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Assises : Mayotte, un bain « massivement insécuritaire », qui happerait la jeunesse ?

Des experts ont analysé le profil des sept individus accusés, donnant quelques éclairages sur les raisons de ce passage à l'acte.

Ce troisième jour du procès, présidé par Nathalie Brun-Zahi, était consacré à la suite des expertises médicales, à la présentation d’une arme retrouvée sur la scène de crime, et aux expertises psychologiques et psychiatriques des sept individus accusés d’avoir assassiné un adolescent de 13 ans et demi, dans le quartier CTAM de Labattoir, le 24 janvier 2021. 

« C’est l’un des polytraumatismes les plus violents qu’on ait vu à l’arme blanche »

Depuis les années 2000, la médecine légale recourt régulièrement au scanner pour compléter l’autopsie. Dans ce contexte, le Dr Pelourdeau, chef du pôle médico-technique et du service de radiologie du Centre hospitalier de Mayotte, était entendu. La description des traumatismes subis par le défunt a rappelé la barbarie dont avait été victime l’adolescent : « L’homme a reçu plusieurs traumatismes crâniens violents, faits par des objets tranchants (…) Un au niveau crânien postérieur et un à gauche qui a fracturé la mandibule et sectionné les vaisseaux carotidiens à gauche (…) La victime a subi d’autres traumatismes vertébraux  (…) La moelle a été sectionnée par un objet tranchant par l’arrière (…) Les causes de la mort ont pu être le double traumatisme cervical, le traumatisme crânien et le traumatisme pulmonaire (…) C’est plutôt le traumatisme rachidien en qui a sectionné la moelle qui est le plus important. »

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« Des blessures à l’arme blanche il y en a eu d’autres mais c’est un des fracas les plus violents qu’on ait plus voir », a déclaré le Dr Pelourdeau

Le radiologue, qui répondait aux questions de la présidente de la cour, précisa que si le crâne de la victime n’avait pas explosé au moment du drame, il avait été multifracturé en raison d’un nombre important de coups reçus. Par ailleurs, il ajouta que pour chaque lésion observée, la section était « nette » et qu’il avait été nécessaire de « frapper fort pour porter des coups comme cela. » D’après l’expert, l’intensité et la multiplicité des coups reçus seraient évocateurs d’un acharnement des agresseurs sur la victime et les blessures évoqueraient l’utilisation de plusieurs armes, dont la principale serait le chambo. C’est la dernière question de la présidente au praticien qui glaça le public de la salle d’audience : « En votre qualité de praticien au CHM, aviez-vous déjà été confronté à l’expertise de ce type de blessures auparavant ? ». Ce à quoi le Dr. Pellourdeau répondit : « C’est l’une des plus violentes que l’on ait eu au CHM (…) C’est l’un des polytraumatisme les plus violents qu’on ait vu à l’arme blanche. »

Pas vu mais pris 

Sur la scène du crime, une pierre a été retrouvée à droite du corps de la victime, près de la tête, avec du sang et des traces de cheveux. En présentant ladite pierre lors de l’audience, alors que des empreintes y avaient été retrouvées, la présidente de la cour a demandé aux accusés, un à un, s’ils avaient vu cette arme dans le banga où avait été assassinée la victime, mais les sept individus ont répondu par la négative. 

Pas de dangerosité criminologique des accusés

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D’après l’article 122-1 du code pénal, « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »

Si l’expertise psychiatrique et psychologique des accusés avaient révélé une dangerosité criminologique ou une abolition de leur discernement au moment des faits, ces dispositions auraient peut-être expliqué par d’autres raisons les actes commis, bien qu’injustifiables. Cependant, aucun des accusés, n’a révélé une dangerosité criminologique, ajoutant davantage d’inquiétude sur la nature humaine à commettre un tel acte de barbarie, gratuitement et en parfaite lucidité.  

