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Fonds européens : Ça devrait passer « grâce à un impressionnant travail de rattrapage »

C’était le grand audit devant une délégation de la Commission européenne ce jeudi pour la préfecture, autorité de gestion des fonds européens, et le GIP « L’Europe à Mayotte ». Vu le passif de cette enveloppe 2014-2020, on pouvait craindre le dégagement d’office. Ça passe de justesse, et avec les félicitations.

Un peu d’historique. Quasiment à l’heure du bilan de la 1ère enveloppe européenne que Mayotte ait jamais eu à gérer, le constat de ce que nous n’avons jamais cessé d’écrire s’impose : le territoire n’aurait pas dû accéder au statut de RUP (Région Ultrapériphérique de l’Europe) en 2014 faute de préparation, et aussitôt après avoir été département en 2011. Il s’agissait pour le gouvernement de l’époque de faire financer la départementalisation de Mayotte par l’Europe, alors que le territoire était dépourvu d’infrastructures, routes, assainissement, équipements structurels terrestres et maritimes, etc. La carapace du département n’avait pas été remplie, et il fallait se sentir région européenne. Ce fut la valse des SGAR, les sous-préfets se sont succédés tous les 6 mois, effrayés par la complexité des fonds à gérer, alors « qu’il faut 2 à 3 ans pour devenir un bon gestionnaire des fonds européens », et c’est Maxime Ahrweiller-Adousso, actuelle SGAR, qui le faisait valoir ce jeudi.

La sanction tombait alors par le biais du rapport de la CICC (Commission Interministérielle de coordination et de contrôle, désormais l’Autorité nationale d’Audit des Fonds européens (AnAFe)) que nous avions révélé en exclusivité en 2019. On y lisait tous les dysfonctionnements imputables à l’autorité de gestion qu’est la préfecture, (ressources humaines, compétences, querelles internes, services déconcentrés immatures), mais aussi des instances de contrôles européennes pour un défaut d’audit. C’était mal parti. La sanction n’a pas tardé, en février 2021 le versement des fonds FEDER et FSE était interrompu par la Commission européenne. Comme un retour de boomerang, l’Etat était obligé de se substituer en prêtant 49 millions d’euros, pour garantir la continuité de paiement des porteurs de projets.

De cette erreur, la préfecture va tirer des leçons et créée avec le conseil départemental, le GIP « l’Europe à Mayotte » sous la houlette de la sous-préfète à la relance, qui deviendra la SGAR (Secrétaire générale des Affaires Régionales), Maxime Ahrweiller-Adousso. Il sera l’organisme intermédiaire pour l’autorité de gestion, « cela a permis de sanctuariser les compétences à Mayotte, au regard du turnover des fonctionnaires », résumait-elle. C’est la porte d’entrée unique des porteurs de projets, qui doivent être accompagnés tout au long du complexe processus de consommation des fonds européens.

La délégation reçue ce mercredi au centre M’Sayidié d’Apprentis d’Auteuil par le directeur Guillaume Jeu

Alors, la situation a-t-elle été redressée à temps ? La réponse était attendue ce jeudi à la MJC de M’gombani, où se tenait le Comité Régional Unique de Suivi (CRUS) des fonds européens en présence de d’une délégation de la Commission européenne.

Nous les avions suivis la veille, notamment en déplacement aux Apprentis d’Auteuil, un des grands consommateurs du Fonds social européen (FSE). Mènent cette délégation, Mario Gerhartl, Responsable de programmes pour le FEDER (Fonds européen de développement régional) notamment pour la France à la Commission européenne, et Gaëtane Meddens qui occupe les mêmes fonctions pour le FSE (Fonds social européen).

