Alerte aux yeux rouges ! La conjonctivite, « maladie pleurée » pour les Mahorais, « matso-matso » pour les Comoriens, peu importe le nom qu’on lui donne, elle peut tous nous taper dans l’oeil.
Qu’est-ce que la conjonctivite ?
La conjonctivite est une inflammation de la membrane qui recouvre la face antérieure de l’œil et l’intérieur des paupières. Elle peut être due à un virus, une bactérie, une allergie ou une irritation. Un des premiers symptômes de la conjonctivité ressemble à la sensation d’avoir « du sable à l’intérieur de l’oeil » ou les « paupières collées » notamment au réveil. La conjonctivite peut provoquer des démangeaisons, un écoulement clair ou purulent et une vision floue.
Annabelle Lapostolle, épidémiologiste au sein de la cellule de Santé publique France-Mayotte, explique qu’une conjonctivite est « en règle générale, handicapante et douloureuse mais pas grave ».
Peut-on parler d’une épidémie de conjonctivites actuellement à Mayotte ?
« Actuellement, suite aux analyses réalisées, les données montrent que nous sommes face à une épidémie de conjonctivites de type virale. C’est-à-dire que l’épidémie est liée à un virus, en l’occurence il s’agit d’un virus de la famille des entérovirus ».
« depuis deux semaines, Le nombre de conjonctivites montE très fortement »
Les épidémiologistes et leurs partenaires ont passé au peigne fin les données des dernières semaines de l’année 2023 afin de recenser le nombre de personnes atteintes par une conjonctivite sur un temps donné. « Le taux d’activité*, sur la base de nos réseaux de surveillance, pour les conjonctivites entre la première et la deuxième semaine du mois de janvier 2024, a augmenté de 57%, on voit une vraie dynamique épidémique », commente Annabelle Lapostolle à l’aide d’une courbe épidémique. Si la situation est surveillée de près, actuellement « aucun cas grave » n’a été recensé, déclare l’épidémiologiste.
Une estimation du nombre de cas difficile
Mais comment « quantifier » cette épidémie, à part à vue d’oeil… ?
En effet, difficile de savoir combien de personnes sont touchées à Mayotte, puisqu’ « en dehors d’un risque infectieux, il n’est pas nécessaire d’aller chez le médecin pour une conjonctivite » a déclaré, le Dr. Jean, infectiologue à l’ARS. Le Dr. Jean admet que cette surveillance « ne peut être exhaustive » car elle ne rentre pas dans les maladies qui sont habituellement suivies.
C’est la raison pour laquelle, l’équipe de Santé publique France-Mayotte a renforcé sa surveillance sur les données sanitaires remontées par trois réseaux d’acteurs, que sont les médecins sentinelles, les infirmeries du Rectorat et les pharmacies sentinelles. Annabelle Lapostolle l’explique : « Nous avons demandé aux médecins sentinelles de nous faire remonter toutes les données issues des consultations qui concernaient les conjonctivites ». A ce stade, un seul médecin a transmis ses données. Santé publique France invite les médecins sentinelles à se fédérer pour permettre aux autorités sanitaires d’avoir une meilleure vision de la circulation épidémique et d’anticiper des mesures de gestion.
« casser au maximum la chaîne de transmission »
Que faire pour s’en protéger ?
Bastien Morvan, Directeur de cabinet à l’ARS Mayotte encourage à « casser au maximum la chaîne de transmission », concrètement, il s’agit de se laver les mains au maximum, d’éviter de se frotter les yeux et dans la mesure du possible, s’éloigner des personnes atteintes de conjonctivite, car le Dr. Jean l’explique, « le virus de la conjonctivite est présent dans l’oeil et dans les postillons ». Ainsi, le port d’un masque peut être également conseillé.
Que faire en cas de symptômes ?
« Ne surtout pas prendre d’antibiotique sans avis médical« , s’exclame le Dr. Jean. La conjonctivite qui circule est provoquée par un virus. Les antibiotiques n’ont aucune efficacité sur des virus puisque leur rôle est d’empêcher le développement d’une bactérie. « L’utilisation à tort d’un antibiotique pour guérir d’un virus pourrait augmenter la résistance aux antibiotiques, et les rendre inefficaces aux infections bactériennes », précise l’infectiologue.
Ainsi en cas de symptômes de conjonctivite, la population est invitée à se nettoyer les mains, puis les yeux de l’intérieur vers l’extérieur avec des compresses stériles (à usage unique) à l’aide de sérums physiologiques et en cas de besoin, appliquer des collyres homéopathiques pour apaiser l’oeil irrité. En cas d’aggravation des symptômes, la personne atteinte doit consulter un médecin.
En cas de maladie, peut-on se rendre sur son lieu de travail ou envoyer son enfant à l’école ?
D’après les représentants de l’ARS, en ce qui concerne la fréquentation des établissements scolaires, le Rectorat, sur appui des infirmiers scolaires, appréciera chaque situation au fur et à mesure de l’évolution de l’épidémie. Actuellement, l’éviction scolaire n’est pas obligatoire, la situation est appréciée au cas par cas, par les familles des enfants concernés. Concernant les lieux de travail, un agent qui est en capacité de travailler, peut continuer de se rendre sur son lieu de travail, s’il applique strictement les recommandations sanitaires et des mesures de distanciation sociale.
Le stock des médicaments est-il suffisant sur le territoire ?
Pour anticiper d’éventuels points de rupture d’approvisionnement en médicaments, l’ARS, en lien avec sa tutelle, a mis en place un « fret prioritaire » permettant de disposer de stocks suffisants en sérums, compresses et antibiotiques.
Comment suivre cette évolution ?
Des points seront transmis régulièrement par Santé publique France et l’ARS Mayotte. Une veille sanitaire internationale est également opérationnelle pour investiguer sur les épidémies de conjonctivite de l’Océan Indien, qui semblent circuler aux Comores, à Madagascar et en Tanzanie.
Mathilde Hangard
* Le taux d’activité décrit correspond aux données remontées par les pharmacies sentinelles, concrètement il s’agit du nombre de médicaments vendus, rapporté au nombre de patients vus.