Vendredi 26 janvier 2024, à Tsararano, au sud-est de l’île, une trentaine d’habitants étaient réunis depuis plusieurs jours. Pneus, poubelles, bureau, micro-ondes, ferrailles, congélateurs étaient entassés pour empêcher les véhicules de circuler, générant d’importants embouteillages, tantôt de véhicules désirant passer, tantôt de véhicules laissés à l’arrêt, ne pouvant franchir le barrage. « Vous ne passerez pas, nous sommes en colère, ça suffit, cela dure depuis des années, en 2018 nous avions déjà bloqué Mayotte, et depuis, la situation n’a fait qu’empirer ! » proteste une femme aux commandes du barrage.
Notre rédaction a pu constater que seuls les automobilistes inscrits sur une liste étaient autorisés à circuler. La mise en place de ce dispositif obligeait ainsi les automobilistes qui souhaitaient franchir le barrage à marquer un temps d’arrêt, plus ou moins long selon les cas, avant de subir un contrôle de la plaque d’immatriculation de leur véhicule par les barragistes. Lorsque nous y étions, véhicules de secours, ambulances et véhicules de la gendarmerie étaient autorisés à circuler, à condition néanmoins, d’être inscrits sur la dite liste. Les laissez-passer dépendaient aussi souvent de situation étudiée au cas par cas.
Ces difficultés ont surtout été payées par le secteur sanitaire, où les professionnels de santé en exercice ont été contraints de remplacer leurs collègues absents, coincés aux quatre coins de l’île. A titre d’exemple, le 24 janvier 2024, dans le service néonatalogie du CHM, une seule infirmière était en poste pour s’occuper de trente bébés. Aussi, depuis une semaine, le centre médico psychologique (CMP) de Bandrélé n’a pu fonctionner car patients comme professionnels de santé ne pouvaient s’y rendre.
Les exemples de ces conséquences dramatiques sur le système de soins ont malheureusement été nombreux. Le Directeur du Centre hospitalier de Mayotte, Jean-Mathieu Defour, décrit une situation « catastrophique » : « La situation est catastrophique au CHM et dans les Centres médicaux de référence (CMR). Vendredi matin, 50% des agents des services hospitaliers (ASH) et 40% des infirmiers manquaient à l’appel dans l’ensemble du CHM. »
Une cellule de crise hospitalière a été activée vendredi pour gérer cette situation exceptionnelle. La direction du CHM a fait savoir que de nombreux véhicules de secours, ambulances et professionnels de santé n’étaient pas autorisés à passer les barrages, lorsqu’ils étaient en intervention, en exercice ou qu’ils se rendaient simplement sur le lieu de travail ou sur le chemin du retour jusqu’à leur domicile. Pour pallier cette situation « extrêmement difficile », l’Institut des études en santé (IES) de Mamoudzou s’est transformé en dortoir pour accueillir les professionnels de santé qui ne pouvaient rentrer chez eux. De même, des lits de médecine inoccupés ont été attribués aux professionnels de santé le nécessitant.
Vendredi soir, suite au démarrage du démantèlement du camp de migrants, qui a conduit au départ de 77 migrants du camp, le préfet de Mayotte a demande la levée de l’ensemble des barrages routiers et des blocages des lieux publics et administrations. Le représentant de l’Etat a autorisé le déploiement de deux blindés pour dégager la route des barrages érigés. De nombreux barrages du sud-est ont été levés, tels que celui de Tsararano, et du centre, tels que Chiconi, Combani et Coconi.
A ce jour, pour transporter des passagers d’un endroit à l’autre de l’île, des navettes maritimes ne sont pas encore démocratisées. Le tarif des prestations est souvent très coûteux, certains trajets ne sont possibles que pour l’aller (sans retour), et les navettes ont souvent comme seul point de départ, le ponton de Mamoudzou. Et depuis une semaine, dans les supermarchés, les denrées s’amenuisent, réflexe de survie des habitants gérant du stock alimentaire de peur de manquer si les barrages se poursuivaient ou vraies difficultés d’approvisionnements ? Le constat est le même : les rayons se vident.
Dans le week-end, certains barrages ont été levés, d’autres détruits puis réinstallés, des arbres ont notamment été abattus pour couper certains axes routiers. En dépit des annonces du Préfet, des représentants du collectif des citoyens de Mayotte ont exprimé leur détermination à reprendre les barrages pour continuer leur « combat pour l’avenir de Mayotte ».
Mathilde Hangard