ont cours dans le quartier Convalescence, des assauts de hordes sauvages habillées de blanc ont assailli les abords du lycée de Kahani. Il est impossible que toute violence s’arrête d’un coup. Surtout dans des établissements scolaires sous dimensionnés par rapport à leur population. Mais savourons ce que nous espérons ne pas être une parenthèse.
Nous avons sollicité le préfet François-Xavier Bieuville pour connaître l’évolution de la méthode sécuritaire à Mayotte. Il la confirme et en revendique la paternité : « En constatant les difficultés rencontrées sur le terrain, j’ai demandé aux forces de l’ordre de fonctionner différemment, de repenser le mode d’action et ne plus rester sur la défensive. Nous ne sommes donc plus sur les grandes idées ou les grandes manœuvres, mais nous travaillons d’abord avec le renseignement territorial, en s’appuyant sur les Groupes de Partenariat Opérationnel (GPO) que nous installons peu à peu dans toutes les communes. » Des GPO qui ont commencé à être déclinés sur le territoire en 2022, qui permettent d’informer les structures partenaires des dysfonctionnements observés.
Menacer les délinquants pour ne plus subir
Grâce à cette utilisation du renseignement, les interpellations furent plus nombreuses, « pour l’opération ‘Place nette’ nous sommes allés au-delà de l’objectif d’interpellations de 60 cibles prioritaires (meneurs de bandes, ndlr), pour en avoir présenté une centaine à la justice. »
Autre évolution, celle de l’action des forces de l’ordre, critiquées jusqu’alors pour n’agir que sur la voie principale sans monter sur les hauteurs où se réfugient les agresseurs. Le préfet a pris les décisions qui s’imposaient : « Il fallait arrêter d’être sur la défensive, et être davantage réactifs, et en profondeur, sur un mode d’actions quasiment militaire parfois. Résultat, nous obtenons des taux record de résolution de conflit ». Le représentant de l’Etat a pu s’appuyer sur des consignes données à ses troupes par l’ancien directeur général de la gendarmerie nationale, Christian Rodriguez, venu par deux fois à Mayotte, qui invitait à repenser les modalités d’action. Et l’utilisation de drones est également un appui indispensable pour identifier les auteurs des faits.
Un changement de méthode qui paie, souligne François-Xavier Bieuville : « Grâce à notre nouvelle stratégie, nous sommes plus rapide et mieux renseignés, alors que nous étions sur un vol de téléphone, nous avons pu interpeller l’agresseur au ‘masque de clown’ qui sévissait à Koungou, et ce, en quelques jours. »
La menace qu’il profère sur la situation administrative des parents de délinquants boucle la chaîne de répression, qui demanderait davantage de médiatisation pour porter ses fruits afin que le bouche-à-oreille ait également un impact.
Bien que fragile, la situation apaisée grâce aux actions concluantes menées par le représentant de l’Etat ne doit pas faire oublier le travail exigeant qui doit être fait en parallèle sur l’insertion des jeunes. Qu’ils soient en voie de marginalisation ou en voie de sortie de prison, une place plus importante doit être faite sur le travail social pour proposer à ces jeunes des activités autres qu’illégales. Pour cela, la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) doit être davantage dotée et les associations accompagnées.
Anne Perzo-Lafond