Pas un jour ne passe sans qu’un évènement violent ne marque cette commune du Nord de l’île, voisine de Mamoudzou. Au milieu de nombreuses agressions, celle de deux agents de la mairie de Koungou à quatre jours d’intervalle a incité à la fermeture de la collectivité ce jeudi, mais dans la même journée, c’est le collège qui était également la cible de voyoux. Et les témoignages que nous avons recueillis font état d’un franchissement de plusieurs paliers de violence.
« A 11h, on nous a rapporté que des jeunes de Koungou jetaient des pierres à Trévani, et un quart d’heure après ils étaient devant le collège qu’ils ont commencé à arroser de pierres », témoigne un enseignant qui souhaite rester anonyme. Mais ce n’était pas un caillassage comme il y en a eu dans le passé, assure celui qui est à Mayotte depuis plusieurs années, « ils ont jeté des fers à béton et des pierres jusque dans la cour, qui sont tombés tout près des élèves au moment de la collation et cinq ou six d’entre eux, cagoulés, ont fracassé les vitres de l’établissement. Un élève en situation de handicap a reçu une pierre dans le dos, heureusement sans gravité, mais nous sommes passés tout près de la catastrophe. »
Immédiatement, le personnel a mis les élèves en sécurité, notamment dans la cour du haut, « nous sommes restés confinés de 11h45 à 14h30 ». Malgré l’arrivée de la gendarmerie « en quelques minutes », le caillassage va durer environ 20 minutes. « Le personnel de surveillance de l’établissement est sous le choc de la violence de l’évènement. On était devant la volonté de blesser voire de tuer, car les fers à béton ont manqué les élèves de peu. » L’enseignant a pourtant connu les violences lors des démolitions des quartier Jamaïque et Carobolé.
Capter la communication des délinquants et anticiper
Un autre personnel a voulu témoigner, également présent depuis 7 ans à Mayotte. Elle ne travaillait pas ce jour-là, mais circulait en scooter dans le village. « Juste avant de passer devant le collège, j’ai crevé. Heureusement, car sinon, je passais devant le collège au moment où les jeunes commençaient à s’en prendre aux voitures du personnel, avant de jeter des pavés sur l’établissement. J’ai pu laisser mon deux-roues aux gens du village que je connais, et je me suis abritée. »
Elle a le même ressenti que son collègue, « depuis 7 ans, j’ai connu des caillassages, mais je n’ai jamais senti une telle violence, nous étions le plus souvent des victimes collatérales d’affrontements entre bandes. En 2019, ça avait déjà franchi un cap avec une intrusion dans l’établissement, avec un coup de tournevis dans la nuque d’un élève, mais cette fois, ils étaient très nombreux, et en quelques secondes, ça peut être la catastrophe ».
L’enseignante revient sur un sujet que nous avions largement évoqué en 2021 avec notre chroniqueur Issihaka Abdillah sous le titre « Seul un plan régalien audacieux sauvera Mayotte« , le mode de communication entre les jeunes qu’il faut intercepter : « Les jeunes s’organisent sur les réseaux, en indiquant ce qu’ils vont caillasser et à quelle heure. Et là on apprend qu’ils ont l’intention de caillasser à nouveau le collège ce jeudi à 11h. On ne comprend pas pourquoi on leur laisse l’opportunité de s’en prendre ainsi aux élèves et à nous en maintenant l’établissement ouvert. La logique voudrait que l’on répare d’abord les vitres et qu’on automatise le portail d’entrée avant d’ouvrir le collège. Ce que je crains maintenant, c’est une intrusion et un drame, car dans la panique en plus, des élèves se sont fait piétiner. »
Une résilience contagieuse
Si ces enseignants aguerris à la situation de l’île réagissent ainsi c’est que « plus on reste à Mayotte, plus on accepte des choses intolérables ».
Un droit de retrait a donc été adressé à la direction de l’établissement ce jeudi matin. Il revient sur les agressions qui ont précédé cette journée, « Mercredi 17 janvier, nous avons été contraints d’annuler les cours de l’association sportive pour des faits de violences aux abords de l’établissement, vendredi 19 janvier, les élèves de deux enseignants d’EPS ont été visé par des jeunes armés de bambou, pierres et d’un couteau en remontant au collège, les 2 enseignants ont dû s’interposer pour calmer les individus qui voulaient en découdre, malgré cela deux élèves ont reçu des pierres, mardi 23 janvier, le plateau sportif du collège a été pris pour cible par des lancers de pierres. »
L’équipe EPS demande une sécurité constante dans et aux abords de l’établissement, à travers différents dispositifs : une présence permanente des forces de l’ordre devant et aux alentours du collège, la présence de parents-relais lors des déplacements, la présence en plus grands nombres de surveillants, notamment au niveau du plateau sportif, ainsi qu’un projet d’automatisation de la porte d’entrée de l’établissement.
Se disant « conscients des efforts apportés par l’établissement », les personnels pointent une situation qui a « atteint un niveau de violences tel que les personnels et les élèves ne sont pas en sécurité au sein et aux alentours du collège ». En fonction de l’obtention des avancées, ils réfléchissent à la poursuite ou non du droit de retrait.
Anne Perzo-Lafond