Il se présente comme professeur agrégé de mathématiques au collège de Majikavo. Serigne Khadimou Rassoul Thiam a eu la peur de sa vie ce jeudi soir alors qu’il rentrait en voiture vers son domicile pointe de Koungou : « Je rentrais de l’hôpital car je dois suivre une dialyse trois fois par semaine. Elle commence à 21h, et je suis débranché vers 22h. Alors que je revenais chez moi pointe de Koungou, 10 mètres après la mosquée de Majikavo, je reçois un projectile dans l’avant droit de ma voiture, une barre de fer qui perfore le pare-brise et s’encastre au niveau de la place passager. Heureusement, personne n’était avec moi ce soir-là, sinon il y passait. J’ai freiné, puis j’ai vu une dizaine de personnes qui arrivaient en hurlant. Ils n’étaient pas cagoulés, et je dirais qu’ils avaient entre 17 et 20 ans. J’ai continué à rouler quand j’ai vu peu après sur le bas-côté deux voitures, des mzungu (métropolitains, ndlr) qui tremblaient, ils s’étaient arrêtés après avoir été agressés. »
Il nous le répète à plusieurs reprises, il n’a pas le choix que de suivre son protocole médical, « même si on m’a dit que le préfet a recommandé de rentrer chez soi à 18 heures ». Une information qui ne saurait être réelle, sous peine de paralyser tout à fait un territoire. Et abandonner les voies aux délinquants. Il faut au contraire, et comme nous l’avons toujours répété, occuper massivement le bitume. Or des habitants de Koungou nous expliquent être empêchés de circuler même en pleine journée : « Nous ne parvenons plus à faire de courses quand nous en avons besoin, encore moins sortir et aller au restaurant. Par exemple, nous n’avons pas pu aller aux deux derniers cours de shimaoré de l’association Shimé les lundis soirs à Mamoudzou. »
Dans la lignée, le président du conseil départemental a renoncé à la traditionnelle cérémonie des voeux, prévue ce mardi 23 janvier à Mtsangamouji, « au regard du contexte actuel sur le territoire », et pour « garantir la sécurité et le bien-être de tous ».
Ce samedi soir, un énième véhicule a été pris pour cible et a été abandonné sur la chaussée par son conducteur, aussitôt incendié par les agresseurs. Il bloque d’ailleurs la sortie d’une des rues du village de Majikavo, et doit être enlevé par la mairie de Koungou. Un des cadres nous explique la situation : « Nous attendons la fin des investigations de la gendarmerie pour l’enlever. Depuis une semaine, quasiment tous les jours à partir de 18h, les jeunes du quartier de Mavadzani (sur les hauteurs de Majikavo Dubaï, ndlr) font des descentes et sèment le chaos. Les grenades lacrymogènes des gendarmes ne les effraient même plus. » Il faut donc régler le problème sur les hauteurs et non depuis la route. Une situation dont il livre une explication possible : « Une petite opération de démolition de cases est prévue dans cette zone pour y construire un poste de refoulement nécessaire à l’assainissement. » Elle était prévue le 27 janvier et vient d’être repoussée. Mais il s’agit d’une petite parcelle selon lui.
Une voiture abandonnée et aussitôt incendiée
Nous avons joint le Chef d’escadron de la gendarmerie nationale Bertrand Bidet, en charge de la communication, qui confirme, « nous avons en effet un groupe de 40 à 60 personnes qui viennent semer de la violence ». S’il évoque « tenir le terrain », il consent à évoquer des « patrouilles régulières » dans le secteur. Car ce dimanche soir d’arrivée tardive du vol d’Air Austral, il n’y avait pas âme de gendarme qui vive dans le coin, « vous ne les voyez pas forcément », mentionne l’officier.
En tout cas, une voiture a donc flambé samedi soir, et un fonctionnaire de la mairie de Koungou aurait été roué de coups de barres de fer alors qu’il passait en voiture toujours ce samedi vers 18h. Il n’a pas voulu que nous recueillions son témoignage « par peur des représailles ». Une erreur de jugement, pas besoin de représailles, les coups pleuvent de toute façon.
Bertrand Bidet évoque des individus « extrêmement mobiles », « nous intervenons dans des délais très courts après les agressions ». Mais pour optimiser les choses, c’est une présence en amont qu’il faudrait pour sécuriser les portions routières à problèmes dans l’île. « Ce n’est pas l’unique secteur de Mayotte à sécuriser ». Les effectifs sont-ils suffisants ? « Quel que soit le nombre de gendarmes, nous adaptons nos moyens en fonction des priorités du terrain ». Une opération anti-délinquance a été menée dans ce secteur, indique-t-il, « et nous avons mis sur pied le groupe TOP 976, une dizaine d’enquêteurs d’unités de recherche et de brigades territoriales renforcés par des unités d’intervention, Antenne GIGN, PSIG, qui travaillent sur les troubles à l’ordre public. Depuis sa création fin novembre dernier, ils ont procédé à 70 interpellations. »
Après son agression, Serigne Thiam est allé déposer plainte à la brigade de Koungou, « mais ils n’ont pas voulu retenir pour motif de tentative de meurtre. Pourtant, si la barre avait été envoyée de mon côté, je serais mort », glisse l’enseignant encore choqué.
Anne Perzo-Lafond