L’actualité récente ne nous avait pas permis de rendre hommage à Vincent Boullet. Botaniste émérite, docteur en phytosociologie*, il fut directeur scientifique du Conservatoire botanique national de Mascarin (CBNM) qui l’amenait à Mayotte pour la 1ère fois en 2004. Il en tombait amoureux, notamment de la flore locale, et a mené un travail de fond pour en répertorier les espèces, mais également, créer les outils pédagogiques adaptés pour transmettre ses connaissances.
Nous avions rencontré Vincent Boullet en 2019 lors de la préparation d’une conférence sur l’ilot M’bouzi, dont il détaillait la diversité, et pour lequel il se réjouissait d’un retour à un côté sauvage, après avoir été un site d’élevage de chèvres (d’où son nom), une léproserie, un site agricole, et un parc à makis.
Il est malheureusement brutalement décédé ce 13 février 2024 au CHM à 68 ans, alors que, de retour à Mayotte, il avait prévu de poursuivre un travail en cours d’une monographie sur les végétations de Mayotte
Nous publions intégralement le témoignage touchant d’Abassi Dimassi, chargé des missions de prospection, d’inventaire floristique et de récoltes de diaspores au CBNM, qui voyait en Vincent Boullet, un mentor. Il souligne ses qualités de chercheurs, mais aussi sa grande écoute et sa disponibilité pour former une nouvelle génération de botanistes. Nous apportons seulement des précisions sur les termes scientifiques par les astérisques.
Hommage à Vincent Boullet d’Abassi Dimassi
« Vincent Boullet a effectué sa première mission à Mayotte en 2004. Il est alors directeur scientifique du Conservatoire botanique national de Mascarin (CBNM). Cette première mission avait pour objet l’étude de la flore et des végétations de Mayotte, en lien avec le Service Environnement et Forêt (SEF) de la Direction de l’Agriculture et de la Forêt (DAF) de Mayotte. Ces premières études contribueront à la mise en œuvre de l’inventaire ZNIEFF (Zone Naturelle d’Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique de Mayotte), dont Vincent sera co-coordinateur du rapport, et coordinateur scientifique (Rolland et al, 2005). S’agissant de l’étude des végétations, entre 2004 et 2005, plus de 200 relevés phytosociologiques ont été réalisés par Vincent Boullet. A noter que la connaissance de la flore de Mayotte étant encore largement lacunaire, il a bénéficié de l’aide de Fabien Barthelat et son équipe (Maoualida Mchangama et Baco Ali Sifari) du Service Environnement de la DAF.
Ce travail a abouti, notamment à l’élaboration de la typologie des habitats de Mayotte, qui s’appuie sur un mémoire inédit « Aperçu préliminaire de la végétation et des paysages végétaux de Mayotte » (Boullet, 2005).
Toujours en 2005, il rédige la première typologie des milieux naturels et des habitats terrestres et littoraux (supralittoral, médiolittoral pro parte) de Mayotte.
A l’occasion de l’étude sur la mise en place de l’inventaire ZNIEFF, Fabien Barthelat a réalisé le référentiel de la flore vasculaire de Mayotte, intitulé « Index de la flore vasculaire de Mayotte -version 2005-1 » avec l’appui de Vincent Boullet.
Après cette première mission à Mayotte, Vincent Boullet a poursuivi ses travaux sur la flore et les habitats de Mayotte, tout en œuvrant pour la création d’une antenne du Conservatoire Botanique National de Mascarin à Mayotte. En 2007, le Conservatoire Botanique National de Mascarin a vu l’extension de son agrément aux territoires de Mayotte et des îles Eparses. La création de l’antenne mahoraise du Conservatoire Botanique marquera la mise en place d’un référentiel taxonomique** de la flore vasculaire de Mayotte, cette fois-ci géré et mis à jour par le conservatoire.
Cette même année, avec la contribution de Guillaume Viscardi et Valérie Pascual, il produit la carte de la végétation et des habitats de Mayotte, pour le massif de Sohoa et la baie de Tsingoni (format SIG MapInfo), et sa notice d’accompagnement.
En 2008, Vincent Boullet quitte ses fonctions de direction scientifique au Conservatoire Botanique National de Mascarin pour rejoindre celui du Massif Central. Loin des îles françaises de l’Océan Indien, il gardera malgré tout un œil attentif sur ces territoires, faisant partie du Conseil scientifique du patrimoine Naturel de Mayotte. En 2019, il devient en outre le président du Conseil Scientifique du CBNM. Durant ce mandat, il a fait preuve d’une grande disponibilité afin de soutenir et orienter les productions scientifiques des équipes.
