Les conséquences de la crise sociale, qui se rajoute aux précédentes, et à la crise de l’eau qui a immobilisé une partie de l’économie qui en était dépendante, ne sont pas encore connues. Si on garde une vision macroéconomique, il n’est pas certain que l’on perçoive un effondrement, tant le territoire produit une valeur ajoutée majoritairement constitué par les services publics. Si ces derniers n’ont pas été productifs pendant la crise, les salaires seront versés, les dépenses du Ramadan assurés. Par contre, en regardant de plus près, la chute du secteur privé va être douloureuse, mais pas uniforme.
Si la grande distribution, même mal ravitaillée, a continué à fonctionner, ce n’est pas le cas par exemple du BTP dont tous les chantiers étaient à l’arrêt. Comment accompagner au plus près des besoins ? Ça va être compliqué.
Le maire de Mamoudzou a décidé de prendre sa part en adressant à la ministre des Outre-mer Marie Guévenoux, une kyrielle de propositions, se faisant le porte-parole des acteurs économiques. Elle reprend une évaluation des dispositifs fiscaux appliqués à Mayotte, et émet des recommandations visant à stimuler l’investissement, à promouvoir l’entreprenariat local, et à renforcer la compétitivité du territoire sur le plan économique.
Cette étude met en évidence un ricochet néfaste à l’économie : l’absence d’activité durant la crise sociale a ralenti les importations, diminuant d’autant les rentrées fiscales d’octroi de mer prélevé par les communes, qui ne pourront mener à bien leurs investissements.
Des entreprises hors des sentiers débattus
A ceci s’ajoute un mode de fonctionnement hors norme de l’économie mahoraise, qui, s’il n’est pas pris en compte, rend quasiment hors sujet toute mesure gouvernementale classique : la part de l’économie informelle et la proportion des entreprises formelles ne payant pas ses cotisations sociales.
A Mayotte, selon l’INSEE, 5.300 entreprises sont inconnues de l’administration fiscale, soit « les deux tiers des entreprises ». Et selon les chiffres 2017 de l’ACOSS, le taux d’impayé des cotisations sociales atteint 45% du volume dû. « La politique du recouvrement forcé n’en est qu’à ses balbutiements .
Dès lors, le maire et les acteurs économiques, appellent la ministre à une « politique économique nouvelle, ambitieuse et performante, à la hauteur des graves enjeux du territoire » : favoriser l’emploi, inciter à l’embauche et drainer vers les entreprises les cadres dont elles ont besoin, résorber, dans l’économie mahoraise la part des acteurs économiques en souffrance de leurs cotisations sociales et réduire en conséquence la concurrence déloyale instaurée entre ces entreprises et celles qui acquittent leurs cotisations, inciter les entreprises informelles à rentrer dans le secteur formel, juguler l’inflation et la cherté des prix, rendre Mayotte attractive afin de favoriser l’installation, le maintien et le développement des entreprises pourvoyeuses d’emplois, réduire l’écart de développement entre Mayotte et l’Hexagone.
Ils évoquent un train de mesures « facile et rapide à mettre en œuvre », car déjà connues, mais qu’il faut « adapter à la situation locale ». Parmi elles, on trouve les Zones Franches d’Activité Nouvelle Génération (ZFANG), qui permettent aux entreprises de bénéficier d’un abattement de 80 % plafonné à 300.000 euros de l’impôt sur leurs bénéfices dès lors qu’elles emploient moins de 250 salariés et ont moins de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires. Mais la ZFANG ne concerne pas tous les secteurs d’activités dont notamment les secteurs du commerce, des cafés, débits de tabac, de boisson, de la restauration, la navigation de croisière, la réparation automobile, les activités de loisirs, sportives et culturelles, etc. Or, et le président de l’UMIH, Charles-Henri Mandallaz l’avait souligné, « le commerce, les cafés et la restauration, par exemple, subissent de plein fouet le marasme découlant des pénuries d’eau, des barrages érigés en journée et du calfeutrement de la population à la nuit tombée lors des épisodes récurrents et de plus en plus fréquents d’insécurité ». Des secteurs marchands pourtant pourvoyeurs d’emplois, soulignent ces professionnels. Il est préconisé l’implantation d’un zone franche globale.
Commencer par les équipements prioritaires
On trouve aussi la demande de l’augmentation du CICE, le Crédit d’impôt pour la Compétitivité et l’emploi, qui permet d’accompagner fiscalement les entreprises employant une main d’œuvre peu ou pas qualifiée. Ce qui est particulièrement le cas à Mayotte. Il doit cependant garantir une montée en compétence de ces salariés. La demande d’une prolongation jusqu’en 2030 est portée.
Relancer l’économie par les commandes publiques en investissant dans des équipements prioritaires, est essentiel, indiquent aussi les acteurs économiques, en se basant sur le plan de convergence pour Mayotte 2030 et le contrat de convergence et de transformation 2019-2022. « Ils ont notamment dessiné tout un ensemble d’actions à mener, dont plusieurs sont urgentes et vectrices d’une transition écologique : développement de l’assainissement, couverture des besoins en eaux par récupération, filtration, stockage d’eau familial et collectif, recours massif aux énergies renouvelables en substitution aux énergies fossiles, telles que l’installation de panneaux photovoltaïques, collecte, valorisation, traitement des déchets, notamment. »
Mais la relance ne peut porter ses fruits pleinement « qu’à partir du moment où les entreprises ne suffoquent plus sous les délais de paiement des acheteurs publics ». Résorber ses délais de paiement, est donc un « 5ème wagon essentiel », du train de réformes indispensables à Mayotte. Contre ce « poison », la proposition du Medef d’une « subrogation des créances publiques » : « le mécanisme vise à permettre à une TPE-PME qui subirait le retard de paiement de l’État ou d’une collectivité publique, de céder sa créance à une institution financière contre un règlement comptant sans frais. A charge pour cette institution de se faire payer la dette en se rémunérant grâce aux intérêts moratoires, le tout sous la garantie de l’État. »
Enfin, trouver une solution à la vie cherche sur le territoire, en réduisant l’octroi de mer – là, c’est dans l’air – qui serait compensé auprès des collectivités par une subvention de l’État, mais qui pourrait entraîner une baisse des prix de détails « allégeant ainsi le fardeau financier des citoyens ».
La commune de Mamoudzou se veut être la locomotive de ce train de six wagons de mesure qu’elle espère voire prendre en compte par la ministre déléguée aux Outremer.
Anne Perzo-Lafond