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François-Xavier Bieuville : « En matière de sécurité à Mayotte, il faut tout remettre à plat »

Le problème des préfets, c’est d’obtenir, l’oreille attentive de Paris. Sur ce sujet, François-Xavier Bieuville part avec un bénéfice non négligeable en débarquant à Mayotte en fin de conflit social, prêt à accueillir les annonces de Gérald Darmanin. Il est malgré tout attendu sur le sujet majeur du retour de la sécurité après plus d’une dizaine d’années de laisser-aller. Et annonce des actions « plus qualitatives, plus ciblées ».  

Rarement planètes auront été aussi alignées pour un préfet. Et François-Xavier Bieuville semble déterminé à agir pour qu’elles le restent. Rarement réponses d’un ministre de l’Intérieur n’auront été aussi choc sur l’immigration clandestine, et il ne se passe pas une semaine sans que sa ministre déléguée aux Outre-mer ne s’exprime sur Mayotte, « nous voulons un choc sécuritaire et casser méthodiquement l’attractivité migratoire de Mayotte », twittait-elle le 3 mars sur X. Les « preuves d’amour » sont là, pour reprendre l’expression de Gérald Darmanin, il faut maintenant passer à l’acte. Et communiquer sur un « changement de méthode », rapportait François-Xavier Bieuville aux médias ce mardi matin.

Reprenant au pied du poème « Le mot », la citation de Victor Hugo que nous avons recherchée, « Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites ! Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes », le représentant de l’Etat disait vouloir « maitriser la communication pour éviter la rumeur ».

Et pour commencer le menu du petit déjeuner auquel il avait convié les journalistes pour un point trimestriel, Wuambushu en entrée. De ce qu’il juge être devenu « une marque de fabrique », il place la lutte contre l’insécurité en pôle position. Plus qu’une lutte contre les chefs de bande, « concept difficile à définir car c’est comme l’Hydre, on coupe une tête et plusieurs repoussent », il préfère parler de « réseaux », « il faut leur casser les reins puisqu’ils veulent casser avec la République ».

« Point d’équilibre » avec les Comores

Une des deux vedettes patrouilleur dans le lagon remorquant 3 kwassa ce 1er mars 2024 (Photo :JDM)

La lutte contre l’insalubrité comme deuxième volet, « c’est secourir les plus vulnérables, les démolitions d’habitat informel ne sont qu’une modalité ». On sent que la partition n’est pas complètement écrite faute de capacité de relogement, mais des programmes de construction sont en cours comme à Hamouro, et il compte bien mettre la pression sur le bailleur social.

Quant aux reconduites, le 3ème axe, la volonté affichée de « cibler » l’immigration des Africains des Grands Lacs, « notamment les Somaliens à l’islam plus radical qu’ici et qui ne maitrisent pas le français », permet d’avoir le même angle d’action que celui défini dans l’accord franco-comorien – enfin un des points de l’accord – le travail concerté sur la lutte de ce flux migratoire des africains du continent. Ce qui permet de combattre l’immigration clandestine en provenance des Comores sans émouvoir les revendications territoriales chez nos voisins. Sollicité sur ce point, le représentant de l’Etat convenait qu’un point d’équilibre avait été trouvé entre les deux pays, « nous parlons d’une relation entre deux pays souverains dont la proximité est grande, c’est la géographie qui fait l’Histoire, et là, de Mayotte on aperçoit Anjouan. Il faut faire avec et adapter la réponse. »

Une grande avancée par rapport au constat dépité du haut fonctionnaire Alain Christnacht de passage à Mayotte en 2012 qui avouait son échec à trouver une solution, « tout le monde a intérêt à ce que ça ne fonctionne pas ! ».

Pour ne pas « oublier » les enfants lors des reconduites

CRA
Jouets à disposition des enfants au Centre de rétention administratif de Petite Terre

En matière de lutte contre l’immigration clandestine (LIC) on apprenait de la bouche de Frédéric Sautron, sous-préfet qui en a la charge, qu’une évolution est en cours pour reconduire les familles et non les parents seuls qui « oublieraient » de mentionner leurs enfants sur le territoire : « Nous avons le seul Centre de Rétention Administratif de France où deux associations œuvrent à l’accompagnement des reconduits. Nous avons lancé un nouvel appel d’offre pour qu’intervienne une association spécialisée dans les mineurs, et nous renforçons notre exigence d’efficacité par des pénalités en cas de défaillances de ceux qui ont cette responsabilité ».