En effet, pas même le dénommé Bob, présenté par les membres de la bande comme étant le meneur, ne révélait d’anomalie mentale ou psychique, ou de dangerosité psychiatrique. Par ailleurs, l’individu n’était pas atteint d’un trouble  quelconque  qui aurait pu abolir son discernement au moment des faits. Comment, alors, et pourquoi les sept accusés, avaient-il pu se réunir ce 24 janvier 2021, pour commettre un crime dont les professionnels du CHM se souviendront, commis avec « acharnement », dans la plus grande des violences, sur un jeune qui n’appartenait à aucune bande ?  

Des ruptures d’attachement importantes et précoces chez plusieurs accusés 

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Quatre des sept accusés, sur un des bancs de la salle d’audience, face à la cour

Bien qu’il ne s’agisse pas de circonstance pouvant justifier le passage à tel acte, certains accusés ont eu un parcours cabossé, relativement similaire, durant leur enfance. Plusieurs d’entres eux étaient nés aux Comores et avaient été laissés par leurs parents, lorsqu’ils étaient encore enfants, confiés à des membres de la famille ou à des amis, avant de partir seuls en direction de Mayotte, pour retrouver quelques années plus tard, leur famille. 

C’est le cas de Bob, le chef de la bande, qui avait grandi à Anjouan jusqu’à ses 16 ans. Abandonné par ses parents, il avait été confié à une amie de la famille. À son arrivée à Mayotte, alors qu’il est encore adolescent, il grandit dans une logique « oeil pour oeil dent pour dent », où il dû travailler pour subvenir à ses besoins et ne fut pas scolarisé. D’après l’expert psychologue, Bob avait évolué dans « un monde dur » et « une approche fataliste de l’existence au niveau de la prédestination ». Pour lui, l’appartenance à la bande avait son importance. À propos des faits, le prétendu chef de la bande se serait peu étendu sur la mort de la victime, considérant qu’il était presque cohérent de réagir ainsi pour venger la mort d’un des membres « de la communauté », pour reprendre l’expression de l’expert. 

De même, que le dénommé Elvé, également né à Anjouan, qui avait été confié à sa grand-mère à l’âge de ses quatre ans, lorsque ses parents quittèrent l’archipel  des Comores pour s’installer à Mayotte, avant que Elvé ne les rejoigne plusieurs années plus tard, en kwassa-kwassa. L’individu, qui avait arrêté sa scolarité en classe de CP aux Comores, ne sait ni lire, ni écrire. Fragile, sans diplôme et en situation irrégulière sur le territoire, il aurait subi un « bouleversement émotionnel majeur » à la mort de son oncle, le cultivateur de La Vigie, que lui et la bande des 45 BLOCK, voulaient venger ce 24 janvier 2021. Il travaillait parfois sans être déclaré, comme soudeur, et aurait fabriqué plusieurs armes pour les membres de la bande, ayant servi à assassiner l’adolescent. 

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Plusieurs des accusés avaient rejoint Mayotte en kwassa, sans leurs parents, alors qu’ils étaient enfants ou adolescents

Le doyen de la bande, dénommé Mafoi, né également aux Comores, dans une famille de six enfants, avait été confié à sa soeur au départ de ses parents pour Mayotte, lorsqu’il était en bas âge. Ce n’est qu’à l’âge de dix ans qu’il arriva à Mayotte, rejoignit sa famille et poursuivit ses études jusqu’en troisième, avant de travailler ponctuellement comme marin-pêcheur.  Enfin, le dénommé Conor, né aux Comores, avait lui aussi été confié à d’autres membres de la famille lorsqu’il avait dix ans, au départ de ses parents pour l’île de Mayotte, avant de les rejoindre un an plus tard en kwassa. Jusqu’à son interpellation, il était scolarisé en classe de seconde technologique.

