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Mamoudzou

Psychiatrie : un secteur aux forts besoins mais en grande tension

« 4 lits en psychiatrie pour 100.000 habitants »

Actuellement, Mayotte dispose seulement de 10 lits de psychiatrie pour toute l’île, correspondant à un ratio de 4 lits pour 100.000 habitants. Ce chiffre est nettement inférieur à d’autres régions comme la Guyane, où 40 lits sont disponibles pour 100.000 habitants, à La Réunion, où 65 lits sont prévus pour 100.000 habitants, et en métropole, où 95 lits sont déployés pour 100.000 habitants, comme rapporté par le Dr. Aubry, chef du pôle psychiatrie du Centre hospitalier de Mayotte (CHM).

CHM, EVASAN, Mayotte
Dès qu’un adolescent nécessite d’être hospitalisé en psychiatrie, il est transféré vers l’EPSM de La Réunion, faute de lit d’hospitalisation en psychiatrie pour les mineurs au CHM

À Mayotte, cette pénurie de lits entraîne parfois obligatoirement le transfert de certains patients vers l’Établissement Public de Santé Mentale de la Réunion, comme les adolescents : « Mayotte ne dispose pas de lit d’hospitalisation pour les adolescents de moins de 15 ans et 3 mois. Dès qu’un adolescent fait une dépression ou qu’il a subi un traumatisme, tel qu’un viol ou qu’il souffre d’un problème psychotique, qui nécessiterait de l’hospitaliser, on le transfère à La Réunion ou en métropole », a commenté le praticien. Ce constat est d’autant plus saisissant pour un département comme celui de Mayotte, où près d’une personne sur deux a moins de 18 ans et où une seule pédopsychiatre, le Dr. Briard, dispense des soins pour l’ensemble du territoire.

Durées de séjours réduites et réhospitalisations fréquentes 

Comme rappelé par le Dr. Aubry, la durée moyenne de séjour en psychiatrie pour les patients à Mayotte est de 8 jours, ce qui est significativement plus court que la moyenne nationale, où les patients en psychiatrie sont généralement hospitalisés pour une durée minimale de 30 jours. Dans ce contexte, les patients hospitalisés sont souvent renvoyés prématurément en raison d’une nécessité de « libérer des lits »,  entraînant souvent des ré-hospitalisations en cascade.

En 2023, l’ARS de Mayotte a accordé un budget au CHM pour ouvrir un CMP dans le Nord de l’île, où une réunion prévue mardi 23 avril devrait valider l’ouverture de ce centre

Les professionnels des Centres Médico-Psychologiques (CMP), répartis à Mamoudzou, Sada, dans le Sud de l’île et en Petite-terre, se retrouvent ainsi souvent en « première ligne » pour prendre en charge des patients après une sortie prématurée de l’hôpital et pour leur éviter une ré-hospitalisation. Cette situation conduit ainsi à une liste d’attente significative au sein des CMP et des retards de prise en charge, où le délai d’attente avant une consultation peut être de plusieurs mois. « Actuellement, le temps d’attente pour une prise en charge médico-psychologique est d’environ un an (…) On répond aux demandes d’avril 2023 », a déclaré le Dr. Briard. 

Le CMP de Mtsapéré, pierre angulaire des consultations enfants-ados 

CMP, CHM, psychologie, enfants, adolescents
Les consultations médico-psychologiques enfants et adolescents ne sont plus dispensées au CHM depuis le mois de décembre 2023 mais au CMPEA de Mtsapéré

Depuis le mois de décembre 2023, les consultations médico-psychologiques enfants et adolescents, qui étaient réalisées au CHM, ont été transférées dans un bâtiment de la rue Maévantana à Mtsapéré. Pour les soignants, l’objectif de ces portes-ouvertes consiste avant tout à être « repérés et repérables » par les partenaires, les patients et leurs familles.

CMP, CHM, psychologie, enfants, adolescents, CMPEA
Le CMPEA se trouve rue Maévantana à Mtsapéré et reçoit des patients du lundi au vendredi de 8h à 15h

À la différence du CHM à Mamoudzou, qui est à peu près une « zone neutre » pour reprendre les mots d’une soignante, pour certains patients, se rendre à Mtsapéré n’est pas toujours une mince affaire. Certains adolescents craignent d’être repérés par d’autres jeunes. C’est la raison pour laquelle certains se rendent au CMP accompagnés de leurs parents ou trouvent des stratégies pour être discrets.

Des CMP périphériques renforcés chaque semaine 

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Noëla Maoulida et Kaissi Dhoifarna, sont respectivement secrétaire médicale et assistante sociale, au sein du CMPEA de Mtsapéré

Le Dr Briard, unique pédopsychiatre de Mayotte, dirige l’ensemble des CMP de l’île et donne chaque semaine des consultations à Mtsapéré et dans les CMP périphériques pour les jeunes de moins de 15 ans et trois mois. En effet, si les équipes des CMP périphériques reçoivent des adultes, les consultations des adolescents sont assurées sur site par les équipes de Mtsapéré qui s’y déplacent chaque semaine : « Le mardi, je me rends au CMP de Petite-terre et les mercredis et jeudis, au CMP de Bandrélé », explique le Dr. Briard. Cette organisation chronophage peut compter sur des professionnels motivés mais les temps de transports par voie terrestre et l’insécurité sur l’île peuvent rendre d’autant plus difficiles les conditions de travail des soignants.

Le Dr. Briard mentionne le projet de créer deux CMP enfants et adolescents (CMPEA), dans le Nord de l’île et en Petite-Terre, qui permettrait d’alléger la charge de travail des équipes du CMP de Mtsapéré en ayant des équipes pluridisciplinaires à temps plein sur ces sites.