Premier constat, Mayotte est en retard. Sur l’enveloppe 2024-2020, la première qu’elle ait eu à gérer, des réalisations sont toujours en cours, alors que le programme 2021-2027 va arriver à mi-parcours l’année prochaine. On paie des erreurs de débutants en quelque sorte, rapportait Maxime Ahrweiller-Adousso : « On a été victime de l’inexpérience des acteurs, que ce soit l’autorité de gestion, ou les porteurs de projets qui bouclaient tardivement les dossiers, des crises locales qui se rajoutent à celles du national, le turnover des équipes, etc. »

Mais Mayotte n’est pas la seule à connaitre ce retard, et la crise Covid a plombé la consommation de tous les territoires sur au moins deux ans. La commission européenne a donc décidé de donner de l’oxygène en adoptant un règlement en février 2024, dont l’acronyme STEP se traduit en facilitation de co-financement des dépenses, un rallongement des délais de paiement au 31 décembre 2025 et une plus grande facilité de basculer les crédits depuis des axes sous-consommés vers des projets en besoin.

Thani Mohamed Soilihi Zamimou Ahamadi faisaient remonter les écueils sur l’accès aux informations

Une STEP qui devrait nous sauver la mise. Cet ultime point d’étape sur l’enveloppe 2014-2020 mettait en évidence une disparité entre les deux fonds principaux. Le taux de certification du FEDER de 76%, « en forte hausse ces derniers mois », notait la SGAR, permet d’être optimistes, notamment grâce aux 211% de taux de programmation. En clair, pour être certain de ne pas voir partir les fonds, on surprogramme, comme un avion ferait du surbooking.

Rien d’étonnant à cela nous rapporte Mario Gerhartl, qui se dit optimiste pour ce FEDER 2014-20 : « La surprogrammation de projets, ça se fait partout, mais à Mayotte, c’est indispensable au regard de la fragilité des porteurs de projets. C’est la première fois que Mayotte gérait les fonds européens, et même les états de l’Europe de l’Est étaient mieux aidés. Votre département était mal préparé à l’adoption des acquis communautaires. Et à peine l’organisation tenait debout avec le GIP, que le Covid et les crises successives venaient tout chambouler. Ils n’ont jamais eu de rythme de croisière. Donc si je peux dire que j’étais très inquiet il y a un an et demi, il faut saluer le travail impressionnant de rattrapage de l’autorité de gestion et du GIP. Il a gagné en maturité et en compétence, la totalité du FEDER devrait être consommée, mais a encore besoin d’énormément d’ingénierie pour accompagner les porteurs de projets de bout en bout. Mayotte doit notamment accélérer le développement de projets sur les transports et les déchets. ».

Accompagnement des jeunes déscolarisés à M’Sayidié

Moins d’optimisme pour le FSE, dont le taux de consommation atteint péniblement 54%, notamment en raison de la non-consommation par le conseil départemental de la ligne renforçant l’efficacité de gestion administrative, « cela a obligé l’autorité de gestion à remanier le programme l’année dernière, et le RSMA a permis d’en sauver la clôture en consommant cette part », nous indique Gaëtane Meddens qui souligne l’importance des facilitations du règlement STEP, « l’autorité de gestion nous a donné des garanties que le FSE serait consommé grâce à cela ».

Pourtant, d’autres se désolent de voir leur consommation du FSE retoquée, voire pire faisait remonter le sénateur Thani Mohamed Soilihi : « Des associations et entreprises de l’économie sociale et solidaire estiment avoir respecté les démarches et à mi-parcours, on leur demande de rembourser. Pourtant, elles viennent en aide aux autres et sur ce territoire le besoin est grand ». La délégation européenne a pu se heurter au cas concret du centre M’Sayidié d’Apprentis d’Auteuil Mayotte, mercredi, dont les dépenses de fonctionnement pourraient être refusées, alors que son directeur évoquait une gestion sobre, avec une dépense quotidienne de 25 euros par bénéficiaire des actions d’accompagnement de jeunes déscolarisés, très faible par rapport à d’autres structures d’insertion reconnues sur la place.