D’autres accusés moins violentés par la vie 

Les autres accusés, notamment Bitman et Bilco, mineurs au moment des faits, présentaient, d’après les experts, un parcours de vie moins difficile que les majeurs. Avant son interpellation, Bitman, qui était né à Dzaoudzi, dans une fratrie de quatre enfants, était titulaire d’un baccalauréat STM S et inscrit en faculté d’histoire à Clermont-Ferrand. Le jour des faits, compte-tenu de ses facultés intellectuelles, l’expert psychiatre a estimé que même si Birman avait eu « peur des grands » de la bande, il aurait pu « néanmoins trouver des stratégies d’évitement. » Par ailleurs, le dénommé Bilco, qui avait quatorze ans au moment des faits, était né à Dzaoudzi, et aurait agi sans réflexion préalable, sur la base de l’appartenance à la bande, alors qu’il présentait « un niveau d’intelligence moyenne haute ». De même, l’individu nommé Papi, décrit comme immature, aurait agi sans se poser de question, entraîné par les autres. 

Le contexte de Mayotte, massivement « insécuritaire », happerait certains jeunes fragiles 

Mais alors que les expertises se terminaient, des questions perdurèrent. Comment ces hommes, aux parcours parfois différents, avaient-ils pu non seulement se réunir au sein d’une bande armée mais aussi commettre un crime gratuit, d’une violence particulière ? C’est la question de Me Ekeu, posée au psychologue, Elie Letourneur, qui engagea quelques réflexions autour du sujet : « Qu’est-ce qui fait qu’on s’en prend à, quasiment, un camarade de façon aussi déterminée et violente ? »

À cette vaste interrogation certainement partagée par l’ensemble de la population mahoraise, au sujet de ce recours à la violence chez les jeunes à Mayotte, dont nous avions parlé en interrogeant un jeune, le psychologue répondit de façon personnelle. D’après lui, lorsqu’un individu agresserait quelqu’un à qui il s’identifierait de façon significative, « cela pose la question de la haine de soi-même. » Aussi, l’engrenage de la violence, peut parfois se réaliser « sans vrai motif », « par simple appartenance au quartier », comme lorsque la population de La Vigie s’était mobilisée « pour arrêter les violences » qui existaient avec la bande de CTAM. 

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Les violences, et notamment les caillassages, sont des incidents devenus quotidiens sur le territoire, n’épargnant personne

Pour comprendre ces violences, l’expert a également mentionné « l’incidence du contexte post coloniale à Mayotte, l’ethnicisation difficile avec des conflits inter ethniques, des relations compartimentées, comme on le voit dans cette affaire.» Aussi, plus globalement, le psychologique a expliqué, qu’au-delà des sentiments  supposés de peur et de colère, qui pouvaient émaner, « le fait d’être baignés au quotidien dans une imagerie mortifère où le sang et la violence font partie du quotidien à Mayotte, où on a l’impression que cela nous entoure, sur les réseaux sociaux, dans les médias, cela peut-être dur pour les jeunes. » 

Finalement, en étant confrontés quotidiennement, directement ou indirectement, à des images de violence, d’armes ensanglantées, de cailloux, de bus caillassés, de mouvements de foule près des établissements scolaires lors des attaques régulières des bandes, à des machettes, « on participe de ce qu’on connaît et cela peut conduire à un passage à l’acte », a confié le psychologue. Enfin, le contexte à Mayotte post-départementalisation a également été évoqué comme point de jonction, où cela reviendrait à « courir après la France », d’après l’expert, concrètement, où des individus qui ne seraient pas français, chercheraient à le devenir, et où pour ce faire, les liens (ndlr : familiaux) seraient « cassés mille fois ». Pour l’expert, cela conduirait à « des prises de décisions délétères » dont seraient victimes les jeunes. 

« Tous les jeunes de Mayotte se sentent-ils alors investis d’une mission de défense ou de vengeance ? » a demandé Me Andjilani. Le psychologue répondit : « Quand on est oublié d’une société, on crée ses propres codes. Quand on a plus rien à défendre, on se défend soi et seule la violence peut garantir la fierté et la dignité. » 

L’expert a ajouté que de son point de vue, la situation de Mayotte était massivement insécuritaire », conduisant parfois à des « réponses réflexes face à des déterminants qui sont plus grands que soi ». La présidente de la cour, arrivée pour la première fois sur le territoire, il y a plus de vingt ans, a mentionné, qu’avec le temps, ces violences étaient devenues plus nombreuses et «  certainement plus graves » qu’avant. 

Mathilde Hangard

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