L’annonce explosive de Gérald Darmanin ce dimanche a sidéré la grande majorité de ses interlocuteurs. Même les Forces vives qui menaient le combat de la levée de la territorialisation du titre de séjour ne s’attendaient pas à un tel cadeau d’avant Ramadan, que cette abrogation du droit du sol circonscrite à Mayotte. Aussitôt les médias nationaux titraient en écho, « à quand pour la métropole ? », justifiant notre qualificatif de Mayotte-laboratoire pour la France.
La levée du droit du sol à Mayotte implique une révision de la Constitution. À l’origine d’une révision constitutionnelle, il peut y avoir soit une initiative du Président de la République, sur proposition du Premier ministre, et on est en présence d’un projet de révision, soit une initiative de n’importe quel parlementaire, c’est-à-dire un député ou un sénateur, et on est en présence d’une proposition de révision.
Proposée par Emmanuel Macron, il s’agit donc d’un projet de révision portant sur la levée du droit du sol. Le Président de la République peut décider soit de les présenter au référendum, soit de les soumettre au Parlement convoqué en Congrès. Dans ce dernier cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Les parlementaires mahorais doivent donc se mettre d’accord sur le combat à mener, une unité pas évidente, et se mettre en ordre de marche, faisait remarquer ce dimanche Estelle Youssouffa.
Par deux fois, le référendum, inscrit à l’article 11 de la Constitution, a été utilisé, rapporte le site du Conseil constitutionnel, et par le général de Gaulle. En 1962, pour obtenir l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, et non plus par un collège électoral. Mais devant l’hostilité du Sénat, il a recours à l’article 11 qui lui permet de « soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ». Le peuple français répondra favorablement. Ce qui ne fut pas le cas lors du second recours au référendum portant sur la transformation du Sénat en 1969, qui incitait le général de Gaulle à démissionner.
La moitié des naissances impactée
Selon le Conseil constitutionnel, le pouvoir de réviser la Constitution, « est souverain » c’est à dire qu’une révision constitutionnelle peut avoir pour objet d’abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle.
S’il s’agit d’une annonce sans précédent en France, elle doit suivre le temps législatif. Les révisions institutionnelles sur l’IVG ou la Corse pourrait servir de support législatif, selon le ministre de l’Intérieur. Ou bien, le président choisit le référendum.
Regardons maintenant les effets de la mesure sur le plan pratique. Sur la carte du monde, le droit du sol, « jus soli », s’applique dans une minorité de pays, une trentaine seulement, dont la majorité aux Etats-Unis. Il est à géométrie variable en fonction de la législation, mais on peut dire que tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à ses 18 ans, à condition qu’il ait résidé dans le pays au moins 5 ans depuis ses 11 ans. Mais la France pratique également le « double droit du sol » : tout enfant né en France obtiendra la nationalité française si au moins un des parents est né en France.
Une mention importante au regard des conditions exigées pour le droit du sang, « jus sanguinis », qui s’appliquerait donc à Mayotte. Dans ce cas, un enfant né de deux parents étrangers à Mayotte, ne pourra plus obtenir la nationalité française, sauf si au moins un des parents est Français. Cela lui permet alors d’obtenir la nationalité française. On peut dire que le contexte incite au minimum à la vigilance.
Tout d’abord parce que selon l’INSEE, « les trois-quarts des bébés nés en 2022 ont une mère étrangère, souvent comorienne », mais « plus d’un sur deux a au moins un de ses parents français ». Donc, la réforme du droit du sol va toucher non pas 90% des naissances comme l’avance Gérald Darmanin, mais la moitié, soit environ 5.000 des 10.000 naissances par an. Leurs parents étrangers, ne pourront plus demander de titre de séjour en tant que parents d’enfant français.
40 fois papa en un an !
Il faut donc parallèlement contrôler les unions financées à des fins d’obtention de nationalité et les reconnaissances frauduleuses de paternité. A ce sujet, le préfet Thierry Suquet annonçait au cours de la visite ministérielle, avoir découvert « qu’un père avait reconnu 40 nouveau-nés en un an ! ». Un étalon, même en cas de polygamie ! Ce qui implique que l’agent communal d’état civil n’ait a minima pas réagi sur ces naissances multiples, ou arrondisse les fins de mois autant que les ventres des futures parturientes.
D’autre part, il faut étudier l’impact de la précédente mesure de durcissement du droit du sol obtenu par le Sénateur Thani Mohamed Soilihi en 2018. Elle commence à peine à porter ses fruits par les réactions d’hostilité des étrangers venus accoucher à Mayotte qui s’aperçoivent que leur enfant ne pourra acquérir la nationalité française, ce qui les prive de titre de séjour. On est donc toujours dans une conséquence a postériori, pas encore dans une dissuasion de faire le voyage d’Anjouan vers Mayotte.
200 retraits de titres de séjour depuis 2022
Et encore faut-il étudier de plus près les raisons des arrivées. Chercher à obtenir la nationalité et le rapprochement familial est une chose, mais on note aussi la quête de meilleures conditions de vie : suivi des mères enceintes, accouchement gratuit et dans de meilleures conditions qu’aux Comores, garantie de scolarisation – bien que la saturation des écoles rende ce droit de moins en moins vrai – ainsi que l’accès à des services publics de meilleure qualité qu’à Anjouan.
Enfin, il faut trouver une solution pour les étrangers en situation irrégulière actuellement sur l’île et qui ne seront pas concernés par la rétroactivité de l’évolution constitutionnelle.
Nous avons également interrogé le préfet Thierry Suquet sur les mesures coercitives possible sur les détenteurs de titres de séjour ayant commis des actes de délinquance, notamment chez les parents d’enfants ayant commis de tels actes, comme le demande le maire de Dembéni Moudjibou Saïdi : « Dans ce cas, un retrait est impossible, mais nous pouvons en refuser le renouvellement. Depuis septembre 2022, nous avons retiré 200 titres de séjour en lien avec des faits de délinquance. Cela reste une décision individuelle, nous faisons du cas par cas », indique-t-il.
La levée du droit du sol si elle parait être à première vue une solution rapide et radicale au flux migratoire qui étouffe le département, induit de nombreux questionnements auxquels il faut répondre au préalable.
Le plus grand mérite de l’annonce de Gérald Darmanin est de proposer des pistes de solutions et ainsi de redonner le l’optimisme sur un territoire où la violence et la délinquance semblent être devenues endémiques et n’intéressaient plus personne.
Anne Perzo-Lafond