Beaucoup de Mahorais ont pu constater que les poulets de la marque mahoraise « Mon pouleti » font cruellement défaut depuis maintenant quelque temps dans les rayons des magasins alimentaires. Et pour cause, toute la filière qui va de l’importation d’œufs fécondés, des aliments pour nourrir les animaux, à l’élevage des poulets se retrouve totalement bouleversée, comme l’explique Loïc Breton, directeur général d’AVM (Abattoir de volailles de Mayotte) et qui commercialise les poulets « mon pouleti » sur notre territoire.
« Nous commençons à être au bord de l’asphyxie, avec une hausse des difficultés depuis une quinzaine de jours. Les barrages paralysent toute la filière avicole, mais aussi toute l’agriculture de l’île de manière générale. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, Mayotte est connectée au reste du monde… J’en veux pour preuve la guerre en Ukraine qui fait exploser le prix des matières premières et les coûts de l’énergie. Les blocages n’ont fait qu’accentuer les difficultés. Aussi je pense qu’il ne faut pas tout mélanger et ne pas opposer les gens. Quand la filière avicole est touchée c’est toute une chaine qui en subit les conséquences avec ses salariés ».
Des éleveurs exploitants dépendant de la liberté de circuler
AVM regroupe plusieurs actionnaires parmi lesquels 26 éleveurs. Naouiroudine Ndzakou, fait partie de l’un d’eux, il élève ses volailles du côté de Sada et la crise que connait l’île actuellement met en péril son exploitation, même s’il comprend le mouvement. « Tous les Mahorais ont été au moins une fois confrontés à la violence… Je comprends les revendications. Mais là nous rencontrons des grosses difficultés pour récupérer les aliments afin de nourrir les volailles mais aussi pour sortir les poulets de l’abattoir, c’est très compliqué même si les barragistes, après négociations, nous laissent passer le lundi, le mercredi et le vendredi ».
En effet, pour élever des volailles à Mayotte il faut faire venir les œufs fécondés et des matières premières pour la nourriture. « Le blocage du port de Longoni, de l’aéroport de Petite-Terre et les problèmes de barges impactent énormément notre logistique. Les poussins naissent à Mayotte et sont achetés par les éleveurs ainsi que les matières premières qu’il faut importer aussi, indique le directeur d’AVM. Il faut bien comprendre que c’est une filière organisée avec des planning précis. Il se passe 4 mois entre le moment où les œufs arrivent et le moment où le poulet se retrouve dans l’assiette. Aussi la crise actuelle chamboule toute notre organisation », raconte le directeur d’AVM.
Difficultés que confirme Naouiroudine, « Il faut environ deux mois pour élever un poulet… Si nous ne pouvons pas l’emmener à l’abattoir il va grossir, consommera plus d’aliments et sera encore plus difficile à élever. Les blocages entrainent un décalage dans l’organisation car tout est lié. Il y a par exemple le vide sanitaire qu’il faut respecter entre deux lots de volailles. Cela consiste à nettoyer, vider, désinfecter afin de rendre les bâtiments propres, laisser l’exploitation se reposer avant qu’un autre lot de poussins arrive pour y être élevés. Cela augmente la pression au niveau de la bio-sécurité … ».
Un éleveur de volaille effectue environ 4 bandes d’élevage par an, c’est à dire qu’il élève des volailles, les envoie à l’abattoir avant de recommencer à nouveau. S’il loupe une mise en place (à cause des barrages qui l’ont empêché d’écouler ses volailles en tant et en heure), c’est 25% de perte sèche pour lui sur l’année, l’enjeu est donc considérable.
De gros investissements ont été faits ces dernières années pour développer et organiser la filière avicole
Ce sont environ 470.000 volailles qui auraient dû être abattues cette année, en 2024. « En un mois ce sont déjà plus de 30.000 volailles qui n’aurons pas été à l’abattoir, cela représente environ 45 tonnes. Il va être difficile de rentrer dans nos objectifs que nous avions chiffrés à environ 700 tonnes. Aussi dans le cadre du développement de l’autonomie alimentaire dans les DROM, l’État nous assigne comme objectif de produire 10% de la consommation de volailles à Mayotte d’ici 2030, soit un peu près 2.000 tonnes par an. Nous étions à 350 tonnes en 2022 et 500 tonnes en 2023. L’État a investi de l’argent pour structurer la filière… Dans cette crise que nous connaissons aujourd’hui, nous avons le soutien de la DAAF* et d’autres organismes qui nous aident et relaient nos difficultés auprès de la préfecture », insiste Loïc Breton.
Des investissements ont été fait afin de pouvoir atteindre les objectifs fixés par l’État, l’abattoir de Kahani a été dimensionné pour ça. A titre d’exemple, cette semaine 5.500 volailles devraient être abattues au lieu des 7.000 à 7.500 souhaitées. Aussi en dépit de l’inflation en 2023 et 2024, le directeur général d’AVM assure que les prix n’ont pas augmenté, mais que les difficultés entraineront mécaniquement des hausses de coût. « Chaque personne doit gagner sa vie. Notre philosophie est de nourrir le plus grand nombre au juste prix et d’impliquer les gens au niveau local », souligne-t-il.
Depuis 10 ans la filière s’est de plus en plus structurée et la création récente de cet abattoir est le point d’orgue pour arriver aux objectifs fixés pas l’État. Ainsi, en 2012 création d’un site de production d’aliments pour les animaux d’élevage. 2015, la construction d’un couvoir pour faire éclore les œufs. 2017, naissance d’AVM, et 2021 l’agrandissement de l’abattoir avec un espace charcuterie. Rien que sur le site de Kahani ce sont près de 13 millions d’euros qui ont été investis car tout y est réuni. « On porte de gros projets d’investissement, on crée de la valeur et des emplois, ce sont ainsi 30 personnes qui travaillent sur le site à Kahani. Il en est de même pour les exploitants nous devons aider pour moderniser leur équipement, notamment leurs bâtiments. Cela représente un investissement d’environ 6 millions d’euros pour moderniser 9.500m2 de bâtiments d’élevage », complète Loïc Breton.
Naouiroudine devrait être le premier éleveur de volailles de l’île à en bénéficier mais tout est remis en question à cause des blocages. « Le chantier est à l’arrêt et prend du retard. Cela fait 7 ans que je travaille sur ce dossier pour trouver les financements, les aides, la conception, etc. ». Si cette situation devait se maintenir voire empirer c’est tout une filière, plusieurs centaines de personnes, qui vont se retrouver sur le carreau.
B.J.
- Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt