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Droit du sol : Estelle Youssouffa s’explique sur sa proposition de loi perso, « il fallait éviter l’inertie »

La députée mahoraise a été accusée de « jouer perso » pour avoir rédigé une proposition de loi en faveur de la suppression du droit du sol, quand on attendait une action collective des élus. Sur le fond, le durcissement du droit du sol de 2018 a provoqué selon elle une augmentation des reconnaissances frauduleuses de paternité, débouchant sur une recrudescence des naissances

Enregistrées à l’Assemblée nationale le 27 septembre 2024, les propositions de loi constitutionnelle et de loi Mayotte d’Estelle Youssouffa, ont fait grincer les dents.

Dans le 1er texte, la députée mahoraise reprend les conséquences de la pression migratoire : plus d’un adulte sur deux vivant à Mayotte n’y est pas né (60% exactement étaient non natifs de Mayotte en 2017 selon l’INSEE, taux qui a probablement dû augmenter depuis), engendrant « une saturation des services publics, qui peinent à faire face à une population en constante augmentation » et « une dislocation de l’équilibre social et politique, entraînant un affaiblissement notable de l’autorité publique. Les tensions qui en résultent remettent en cause la stabilité et la sécurité de l’île, créant un climat d’insécurité pour les Mahorais. » Citant l’argumentaire du Conseil d’Etat en 2018 d’enfants « laissés sans prise en charge sur le territoire mahorais alors que leurs parents sont éloignés du territoire».

C’était le 5 juin 2018, le Conseil d’Etat faisait droit à la requête de l’ex-sénateur Thani Mohamed Soilihi d’une restriction du droit du sol à Mayotte, seul un des deux parents en situation régulière sur le territoire depuis au moins trois mois peut donner droit à l’accès à la nationalité française de son enfant. Une brèche inédite dans le droit du sol. Mais sous condition qu’une large publicité en soit faite à 80km de là, pour que l’écho aux Comores freine tout départ des côtes anjouanaise, et qu’un travail de police intense soit mené contre les reconnaissances frauduleuses de paternité.

Le prix d’une naissance

Un texte déposé fin septembre

Si la lutte s’est intensifiée à cette époque, l’objectif n’est pas atteint selon la députée Estelle Youssouffa, qui note même une « accélération du phénomène de reconnaissance frauduleuse de paternité », c’est-à-dire la reconnaissance par un homme d’un enfant né d’une femme étrangère contre rémunération en liquide ou en nature, et pas forcément par des Mahorais : « En l’espèce, on observe qu’un étranger en situation régulière depuis au moins trois mois peut reconnaître un nouveau-né pour que ce dernier puisse bénéficier à terme du droit du sol et pour que, conséquemment, sa famille bénéficie du droit au séjour qui en découle. »

Ce qui accroit considérablement les motivations pour décider de mettre un enfant au monde à Mayotte, avec dans la première maternité de France, 74% des 10.000 naissances dues à des mères étrangères : « 85 % des titres délivrés et renouvelés à Mayotte relèvent de l’immigration familiale, dont 46 % portent sur des parents d’enfants français. » Les enfants sont donc toujours la variable d’ajustement pour obtenir la nationalité française. « Par distorsion, le droit du sol agit à Mayotte comme un encouragement à l’explosion démographique étrangère et un outil au service du projet comorien de déstabilisation », poursuit Estelle Youssouffa.

La 2ème conséquence est la « crainte de l’appel d’air » depuis les Comores dont se prévalent les gouvernements successifs pour ne pas mettre en place le droit commun, retraites, allocations chômage, etc. Un argument que tuerai dans l’œuf la fin du droit du sol.

« Nous n’avons aucun texte du gouvernement »

Cette suppression du droit du sol avait été annoncée par Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, en visite à Mayotte il y a tout juste 8 mois, ainsi que la fin des titres de séjour territorialisés et le durcissement du regroupement familial. Une partie des annonces devaient se retrouver dans le projet de loi Mayotte, mais depuis plusieurs mois, aucun écho, se plaint la députée que nous avons contactée.

