Enlevez-vous l’idée qu’Habit’Âme construit des logements puisque si telle était la vision initiale du projet, le principe de réalité du territoire a modifié la vocation de la structure. Face à une accumulation conséquente de déchets plastiques sur l’ensemble de l’île, Habit’Âme s’est attelée à transformer des déchets plastiques en matériaux de construction, principalement de second œuvre, d’aménagement et de mobilier, tout en favorisant l’insertion économique, en luttant contre le chômage, l’exclusion sociale et la déscolarisation des enfants de l’île. « On ne fait pas de maisons en kit », explique clairement sa fondatrice, Hannah Dominique, en raison d’une certification aux normes européennes, longue et chronophage. « On n’est pas à ce stade, notre but c’est de proposer un matériau de construction local, grâce aux déchets plastiques, à Mayotte, où tout est importé et où les matériaux de construction disponibles sont largement insuffisants par rapport aux besoins en construction. »
« Le plastique peut servir à la production de produits très divers »
Avec une capacité de production de 80 tonnes par an, Habit’Âme peut exploiter n’importe quel déchet en plastique de l’île, à l’exception des bouteilles en plastique, qui ont déjà un circuit de recyclage opérationnel, en étant re-transformées en bouteilles plastiques, en textile ou en isolant. « La filière de la bouteille existe. On ne veut pas détourner un gisement qui est bien récupéré. »
À partir de vieux emballages ou contenants en plastique, l’entreprise peut créer de nombreux objets, tels que des bardages extérieurs, des plans de travail pour une salle de bain ou un bureau, mais aussi des parois de douche. En fonction de la dimension du produit attendu, sa construction peut varier de quelques heures, à quelques jours, comme jusqu’à plusieurs semaines. « On peut faire pas mal d’aménagements ou de petites constructions. Le plastique peut servir à la production de produits très divers. », explique Hannah Dominique.
Une économie au service d’un besoin social
En raison de l’absence totale de matériaux de construction locaux, l’importance des logements précaires, la prolifération des déchets, un nombre d’enfants non-scolarisés, pourtant en âge de l’être, de l’ordre de 9.000, et un taux de chômage* très élevé sur le 101ème département français, la vocation d’Habit’Âme réside aussi dans sa capacité à créer de l’emploi : « On créé de l’emploi et de l’insertion pour des gens qui étaient sans emploi, dans des conditions de vie précaires, qui avaient des difficultés pour s’introduire sur le marché du travail. »
Faire adopter aux habitants « un réflexe de tri » des déchets
Forts de leur succès mais conscients de leurs limites, Habit’Âme va investir d’ici deux ans dans des machines à plus haut rendement : « On produit 80 tonnes mais 80 tonnes pour des besoins dans un logement c’est insuffisant. » À notre question de savoir si les retours d’expérience sont positifs, la fondatrice de la structure explique recevoir de nombreuses demandes d’enseignants pour l’organisation d’ateliers de recyclage à destination des élèves du territoire. Cependant, le montant d’une demi-journée sur des ateliers de recyclage et de conception d’un produit, chiffré à près de 750 euros, représente souvent un frein pour démocratiser ces activités auprès des établissements scolaires.
Aussi, au sujet des impacts des matières plastiques sur la santé, peu d’études sont disponibles pour évaluer les conséquences sanitaires à terme sur la santé humaine et animale de ces produits recyclés autour et au sein d’un habitat. Dans cette optique, la vocation d’Habit’Âme n’est pas d’imposer mais de proposer. « On se dit que c’est mieux d’avoir un revêtement en plastique que rien du tout. Mais d’un côté on n’a pas de recul sur l’impact de ce plastique sur la santé. On n’est pas là pour juger, on est là pour proposer une solution. On espère que le réflexe de tri des déchets et de ne plus jeter par terre ses déchets va entrer dans la culture et les mœurs, pour que l’île soit plus propre, notamment dans les quartiers insalubres. »
Seule ombre au tableau, le contexte d’insécurité global sur l’île qui nuit à l’harmonisation des effectifs d’Habit’Âme : « On perd des ressources, on perd en attractivité. Les gens ont peur de venir à Mayotte. Le coût de la vie sur le territoire est cher. On peut rarement faire venir des stagiaires car cela leur reviendrait trop cher de venir ici. Nos salariés finissent à 16h. On pourrait finir vers 19h, mais on ne peut pas, car on estime que nos salariés ne sont plus en sécurité pour rentrer chez eux à cette heure-ci. », précise Hannah Dominique.
À l’Élysée, Habit’Âme exposera une de ses plaques fabriquées, qualifiée comme « le produit le plus représentatif » de l’activité de la structure et « le plus demandé ». Fabriquée à partir des bacs à poubelle du syndicat Sidevam 976, cette plaque au style « marbré », résisterait même aux rayons ultraviolets. À terme, elle pourrait devenir un mobilier urbain extérieur ou un bardage. En 2025, Habit’Âme veut accroître sa communication et ses actions de sensibilisation pour le tri des déchets, afin d’obtenir plus de demandes pour ses produits et améliorer le paysage de l’île.
Mathilde Hangard
*En 2022, l’INSEE a évalué le taux d’emploi à Mayotte à 30%.