Des rebondissements dans la consommation par les porteurs de projets, le FSE n’est pas le seul à en avoir connus. Le FEAMP orienté vers la pêche, devait voir éclore 4 halles à marée équipées, essentielles pour évaluer le volume pêché et la traçabilité, qui conditionne l’octroi des autorisations de renouvellement de la flottille de pêche dont Mayotte est exclue. Une enveloppe de 3 millions d’euros. « Mais la halle à marée de Koungou a été incendiée et les délais n’ont pas été tenus pour celle de Sada. Elles ont donc dû être déprogrammées, seulement 51% de l’enveloppe a été consommée », déplorait la SGAR. Un nouveau programme, le FEAMPA, de 13,5 millions d’euros, doit permettre la structuration de la filière pêche, « une poissonnerie est prévue à Sada. » Une urgence que ces infrastructures, car la fermeture des registres de pêche est prévue pour fin 2025, « tous les pêcheurs devront être aux normes. »

La halle de pêche flambant neuve de Koungou partie dans un incendie 

Si le manque de statistique sur les données de pêche plombe le renouvellement de la flotte, il est notoire que celle-ci a diminué de moitié en dix ans, diminuant d’autant la pression sur la ressource, faisait valoir Mounirou Ahmed,  Chargé de développement économique au CD, « peut-on le faire remonter ? » Les acteurs ne pouvaient que regretter l’absence de la DG MARE (Direction générale des Affaires Maritimes et de la Pêche de la Commission), « elle est la bienvenue », glissait Maxime Ahrweiller-Adousso.

Sur la prochaine enveloppe 2021-2027, le grand changement porte sur le FSE, qui devient le FSE+ en intégrant l’IEJ (Initiative pour l’emploi des Jeunes, consommée à 100% à Mayotte), le fonds d’aide alimentaire, et le volet Emploi et Innovation sociale (EaSI). « Les deux tiers des crédits seront gérés par les préfectures, donc ici à Mayotte par le GIP Europe, et un tiers par la DGEFP, donc par France Travail », soulignait Malissa Marseille, Sous-directrice Europe et International à la DGEFP au ministère du Travail. Il sera doté de 106 millions d’euros.

Sa consommation donnait lieu à une nouvelle passe d’armes entre les représentants de la préfecture et ceux du conseil départemental. La vice-présidente du GIP Europe Zamimou Ahamadi tentant de comprendre les tenants et les aboutissants des arcanes complexes des fonds européens. « A qui doit-on s’adresser pour consommer ce nouveau fonds FSE+ ?! Et quand y-aura-t-il des appels à projets ? » Une question prioritaire, sur laquelle mettait en garde Mario Gerhartl, « l’année prochaine, un bilan de mi-parcours vous sera demandé. » Malissa Marseille indiquait au directeur du GIP par intérim Adrachi Vélou attendre le dépôt de la convention signée, « dès que vous l’enverrez,  nous la validerons et les appels à projet pourront être lancés ». Un grand fossé donc entre la fin des programmations depuis le 31 décembre 2023 et ce lancement, la SGAR se voulait rassurante, « les porteurs de projets ont été invités à poursuivre leurs actions, pour qu’il n’y ait pas de coupures. » On comprend leur angoisse de ne pas être ensuite déboutés sur les sommes avancées…

Gaëtane Meddens et Mario Gerhartl rappellent l’obligation de communiquer sur les réalisations menées grâce à la consommation des fonds

Des tensions entre les deux co-présidences du GIP qui pourraient être évitées avec une communication appropriée. Entre eux, et vers l’extérieur, et c’est une obligation, rappelait le représentant européen du FEDER : « Vous devez publier les appels à projets sur le site ‘L’Europe à Mayotte’ qui doit également afficher les projets programmés. » Il s’agit de plusieurs réalisations : le Datacenter, « que La Réunion nous envie », soulignait le préfet, le renouvellement des barges, l’abattoir à volaille, la 1ère phase de Caribus, le centre de formation du RSMA, la formation d’infirmiers au CHM, etc. La population est en mal de visibilité sur l’utilisation de ces fonds alors que le développement de l’île est en jeu.

Le verdict définitif sur le bouclage correct de l’enveloppe 2014-2020, c’est pour la rentrée de septembre, nous indique Mario Gerhartl, « ce sera le moment de vérité ! »

Concluons sur l’invitation collant à l’actualité du sénateur Thani, « peu importe pour qui vous allez voter, mais déplacez-vous vers les urnes le 9 juin. L’Europe, ça a été la solidarité lors du Covid, et c’est actuellement le gage de paix dans le monde. »

Anne Perzo-Lafond

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