Dans ce monde ultra-numérisé, où tout nécessite d’aller sur internet, l’association Emmaüs Connect accompagne la population pour qu’elle gagne en autonomie numérique afin de s’insérer dans le tissu économique de la société.
À Mayotte, la première structure Emmaüsienne a vu le jour il y a seulement un an. Encore peu connue du grand public, ses actions gagnent du terrain auprès des acteurs du territoire et le résultat est nettement bon. « L’accueil que l’on reçoit est excellent », s’en réjouit fièrement son responsable dans l’Océan indien, Antoine Guimbaud.
La fracture numérique, les jeunes aussi sont concernés
Mais si pousser la porte d’un service public ou d’une structure privée ne coûte rien, accéder à un service en ligne, même gratuit, nécessite de savoir l’utiliser. « L’inclusion numérique répond à deux volets, d’abord accéder aux outils numériques, par exemple avoir un téléphone ou un ordinateur, et l’autre pied, c’est l’usage, la capacité des publics à se saisir de l’outil numérique (…) Il y a fracture numérique lorsque un ou ces deux points à la fois ne sont pas réunis. »
Contrairement aux idées reçues, les jeunes ne sont pas exemptés du sujet. Non, il n’y a pas que les personnes âgées qui sont déconnectées de l’informatique et Mayotte est un bon cas d’école : « Ce n’est pas vrai de dire qu’on a une génération (ndlr : acquise) de digital natives, c’est lié à l’âge mais surtout à la pratique. Quand tu es jeune et que tu as eu des outils chez toi, ça va, par contre quand tu n’as pas eu accès au numérique, mais surtout à ses codes, tu ne vas pas maîtriser ces outils. » Le responsable de la structure donne l’exemple de nombreux jeunes, adeptes d’un usage ergonomique du smartphone, mais qui ne savent pas rédiger un e-mail.
L’insertion par le numérique, un gage d’inclusion sociale
C’est surtout lors de la pandémie du Covid-19 que les choses ont pris un virage à 180 degrés. « Le Covid a été un point de bascule énorme, il a mis le sujet du numérique en haut de la pile ». En effet, pour minimiser les contre-coups des confinements, les services publics ont massivement dématérialisé leurs activités.
Ainsi, une personne qui n’aurait pas accès aux services numériques d’une société serait, de fait, à la marge. « Aujourd’hui la société est totalement tissée de numérique, t’en exclure c’est t’exclure de facto de la société », commente le responsable de l’antenne associative. « La révolution numérique va rendre les choses plus pratiques à la population pour 70%, mais en accélérant son rythme à l’image d’un train en marche elle laisse de côté de façon plus brutale beaucoup de gens. »
À Mayotte, 80% de la population serait en situation de précarité numérique
Insérer ces naufragés numériques, voici l’ambition de Emmaüs Connect. Mais qui sont-ils ces exclus du numérique qu’on ne soupçonne pas ? Antoine Guimbaud explique : « Il y a différents publics, avec une variété de problématiques, en fonction de qui ils sont et quels sont leurs besoins. D’après l’expert, à Mayotte, 80% de la population serait en situation de précarité numérique. En effet, si le taux de chômage avoisine les 50% dans le 101ème département français, il s’établit proche de 10% dans d’autres départements métropolitains. « Ce n’est pas en terme de volume qu’il faut raisonner car il y a plus de monde à Paris par exemple où le taux de chômage est moindre qu’à Mayotte, mais à Mayotte, 80% de la population est concernée par cette fracture numérique, donc la question c’est de savoir comment tu fais le choix d’accompagner, car tout le monde en a besoin ? »
À ce constat saisissant s’ajoute la question de la barrière de la langue. « Lorsque les gens vont s’insérer au niveau numérique à Mayotte, ils vont s’insérer dans le tissu économique français. Les démarches en ligne sont en français. » Si la fracture du numérique est donc « difficilement démêlable » sur le département mahorais du fait d’un retard de la population dans la maîtrise de la langue française, pour lutter contre la précarité numérique, l’apprentissage de la langue française doit être également accompagné. « Il faut approcher les deux fronts : l’apprentissage d’une langue et le numérique, même si cela prend du temps, pour permettre un accompagnement linguistique, social et numérique (…) Le but c’est d’avoir des sorties positives, des gens bien insérés dans la société. »
Besoins immenses, le souhait d’un avenir démultiplié
Ces immenses défis reposent surtout sur les épaules de quatre personnes. Ces animateurs du numérique animent chaque jour l’antenne Emmaüs Connect de Mayotte, située rue du Stade de Cavani à Mamoudzou. Leurs semaines de travail sont loin d’être monotones. Constamment sur le terrain, les animateurs sillonnent le territoire à la rencontre des naufragés du numérique. « On n’a pas de lieu d’accueil pour le public à cause de la question de la mobilité à Mayotte car il n’y a pas de transport en commun (…) mais les animateurs peuvent intervenir partout sur le territoire en lien avec de nombreux partenaires, des petites, moyennes ou grandes associations, des CCAS, des missions locales, ou encore le RSMA. »
Tant sur le volet de l’accès, que de l’usage du numérique, le moins que l’on puisse dire, c’est que la structure est victime de son succès : « On a accompagné 310 personnes sur des parcours d’initiation numérique (…) surtout des jeunes de 15 à 25 ans », se réjouit le responsable. Les personnes accompagnées le sont d’abord par des partenaires de l’action sociale, avant d’être orientées vers Emmaüs Connect.
À terme, l’équipe des animateurs numériques aimerait mettre en place des partenariats avec l’entreprise de radiotéléphonie SFR, pour permettre à la population d’avoir accès à des outils numériques à bas coût, renforcer des actions avec le Régiment du service militaire adapté de Mayotte ou encore monter une filière solidaire de reconditionnement de matériels informatiques, pour « créer des structures d’insertion pour les reconditionner et aller vers des gens qui ont besoin d’être équipés. » Aujourd’hui, la dématérialisation des services du quotidien a été tant accélérée, que les contacts humains ont eux aussi été altérés. « Aujourd’hui, quand vous allez à la sécurité sociale, on vous oriente sur le site internet. » D’où l’importance pour Emmaüs Connect de poursuivre ses ambitions, où l’autonomie des personnes dans cette nouvelle ère est primordiale.
Mathilde Hangard