« Les travaux de rédaction de la loi Mayotte ont commencé en septembre 2023, avec une proposition écrite envoyée par le président du Conseil départemental, sans réponse étayée du gouvernement, juste un maigre courrier de Marie Guévenoux. Nous n’avons donc aucun texte engageant le gouvernement. Il fallait éviter l’inertie, donc, même si beaucoup me le reprochent, j’ai décidé de rédiger une proposition de loi. Le travail législatif n’étant pas de la compétence du Conseil départemental, il fallait proposer un texte, d’autant que, le courrier de Ben Issa Ousseni au Premier ministre, est resté sans réponse à ma connaissance. Et dans sa déclaration de politique générale, Michel Barnier n’en a pas dit un mot, alors qu’il en a eu l’occasion à de multiples reprises. »

Ménager l’Élysée et Matignon

Gérald Darmanin, Marie Guévenoux, Estelle Youssouffa, Mayotte
Estelle Youssouffa aux côtés de Gérald Darmanin et de Marie Guévenoux lors des annonces le 11 février 2024

D’autre part, il faut rappeler que l’annonce de la suppression du droit du sol avait été faite par Gérald Darmanin, qui se présentait alors comme le messager du président de la République. Ces temps de cohabitation s’avèrent donc complexes car il faut à la fois ménager l’instigateur qu’est Emmanuel Macron, et le gouvernement qui peut décider de l’agenda des projets de loi. L’appartenance de Ben Issa Ousseni au même parti LR que Michel Barnier ne peut être une condition nécessaire et suffisante, il va donc falloir marcher sur des œufs… ce n’est pas un sport où les élus mahorais ont toujours excellé.

Lorsqu’on l’interroge sur une démarche personnelle, alors qu’un texte co-signé est attendu, la députée s’exclame, « mais il n’y a pas de démarche collective ! Chacun regarde en fonction de son parti politique, mais on peut s’interroger sur la réelle motivation de légiférer du gouvernement précédent. » Il faut donc obtenir de l’actuel des garanties.

Les démarches de partis peuvent en effet participer au blocage comme nous l’avions déjà expliqué, avec des RN favorables à la suppression du droit du sol, mais en l’élargissant au plan national, ce qui va freiner plus d’un parlementaire.

D’où la proposition de loi constitutionnelle présentée par Estelle Youssouffa, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 septembre 2024 visant « à abroger l’application du droit du sol et du double droit du sol* à Mayotte. »

Elle invite ses collègues sénateurs à se saisir du texte, « ils peuvent l’amender, le copier, et le proposer ».

Garder l’œil sur l’agenda

INSEE, Mayotte, naissances
L’objectif est aussi d’alléger les services publics

Avec le bémol du sénateur Saïd Omar Oili qui avait communiqué sur son refus « que Mayotte devienne une exception dans la République » et qui rappelait que les élus demandent avant tout la fin des visas territorialisés, critiquant la hiérarchie qu’avait établie Gérald Darmanin en souhaitant la suppression du droit du sol avant celle des visas territorialisés.

Nous avons interrogé Estelle Youssouffa sur la suite de ses propositions de loi constitutionnelle et du projet de loi Mayotte où elle a dressé la liste « des mesures législatives qui s’appliquent et ne s’appliquent pas à Mayotte ».

« Il faut maintenant que la proposition de loi constitutionnelle soit inscrite à l’agenda soit par mon groupe, soit par la présidence de l’Assemblée nationale, soit par le gouvernement. Ou alors, copiée par les sénateurs pour la déposer à l’agenda du Sénat. Ensuite, il faut que les trois cinquièmes du Parlement l’adopte, ou qu’elle soit proposée par référendum. »

Elle insiste sur la poursuite de l’action, « nous élus mahorais, nous devons continuer à travailler, car attention à ne pas épuiser notre capital d’écoute à Paris. Si la situation sociale se dégrade de nouveau, nous ne serons plus crédibles, il faut qu’une décision forte intervienne pour faire cesser le poids démographique et l’insécurité qui perdure. »

Anne Perzo-Lafond

*Est français tout individu né en France d’un étranger qui y est lui-même né

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