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Mlezi Maore s’explique

Lors du tout récent mouvement social qui a secoué notre île, l’association Mlezi Maore a fait partie de ces associations d’aide aux personnes en situation de précarité qui ont cristallisé tout le ressentiment des manifestants des Forces Vives. Afin de dissiper les amalgames et malentendus dont elle a fait l’objet, sa présidente Fahoullia Mohamadi et son directeur général Hugues Makengo, ont souhaité s’exprimer dans nos colonnes.

Votre siège social de Cavani a été cadenassé le 6 février dernier le même jour que le tribunal sans provoquer de réaction publique de votre part. Pourquoi choisir de vous exprimer aujourd’hui ?

Le siège social de Mlezi Maore avait été cadenassé le 6 février dernier par les manifestants des Forces Vives

Fahoullia Mohamadi et Hugues Makengo : Ce mouvement social était tellement gonflé d’émotions que nous avons préféré attendre que celles-ci retombent un peu avant de réagir, car nous n’aurions pas été audibles de toute façon. Nous avons toutefois été l’objet de beaucoup de rumeurs totalement fausses et d’amalgames. C’est pourquoi nous tenons à rétablir la vérité ici et à présenter aux Mahorais les véritables missions de notre association. Nous tenions également à dire que nous partageons complètement les préoccupations de la population et nous estimons que ce mouvement était parfaitement légitime. Cependant, il a malheureusement été vecteur de beaucoup de désinformation, la principale étant que nous serions une association d’aide aux migrants. C’est absolument faux. Mlezi Mahorais est une association d’aide aux personnes vulnérables qui comprend 700 salariés. Notre but est d’accompagner les personnes en situation de vulnérabilité vers une amélioration de leur situation en fonction de leur singularité. L’association comporte quatre pôles : le pôle jeunesse, le pôle handicap, le pôle solidarité et le pôle vie sociale et insertion.

Pouvez-vous expliquer quel rôle vous avez joué dans le cadre du relogement des migrants du camp du stade de Cavani ?

Fahoullia Mohamadi et Hugues Makengo : Cette mission de relogement, assurée par le pôle solidarité, nous a été confiée par l’Etat dans le cadre de la loi Elan. Cette loi permet de loger ou reloger des personnes en situation de grande précarité. Nous assurons donc cette mission dans le cadre d’une délégation de service public. C’est la Direction de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DEETS) qui définit les ayant-droit et nous en fournit la liste. De notre-côté, nous louons des maisons à des particuliers dans lesquelles nous relogeons ces personnes. C’est cette procédure qui a été appliquée dans le cadre du démantèlement du camp de migrants du stade de Cavani revendiqué par les manifestants. Il s’agit exactement de la même procédure que lors des décasages ordonnés par l’Etat. Nous tenons toutefois à bien préciser que le cœur de notre activité n’est pas l’aide aux migrants, mais la solidarité d’une manière générale. Nous assurons une mission de service public d’intérêt général qui nous est confiée soit par l’Etat soit par les collectivités. Ces derniers financent nos actions dans le cadre d’appels à projets ou d’expérimentations. Nous avons signé une convention avec l’Etat en 2021 pour assurer cette mission, ce n’est pas l’association par elle-même qui décide de reloger les gens. En France, on ne peut pas agir hors cadre et notre capacité d’hébergement est de toute façon limitée et provisoire. Si toute l’Afrique se déversait sur Mayotte, nous ne pourrions pas loger tout le monde.

Certains représentants des Forces Vives ont pointé du doigt une subvention de plusieurs millions d’euros que Mlezi Maore aurait touché, qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

Fahoullia Mohamadi, doctorante en Chimie et ingénierie des biomolécules, est présidente de Mlezi Maore depuis le 3 juillet 2023

Fahoullia Mohamadi et Hugues Makengo : Il s’agit en réalité d’un financement national attribué au groupe SOS Jeunesse auquel l’association Mlezi Maore est rattachée. Ce financement a en effet été attribué au secteur solidarité du groupe SOS Jeunesse chargé de l’accompagnement des migrants. Mais à Mayotte, nous n’avons strictement rien reçu de ce financement, ce sont les collègues de métropole qui en ont bénéficié. Lors de la crise de 2023, lorsque nous avons essuyé un retard de 10 mois dans le versement de nos subventions par l’Etat, le groupe SOS Jeunesse nous a prêté 2 millions d’euros pour que nous puissions continuer à fonctionner. Cette somme lui a été entièrement remboursée dès que nous avons enfin touché nos subventions. Sans cette aide du groupe SOS nous aurions été obligés de mettre la clé sous la porte. Nous répondons à un besoin. Le financeur, à savoir l’Etat, paye le prix juste. S’il y a un excédent, nous décidons quoi en faire en le reportant sur les années suivantes.

