Attendu mardi soir, le courrier de Gérald Darmanin aux Forces Vives n’est arrivé entre leurs mains que mercredi midi alors que tous les manifestants étaient réunis en un grand congrès de plus de 1000 personnes à Pamandzi. Il était temps, car certains membres du mouvement commençaient déjà à crier au « mépris » et au « mensonge » du gouvernement. Toutefois, ce courrier du gouvernement a divisé les Forces Vives. En effet, alors que le point principal de revendication était, et est toujours, « l’abrogation immédiate du titre de séjour territorialisé », le courrier n’en fait mention que sur une ligne en près de trois pages de texte, en ces termes : « Nous vous confirmons que le gouvernement proposera de refondre totalement le droit des étrangers à Mayotte pour baisser drastiquement le nombre de titres et mettre également fin au titre de séjour territorialisé ». Il est précisé que cette refonte intègrera le projet de loi d’ « urgence pour Mayotte » que Gérald Darmanin et Marie Guévenoux présenteront au conseil des ministres du 22 mai 2024.
Une prose qui présente plusieurs points d’ambiguïté et c’est là que le bât blesse. Ce projet de loi d’ « urgence pour Mayotte » correspond-il à la « loi Mayotte » sur le feu depuis plusieurs années ? Si l’abrogation du titre de séjour territorialisé est conditionnée au vote d’une loi, est-ce donc qu’il y a une chance qu’il ne soit pas réellement abrogé ? Autant de questions que se sont posés les différents leaders des Forces Vives. Certains, comme Saïd Kambi, ont appelé au durcissement des barrages, faute d’une abrogation immédiate de ce titre de séjour, haranguant la foule de sa colère tout comme Sylviane Amavie. Mais les plus sages à savoir Safina Soula et Badirou Abdou, ont appelé au calme et à la réflexion, deux qualités qui ne pouvaient pas éclore en plein milieu d’un congrès de plus de 1000 personnes et des harangues des uns et des autres.
Le courrier sera analysé par une équipe de juristes au service des Forces Vives
« Chat échaudé craint l’eau froide » : cette expression convient tout à fait aux Forces Vives et à la population mahoraise en général d’ailleurs. Comme l’a rappelé Badirou Abdou à la foule : « nous nous sommes fait berner par le gouvernement en 2011, nous nous sommes fait berner par le gouvernement en 2018, eh bien en 2024 nous ne nous laisserons pas nous faire berner ! ». Redoutant le langage politicien du gouvernement, les Forces Vives veulent être sûres qu’il n’y ait pas « de piège » dans le courrier du ministère de l’intérieur et des Outre-mer. « Nous ne pouvons pas prendre notre décision tout de suite. Nous allons faire analyser scrupuleusement ce courrier par notre équipe de juristes », a déclaré Safina Soula à l’issue du congrès. Si le juriste Thomas M’saïdié est connu pour travailler pour les Forces Vives, Safina nous confie qu’il ne sera pas le seul à analyser ce courrier. « C’est le juriste le plus médiatique, mais nous en avons d’autres », précise-t-elle.
Toutefois, elle avoue à demi-mot qu’elle considère quand même ce courrier comme « une première victoire, une porte d’entrée à d’autres négociations ». En effet, certaines revendications des Forces Vives sont absentes du courrier : aucune mention de l’état d’urgence sécuritaire, pas de calendrier précis concernant la lutte contre l’insécurité, rien sur la situation diplomatique avec les Comores ni la question du sort des mineurs délinquants qui font régner la terreur sur l’île. Afin d’aborder ces questions, Safina Soula souhaiterait dans l’idéal la visite à Mayotte du ministre des Affaires étrangères et celle du ministre de la Justice.
En tout cas, dans l’attente de l’analyse du courrier pour déterminer si le titre de séjour territorialisé sera bien abrogé d’une manière certaine et concrète, les barrages sont pour l’instant maintenus. Certains, comme celui de la barge, tenu par Sylviane Amavie, vont même se durcir. Car chaque leader a sa propre interprétation du courrier. Toutefois, tous les leaders nous ont confirmé que, même en cas de durcissement, les secours, les soignants et toutes les personnes mentionnées dans la charte pourront continuer à passer. « Durcissement signifie juste une multiplication des points de barrage », précise Saïd Kambi. Ce ne sera cependant pas le cas sur toute l’île. Ce « chaos » règnera encore quelques jours, le temps qu’ils aient fait analyser le courrier par leurs juristes. D’ici là, les habitants de Mayotte doivent encore prendre leur mal en patience quelques temps !
Nora Godeau