À Mayotte, une prise en charge psychiatrique spécifique 

Pourtant, le Dr. Aubry estime que les enjeux en matière de psychiatrie à Mayotte sont conséquents et intéressants, où la diversité culturelle de Mayotte nécessite une approche de la psychiatrie adaptée, tenant compte de l’ethnopsychiatrie et des pratiques traditionnelles, où la prise en charge médicale tirée de méthodes conventionnelles intervient souvent au second plan dans le parcours de certains patients.

CMP, CHM, psychologie, enfants, adolescents
Dans leur prise en charge médico-psychologique, enfants et adolescents, nécessitent également d’être accompagnés par des psychomotriciens, pour leur développement affectif, cognitif et corporel

Pour le praticien, il y aurait « plus de pathologies dans les outre-mer qu’en hexagone » en raison des antériorités complexes de certains patients : « Beaucoup de patients ont des traumatismes, ont vécu des choses très difficiles, que l’on ne peut pas maîtriser (…) de nombreux patients souffrent d’addictions, de psychoses, de traumatismes infantiles (…). » D’après le Dr. Aubry, ces pathologies se rapprochent de celles que l’on peut voir dans des pays en conflit, en raison du contexte d’insécurité sur place mais surtout en raison du passé de certains patients en provenance de pays en guerre, qui peuvent générer des psychotraumatismes et d’autres formes de souffrance psychique. 

Pour le Dr. Briard, la pédopsychiatrie est d’autant plus importante à Mayotte compte tenue de la moyenne d’âge de la population. D’après la psychiatre, la clinique des adolescents est très spécifique et nécessite un personnel très spécialisé dans la prise en charge de ce public : « On a besoin de pédopsychiatres, de pédopsychologues et de psychomotriciens formés à l’adolescence, qui est une clinique très spécifique », a expliqué le Dr. Briard. Aussi, alors qu’une trentaine d’enfants naissent chaque jour au CHM, aucun psychiatre formé en psychiatrie périnatale n’exerce à Mayotte, se désole le Dr. Briard.

Jean-Mathieu Defour souhaite « redynamiser la psychiatrie » 

SRR, Mayotte
Le centre de soins Martial Henry en Petite Terre accueillera le service de psychiatrie du CHM, upgradé à 30 lits, en 2026-2027

Ainsi, pour répondre à ces défis en matière d’offre de soins, la direction du Centre hospitalier de Mayotte envisage deux projets pour « redynamiser la psychiatrie ». Premièrement, en 2026, des travaux vont être initiés en Petite-terre au sein du site de Soins de Suite et de Réadaptation (SSR) Martial Henry, afin de déplacer temporairement le service de psychiatrie du CHM, actuellement composé de 10 lits, à Pamandzi, où 30 lits de psychiatrie seront créés. En effet, le projet d’armement de lits de psychiatrie en Petite-Terre prévoit la création de 30 lits dans des locaux temporaires, avec une transition vers Grande-Terre une fois le nouvel hôpital de Combani opérationnel.

Lorsque l’hôpital de Combani sera sorti de terre à l’horizon 2030-2035, un service de psychiatrie y sera créé, armé de 56 lits : « Deux unités de 14 lits en hospitalisation libre, une unité de 14 lits en zone fermée, et une unité d’adolescents de 14 lits seront déployées dans le futur hôpital », d’après les précisions du chef du pôle psychiatrie du CHM.

Les recrutements, le nerf d’une guerre sans fin 

Plus de lits mais pour combien de psychiatres ? Actuellement, sur les 11 postes de psychiatre au Centre Hospitalier de Mayotte (CHM), seulement 3 sont pourvus. Si « la psychiatrie au CHM est en difficulté » pour reprendre les termes du directeur du CHM, c’est aussi parce que le manque crucial de psychiatres qualifiés constitue un obstacle majeur à l’offre de soins en matière de santé mentale.

Les accords financiers qui avaient été conclus pour faire venir à Mayotte des psychiatres en provenance de La Réunion ont été suspendus en raison de leur coût, rendant plus difficile les recrutements. Actuellement, des psychiatres volontaires en provenance de La Réunion continuent de renforcer Mayotte, sur des courtes périodes, sans prime exceptionnelle d’exercice, notamment pour répondre aux demandes de soins des adolescents, comme dans le cas des dépressions graves ou des crises suicidaires, a expliqué le Dr. Briard. Pour la pédopsychiatre, à Mayotte, il est possible de trouver des professionnels tels que des secrétaires, des infirmiers et des éducateurs « mais pour trouver des médecins, des orthophonistes, des psychomotriciens et des psychologues, on est souvent obligés de démarcher des professionnels de métropole. »

Des disparités de rémunération entre les praticiens titulaires et les contractuels 

D’après Y. Aubry, les défis de Mayotte en matière de recrutement et de rétention de personnel médical qualifié, peut également s’expliquer en raison de disparités salariales, faisant l’objet de discussions depuis plusieurs mois. Actuellement, certains praticiens titulaires en milieu de carrière sont moins rémunérés que les praticiens remplaçants venant travailler pour des périodes courtes à Mayotte. Cette disparité a parfois conduit certains praticiens à démissionner de la fonction publique hospitalière pour exercer sous le statut de contractuels, afin de bénéficier de rémunérations plus attractives et d’avantages non négligeables tels que la prise en charge de leur logement et d’une voiture lors de leur mission à Mayotte.

Malgré le contexte d’insécurité, le Dr. Aubry constate depuis quelques semaines des candidatures de psychiatres pour renforcer le service de psychiatrie du CHM sur des courtes périodes, permettant de soulager temporairement l’offre de soins, bien que les défis nécessitent des réponses structurelles de long terme, telles qu’initiées par la direction de l’hôpital dans sa feuille de route « Horizon 2030 ».

Mathilde Hangard

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