Certains membres des Forces Vives soupçonnent Mlezi Maore de participer au « trafic de migrants » entre l’Afrique continentale et Mayotte. Que répondez-vous à cette accusation ?

Fahoullia Mohamadi et Hugues Makengo : Quel serait l’intérêt de Mlezi Maore d’organiser un tel trafic puisque nous ne touchons pas d’argent pour loger les migrants ? C’est une partie de la subvention attribuée au pôle solidarité dans son ensemble qui est utilisé dans le cadre des opérations de relogement, que celles-ci concernent des migrants ou des Français. Cette accusation est donc parfaitement infondée et injuste. En outre, si nous apprenions qu’un de nos salariés aidait des migrants dans un autre cadre que celui de notre mission de délégation de service public, il serait immédiatement licencié. Les Forces Vives revendiquent « la fin de l’apartheid législatif », elles doivent donc avoir conscience que c’est aussi ça la France. Nous agissons justement dans le cadre de la loi française.

Mlezi Maore a aussi beaucoup été associé aux jeunes délinquants lors du mouvement social des Forces Vives. Pouvez-vous clarifier le rôle que vous jouez auprès de ce public ?

Mlezi Maore est l’une des associations auxquelles l’Etat a confié la mission de reloger les migrants du stade de Cavani, mais il ne s’agit pas là du coeur de son activité

Fahoullia Mohamadi et Hugues Makengo : Lorsque les mineurs délinquants sont interpelés, ils passent devant le juge pour enfants. Ce dernier peut décider d’un placement qui s’effectue via la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) qui les orientent ensuite vers nous. Nous avons deux centres d’hébergement pour les mineurs délinquants : le Dago, un établissement de Placement Educatif (EPE) et le Centre Educatif Renforcé (CER). En tout, cela ne fait que 20 places pour une durée de 6 mois maximum. Nous n’accueillons donc qu’une 40aine de jeunes délinquants à l’année. Ensuite, ces derniers repartent pour la PJJ. Les milliers de jeunes délinquants qui sévissent sur le territoire sont donc bien loin d’avoir tous affaire à notre association ! Notre logique est celle de la réinsertion pour ces jeunes, mais leur prise en charge ne constitue qu’une part infime de notre activité globale. En 2021, sur les 7500 bénéficiaires que comptait Mlezi Maore, il n’y avait que 40 mineurs délinquants. Or, par des raccourcis fallacieux et délétères pour notre personnel, on a considéré Mlezi Maore comme une association d’aide aux migrants et aux jeunes délinquants, ce qui n’est pas le cœur de notre activité. Le cœur de notre activité est la solidarité.

Comment avez-vous réagi lorsque les manifestants ont cadenassé votre siège social ?

Fahoullia Mohamadi et Hugues Makengo : Nous n’avons pas souhaité aller au conflit. Il n’aurait pas été prudent de mettre notre personnel en danger en tentant de réagir à ce moment-là alors qu’il y avait tant de colère dans l’air. Nous sommes restés fermés ce jour par respect pour les manifestants et nous avons repris le cours normal de nos activité le surlendemain puisque le lendemain était un jour férié. Nous avons toutefois été surpris de cette décision de cadenasser les associations, le tribunal, la préfecture et même quelques écoles sur fond de revendications pourtant légitimes. Pour nous, ces actions sont le fruit d’une désinformation totale sur la nature de nos activités. Nous n’avons pas eu l’occasion de rencontrer les leaders du mouvement, mais il n’est pas trop tard, nous restons ouverts au dialogue. Nous les invitons d’ailleurs vivement à venir nous voir pour mieux comprendre ce que nous faisons et comment nous le faisons. Nous menons nos activités en toute transparence. Nos budgets et nos sources de financement sont disponibles sur internet à portée de clic. L’unique limite à notre communication est le secret professionnel : nous ne pouvons pas évoquer les situations individuelles.

Propos recueillis par Nora Godeau

 

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