« La situation est insoutenable. L’insécurité atteint des sommets jamais franchis auparavant. On est dans de l’ultra-violence », déplore une médecin, travaillant à Mayotte depuis près de 15 ans.
« C’est invivable, chaque jour, matin, midi et soir, on s’écrit, on s’appelle, on se demande si on peut passer, si untel est passé, si notre collègue est bien rentré, si un autre n’a pas été agressé, c’est horrible ! On ne peut pas vivre comme ça », martèle un infirmier du CHM.
Depuis plusieurs jours, circuler sur les routes de Mayotte, c’est circuler en terrain miné. Certaines sont bloquées par des barrages tenus par des manifestants du collectif des citoyens de Mayotte et des habitants en colère, d’autres routes sont barrées par des arbres abattus, et de façon aléatoire et imprévisible, les axes routiers sont constamment paralysés par des jeunes délinquants qui sèment la terreur sur les voies.
« Lorsqu’on part de chez soi, on ne sait pas si nous pourrons atteindre le CHM et rentrer chez nous le soir », explique une soignante. Pour cette professionnelle de santé, ce contexte entraîne deux conséquences majeures sur le système de soins : d’une part, les soignants ne peuvent pas se déplacer pour rejoindre leur lieu de travail, ni partir en intervention sur la route pour aller secourir des gens, d’autre part, il devient « presqu’impossible de transférer un patient vers le CHM en raison de la dangerosité des axes routiers. »
La direction du CHM a notamment fait savoir que dans ce contexte, le Centre médical de référence (CMR) de Kahani se trouvait en situation d' »isolement quasi total ». Jean-Mathieu Defour déplore que les véhicules de secours et les soignants ne puissent pas franchir les barrages : « On a du mal à envoyer des soignants sur site, à organiser le transports des patients et à gérer les approvisionnements du CMR, c’est extrêmement difficile. »
Lundi alors qu’une personne avait été sauvagement agressée proche de son domicile à la pointe de Koungou, cette soignante était prête à venir secourir cet homme ensanglanté, mais il ne lui aura jamais été possible de lui porter secours, en raison de l’ultraviolence qui se jouait sur les routes.
Actuellement, lorsqu’un patient nécessite d’être transféré vers le CHM, les régulateurs du Centre 15 font leur possible pour organiser ces transferts par moyen héliporté. Problème : l’hélicoptère du SAMU ne peut se poser n’importe où, il n’est pas déployé la nuit et un seul hélicoptère pour toute une île bloquée n’est pas suffisant pour répondre à la demande de soins.
Autres difficultés parmi ces innombrables problématiques engendrées, la question du ravitaillement. Actuellement, toutes les logistiques des services publics, y compris du CHM, sont perturbées. En dépit de la levée (relative) de certains barrages dans le week-end ayant permis au CHM de se réapprovisionner, certains soignants vendredi ont travaillé en tenue civile, faute de tenues disponibles du CHM.
QU’EST-CE QU’ON ATTEND POUR DÉPLOYER DES NAVETTES MARITIMES ?
Et tandis que les routes sont en feu, le lagon, lui, depuis plusieurs jours, est d’un calme olympien. Ces difficultés de circulation par voie terrestre suscitent d’autant plus d’interrogations et de frustrations lorsqu’on se remémore les années où des navettes maritimes (« taxi boat ») avaient été déployées pour assurer le transport des soignants d’un point à un autre de l’île lorsque les routes étaient bloquées.
En 2011, lors des manifestations, mobilisations et blocages qui avaient duré près de trois mois, des navettes maritimes avaient été réquisitionnées par le CHM pour pour permettre aux soignants d’assurer une continuité de soins sur les sites le nécessitant. A titre d’exemple, un transport maritime entre Koungou et Dzoumogné avait été organisé, avec un départ tous les matins à 9h et un retour à 15h pour se rendre au Centre Médical de Référence (CMR) de Dzoumogné.
La Direction du CHM étudie sérieusement cette possibilité de pouvoir recourir à des transports maritimes, néanmoins l’imprévisibilité des barrages et leur mobilité constante, rend difficile la prévision de ces futurs trajets maritimes.
DES CORRIDORS SANITAIRES COMME EN TEMPS DE GUERRE ?
En effet, quand bien même des questions d’assurance seraient en jeu, en 2011, ces soignants pouvaient au moins se rendre sur des sites pour soigner des patients qui le nécessitaient. Tandis qu’actuellement, si les soignants ne peuvent atteindre le CHM pour y travailler, de très nombreux patients, ne peuvent pas non plus rejoindre l’établissement de santé. Et lorsqu’un accident se produit « il est trop difficile de nous déplacer par voie terrestre, c’est trop dangereux, on est vraiment coincés (…) les gens meurent et on ne peut pas les secourir ! » regrette un soignant.
Si transporter des patients par voie maritime ne peut être fait n’importe comment, se rendre a minima sur les lieux pourrait déjà être une première réponse de prise en charge. Aussi, cela pourrait permettre à des prestataires bateaux aussi d’être soutenus financièrement dans cette période difficile pour l’économie bleue du territoire.
De nombreux soignants continuent de réclamer l’instauration d’un état d’urgence à Mayotte et la mise en place de corridors sanitaires : « Il faut mettre en place des corridors sanitaires, comme en temps de guerre, car ici c’est la guerre ! »
A l’heure où nous préparons cet article, nous guettons cachés par de la végétation la fin de rixes à Majikavo Koropa. Lorsque les délinquants ont quitté les lieux, la voie est libre mais la route dégagée, reste inquiétante. Nous prévenons la médecin, bloquée au CHM, que nous avons au téléphone, que la voie semble être dégagée pour qu’elle puisse rejoindre son domicile. Ces incertitudes sont le quotidien d’une population, prise en étau dans cette violence. Plus tard, nous apprendrons avec soulagement que cette soignante a pu rentrer chez elle. Quelques heures plus tard, les hostilités reprennent, le bruit des flash ball et des bombes lacrymogènes raisonnent à nouveau. L’accalmie était de courte durée.
Y a-t-il un pilote dans l’avion, vu qu’il n’y a plus de commandants pour les barges ?
Mathilde Hangard