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Quand Mayotte rend hommage à Samuel Paty et Dominique Bernard en célébrant la « liberté de conscience »

Savoir faire passer le bon message aux élèves, c’est le défi d’une mise en place réussie de la laïcité en milieu scolaire. C’était notamment l’objet du discours du recteur Jacques Mikulovic au collège de Tsingoni

Pour que la liste des noms d’enseignants tombés sous les coups de terroristes religieux ne s’allonge pas, chaque année, un hommage était rendu ce 14 octobre à Samuel Paty et Dominique Bernard. Le premier, professeur d’histoire-géographie dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine, était décapité le 16 octobre 2020, pour avoir montré des caricatures du prophète Mahomet à ses élèves. Le second, professeur agrégé de Lettres modernes à Arras, a été mortellement blessé par un islamiste radical qui voulait initialement s’en prendre à un professeur d’histoire.

L’hommage aux deux hommes est aussi l’occasion de rappeler l’importance de la laïcité à l’école, et de la tolérance entre les croyants, ce qui n’est pas une mince affaire.

Une laïcité parfois mise à mal, puisqu’il y a une semaine, une enseignante de Tourcoing a été giflée par une élève de 18 ans à qui elle demandait de ne pas remettre son voile avant d’avoir franchi les grilles de l’établissement. Cette dernière doit être jugée le 11 décembre.

Il s’agit donc à la fois de faire respecter scrupuleusement le concept de laïcité à chaque manquement, et à la fois de le faire assimiler, ce qui n’est pas encore gagné. Pour cela, les professeurs doivent être accompagnés. En effet, si le nombre d’incidents relatifs aux manquements à la laïcité a diminué en France passant de 838 faits en septembre 2023 à 110 en septembre 2024, selon la ministre de l’Éducation nationale, Anne Genetet, c’est un constat à relativiser.

Une autocensure des enseignants

Une fresque qu’avaient dessiné les lycéens de Sada en 2015

D’abord, ces manquements font un écho immédiat à des évolutions législatives dans ce domaine. Or, à la rentrée 2023, les atteintes à la laïcité correspondaient à l’interdiction ferme du port de l’abaya et du qamis par Gabriel Attal. Ensuite, les habitudes se prennent.

Ensuite, davantage d’enseignants s’autocensurent, selon Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie dans un collège de Seine-Saint-Denis, dont les propos sont rapportés par Public Sénat : « On a une auto-censure de la part des enseignants sur les questions religieuses qui est de plus en plus importante du fait d’un ensemble d’événements », notamment « des menaces de mort ».

En mars de cette année, le proviseur du lycée Maurice-Ravel à Paris, a démissionné, après avoir rappelé à trois jeunes filles leur obligation de retirer leur voile dans les murs du lycée. Depuis, il faisait l’objet de menaces de mort en ligne. Une enseignante d’art plastique en collège nous apprenait qu’elle sautait systématiquement le cours sur la représentation de nus, « pour ne pas choquer ceux qui ne peuvent culturellement le supporter ».

La question reste donc de savoir jusqu’où aller, en sachant que derrière les élèves, des familles veillent et surveillent le contenu des cours. Il faut donc amener les élèves en douceur vers les concepts de laïcité qu’ils commencent par comprendre et assimiler, pour ne pas mettre les enseignants en danger ensuite.

« Ils n’avaient pas à mourir pour cela »

Diffuser la laïcité parmi les élèves pour toucher aussi les familles

C’est le message qu’a fait passer Jacques Mikulovic lors de l’hommage à Samuel Paty et Dominique Bernard ce jeudi 10 octobre au collège de Tsingoni : « Nous sommes dans un établissement scolaire, c’est l’occasion de rappeler que les enseignants, l’éducation nationale, sont là pour accompagner les élèves pour leur donner les outils afin de penser par eux-mêmes ».

Cela passe par la maîtrise de la lecture et de l’écriture, « elle aide à structurer sa pensée et permet d’accéder à celle des autres pour se faire une opinion. »

Allant plus loin que la simple laïcité, le représentant de l’Éducation nationale évoquait également l’impact meurtrier des guerres de religion : « Vivre ensemble nécessite des règles, la laïcité est en une. En France, les conflits religieux ont fait par le passé des milliers de morts, notamment entre catholiques et protestants. Cette notion de laïcité était là pour respecter chacun dans ses convictions et croyances. La relation à un dieu est intime et n’a pas à être montrée aux autres, ni imposée aux autres. » On pourrait rajouter que, tuer au nom d’un dieu, revient à agir contre les enseignements sacrés.

Jacques Mikulovic revenait sur la Révolution française de 1789 qui sonnait le glas de la monarchie, « où le roi disposait d’un pouvoir divin », au profit « des hommes et femmes qui ont dû s’organiser entre eux pour faire société, organiser les transports, l’école, la distribution d’eau. »

C’est donc « la liberté de conscience » qu’enseignait Samuel Paty et Dominique Bernard, « ils n’avaient pas à mourir pour cela car ils contribuaient à former des élèves pour qu’ils deviennent des citoyens responsables ».

Plusieurs élèves se sont exprimés sur les préjugés et l’acceptation des différences, suivis par une minute de silence, et avant que tous n’entonnent, « On écrit sur les murs le nom de ceux qu’on aime, des messages pour les jours à venir. On écrit sur les murs à l’encre de nos veines. On dessine tout ce qu’on voudrait dire. On écrit sur les murs la force de nos rêves, nos espoirs en forme de graffiti. On écrit sur les murs pour que l’amour se lève. Un beau jour sur le monde endormi. »

Puisse les jours à venir souscrire à cet appel collectif.

Anne Perzo-Lafond

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