Si de l’aveu de François-Xavier Bieuville, « aucune frontière, même un mur n’est étanche », le « rideau de fer » annoncé par Gérald Darmanin va être « plus opérationnel » que le dispositif en place : « Nous ferons un point dans quelques jours sur ce dispositif qui va permettre d’être mieux équipés en lutte contre l’immigration clandestine, avec des technologies plus modernes, des radars longues portée, l’utilisation de l’intelligence artificielle. » Nous avions rapporté l’éventualité de l’utilisation de radars à ondes de surface, « on évoque des radars longue portée équipés de caméra infrarouge. De toute façon, il y aura un appel d’offre sur la mise en place de l’ensemble des nouvelles technologies qui demandent une évaluation de l’enveloppe budgétaire. »

Des strates de forces de l’ordre

CHM, ARS, Mayotte
Les forces de l’ordre font régulièrement usage de gaz lacrymogènes

Ces domaines relèvent de l’apport extérieur, alors que le retour de la sécurité sur le territoire est conditionné à sa propre action… moyennant des renforts en forces de l’ordre. Encore des renforts. Nous avons interpellé le représentant de l’Etat sur la garantie d’efficacité de ces troupes supplémentaires sur la sécurité. Il convenait instantanément d’une refonte nécessaire : « Mayotte a besoin d’un choc de sécurité, d’autorité. Au gré des crises, on a renforcé progressivement en forces mobiles, en spécialistes, d’ailleurs ce mardi, nous installons le chef du RAID. Or, ce n’est pas parce qu’il y a plus de strates que l’efficacité est au rendez-vous. Il faut tout remettre à plat, nous avons besoin de travailler sur des opérations plus qualitatives et plus ciblées. » Il s’agit de « faire baisser la tension de manière durable », en prenant un quartier après l’autre, « c’est la politique des petits pas. »

Et dans un pas de deux, autorité-action sociale, « ce n’est pas moi qui vais tout résoudre. Il faut aider les personnes en souffrance à sortir des déterminants sociaux », de leur condition, rôle dévolu à « l’école, la santé, l’accès aux transports, à l’eau, à l’électricité, etc. »

Une action qui ne peut se faire sans les maires. François-Xavier Bieuville les rencontre un à un, « ce sont les premiers échelons de la République ». Avec quel retour ? « Pour l’instant, ceux que j’ai rencontrés ont fait montre de dynamisme et d’engagement. Notre relation doit se baser sur quatre axes, l’autorité comme un outil pour les accompagner, l’utilité, par exemple pour accélérer la construction à Hamouro, nous allons faire venir le bailleur social pour voir ce qui freine, l’efficacité et la proximité. » Et le préfet leur recommande de mettre en place des GPO, des Groupes de Partenariat Opérationnel, intégrant les maires et leurs services, les CCAS, les chefs d’établissement, les forces de l’ordre, la Politique de la Ville de l’Etat. Ce ne sont pas vraiment des CLSPD, « les GPO sont positionnés sur un quartier », une manière de réduire les mailles du filet.

Les élus, ceux du CD, sont attendus sur le stade de Cavani, « il ne faut pas attendre qu’il soit totalement évacué du camp de migrants pour sécuriser le terrain, sans quoi il y aura de nouvelles installations. » Sur ce sujet qui n’en est pas un puisque engagement a été pris de l’évacuer, certains mettent une pression sur les délais, « je n’ignore pas le corner où certains voudraient me mettre, une chose est sûre, je n’irai pas seul ! », lâche-t-il.

Foncier identifié pour le CEF et le CRA, pas pour la prison

Eric Dupond-Moretti, Majikavo, prison du port, détenus, Mayotte
Eric Dupond-MOretti devant les plans d’extension du Centre pénitentiaire en mars 2022

La loi urgence Mayotte a bien sût été abordée, « nous accueillons ce mardi une collaboratrice qui va travailler dessus », avec éventuellement comme base le projet de loi Lecornu » de 2021, rejeté on s’en souvient par les élus, « auquel il faut rajouter d’autres points », « le but, c’est que les parlementaires et les élus locaux retrouvent dans le projet de loi le chemin qui va faire sortir Mayotte de la crise. »

Parmi les infrastructures en attente, certaines sont plus à portée de main que d’autres. « Sur la piste longue, je ne sais pas si une option a été choisie entre Grande et Petite Terre », mais selon lui le budget se monte au-delà de 700 millions d’euros. On pourrait douter de l’effectivité de leur programmation par ces temps de disette budgétaire alors que le gouvernement vient de publier un décret précisant les 10 milliards d’économies pour 2024 sur les dépenses de l’Etat. En revanche, le Centre Éducatif Fermé (CEF) a son terrain, « et on a les financements, il pourrait ouvrir début 2026 ». Idem pour le second Centre de Rétention Administratif (CRA), le terrain est identifié, les études de faisabilité sont en cours, « cela devient urgent puisque les prolongations de dérogations d’utilisation des Lieux de Rétention administrative (LRA) se terminent en 2027 ». Par contre, rien de nouveau du côté du foncier pour une 2ème prison pourtant demandé par le Garde des Sceaux en mars 2022.

« Remettre à plat », est la première étape envisagée par le nouveau préfet, essentiellement en termes d’actions des forces de police et de gendarmerie, ce qu’ont évoqué leurs directions générales respectives. « En zone police, il manque une force de frappe plus percutante pour être plus offensif que défensif. » Et preuve qu’on marche à reculons, alors qu’une équipe cynophile était présente à Mayotte, « il n’y en a plus, ce qui implique de mettre en place un chenil ». Un arrêté d’éradication des chiens errants va être pris, « nous le préparons. »

Pour progresser sur l’ensemble de ces sujets, des rendez-vous réguliers, « tous les 15 jours », sont prévus avec les maires, dans l’idée de « l’aller vers », et non pas « d’être seulement dans l’attente. »

Anne Perzo-Lafond

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