En 2020, il mettra à jour l’index de la flore vasculaire de Mayotte, la dernière version datant de 2016. Il reprendra toutes les évolutions taxonomiques, la mise à jour du statut de protection régionale pour les espèces récemment protégées (AP 362/DEAL/SEPR/2018), et les espèces nouvellement connues sur le territoire ou nouvelles pour la science. Ainsi, ce travail aboutira à la version 2020.2, la version finale, datée du 1 décembre 2020.
Sa contribution à la formation des jeunes générations de botanistes du territoire, que ce soit dans le transfert de la gestion de l’index de la flore vasculaire de Mayotte, ou encore en phytosociologie, est également essentielle. A ce titre, il a conçu et mis en œuvre deux formations en phytosociologie, la première réalisée en 2018 à destination de trois chargés de mission de l’antenne de Mayotte du CBNM, sur la réalisation de relevés phytosociologiques en forêt naturelle, et une dernière plus complète en 2023, cette fois-ci ouverte aux différents acteurs de l’environnement.
Acteur essentiel et prolifique de la préservation des écosystèmes terrestres, Vincent a réalisé un énorme travail sur l’Ilot Mbouzi, classé RNN depuis 2007, en particulier sur la cartographie des végétations de l’îlot, qui a nécessité la réalisation de nombreux relevés phytosociologiques. Cette étude a été réalisée en 2018 en partenariat avec l’antenne de Mayotte du Conservatoire Botanique National de Mascarin. Elle a non seulement abouti à la réalisation de la cartographie des habitats de l’îlot, mais aussi à la découverte de taxons*** nouveaux pour l’îlot ou pour Mayotte, et de nouvelles stations d’espèces patrimoniales.
Nous pouvons également souligner sa contribution à la connaissance des zones humides de Mayotte en particulier les sites de la lagune d’Ambato (Mtsangamouji), du lac Karihani (Tsingoni) et des prairies humides de Tsimkoura et Malamani (Commune de Chirongui). Ces connaissances donnent un éclairage remarquable et indispensable aux actions de gestion passées et à venir pour protéger ces milieux fondamentaux.
Enfin, connaissant les difficultés à assimiler toute cette connaissance de la flore de Mayotte, notamment pour les jeunes générations, Vincent Boullet a entrepris depuis des années l’élaboration d’une clé végétative afin de rendre cette connaissance accessible à tous ceux qui s’y intéressent. Un travail très méticuleux et de longue haleine, organisé en 4 volets. Malheureusement, seuls 2 des 4 volets ont abouti aujourd’hui.
Revenu à Mayotte en janvier 2024 pour des raisons personnelles, il avait l’intention, entre autres, de finaliser sa monographie sur les végétations de Mayotte. Malheureusement son décès survenu le 13 février au Centre Hospitalier de Mayotte est venu mettre un terme ses nombreux projets en cours.
Les obsèques de Vincent Boullet ont eu lieu ce lundi 26 février 2024 à Beauvais. Il est inhumé au cimetière de Lihus dans le caveau familial.
Je retiendrai cette phrase prononcée en forêt de Bénara : « Quand on vieillit, on devient nerveux car on se dit qu’on n’aura jamais le temps de finaliser les projets en cours ». Cette phrase, sans doute banale au moment où elle a été prononcée, prend tout son sens aujourd’hui. Malheureusement tu es parti trop tôt. A nous de prendre la suite de toute ton œuvre pour faire avancer la connaissance et la conservation du patrimoine naturel de Mayotte, que ce soit au niveau de la flore vasculaire ou des végétations. Le destin a voulu que tu partes à Mayotte, comme un dernier clin d’œil à notre île à laquelle tu as tant apporté.
Remerciements éternels pour l’ensemble de ton œuvre, nous retiendrons de toi ta générosité, ta disponibilité et ton esprit de partage de la connaissance scientifique. Merci à toi mon ami, mon maître.
Merci Cathy pour la photo de Vincent
Abassi DIMASSI
*L’étude de la végétation et de ses relations avec le milieu
** Classification
*** Le taxon est une unité taxonomique reconnue par les codes internationaux dans une classification donnée