Vendredi matin, la séquence s’est ouverte sur les rives de la rivière Gouloué à Passamaïnty, où depuis plus d’une dizaine d’années, ce lieu autrefois très boisé est devenu un véritable refuge pour des personnes en grande précarité. Si les missions de l’opération Wuambushu menées tout au long de l’année 2023 ont conduit de nombreuses personnes qui vivaient dans des habitations informelles à abandonner leur case, aujourd’hui, des dizaines de cases en taule sont toujours debout, à Gouloué.
La rivière Gouloué, un lieu chargé de tristes histoires
Ce n’est pas sans émotion que le Maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaila, a rappelé qu’en 2012, une mère et ses enfants avaient trouvé la mort dans la rivière de Gouloué, alors qu’elle y faisait sa lessive et que ses enfants s’y lavaient. Les pluies abondantes avaient accru significativement le débit de la rivière, emportant cette famille sans qu’elle n’ait pu l’anticiper. Depuis plusieurs années, lorsque son débit est important, cette rivière sort de son lit et provoque d’importantes inondations, menaçant les habitations informelles, la départementale RD3 qui mène à Vahibé et les autres logements des habitants de Passamaïnty, constate Ambdilwahedou Soumaila.
Décaser, le « point nodal » de la Préfecture
Ainsi, sans surprise, le point névralgique de cette visite a concerné la loi concernant l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « loi Elan », et notamment son article 197, qui donne concrètement au préfet de Mayotte la possibilité d’engager des procédures administratives, pour aboutir à la destruction d’habitations informelles.
« En Grande-Terre à Mayotte, 70% des habitats sont précaires » constate Sabry Hani, secrétaire général de la préfecture de Mayotte, qui face au bidonville de Gouloué, déclare que « le point nodal du préfet de Mayotte, soutenu par les maires de Dembéni, de Koungou et de Mamoudzou, est la lutte contre l’habitat indigne et précaire. »
A Gouloué, la procédure est annoncée clairement, elle consiste à « reloger dans un premier temps les personnes concernées, puis démolir leurs habitations informelles », explique Jérôme Josserand, Directeur de la Direction de l’Environnement, de l’Aménagement, du Logement et de la Mer de Mayotte (DEALM). Le représentant de la DEALM précise que les deux alinéas de l’article 197 de la loi ELAN autorise les autorités à intervenir pour décaser dans deux situations : « si les habitants sont en train de construire leur logement sur un terrain qui ne leur appartient pas, ou a postériori lorsque ces habitats précaires sont déjà conçus. »
Le secrétaire général de la préfecture de Mayotte rappelle également que ces opérations de décasage ont été classées « opérations d’intérêt national (OIN) » elles impliquent ainsi « des moyens règlementaires, matériels, humains et financiers, importants, à très long terme. »
Pour les services de l’Etat, l’objectif consiste surtout à reprendre le contrôle sur des terrains publics, pour les exploiter, et répondre à l’appel des propriétaires privés, qui ne peuvent profiter de leur terrain, en expulsant les personnes installées illégalement sur ces terrains.
Dans le bidonville de Gouloué, Jérôme Josserand précise qu’à ce jour, d’après les premières données collectées, 108 personnes, dont 50 adultes et 58 enfants, sont concernées, 16% ont la nationalité française, 42% sont des étrangers en situation régulière, 42% des autres personnes sont de nationalité étrangère, en situation irrégulière sur le territoire de Mayotte.
Ces données ont pu être récoltées dans le cadre d’enquêtes réalisées sur le terrain, et accompagnées des forces de l’ordre. Ces enquêtes ont été amorcées en décembre 2023, à ce jour « 1/3 des enquêtes ont pu être menées » d’après Taslima Mroivili, chargée de mission dans la résorption de l’habitat illégal auprès du Préfet, pour qui l’objectif est de « terminer ces enquêtes d’ici 1 mois afin de proposer aux personnes concernées des logements. »
Des possibilités de relogements très réduites à Mayotte
Pourtant, c’est bien ici, que se pose la douloureuse limite du dispositif actuel. Si la préfecture de Mayotte se donne comme enjeu « d’aller des bidonvilles vers le logement » pour reprendre les termes du secrétaire général, le décasage est probablement la partie la plus « facile » de l’opération, en ce que la corde sensible, immergée de l’iceberg, concerne surtout l’après, c’est-à-dire, le relogement des personnes expulsées de leur lieu de vie.
Comme l’explique le directeur de la DEALM, « le parc des logements sociaux à Mayotte est saturé, autant pour une personne française, étrangère en situation régulière ou irrégulière », qui ajoute « la plupart des logements sociaux appartiennent au parc privé » et précise que « les juges sont particulièrement soucieux de faire coïncider l’offre de logement avec les besoins du ménage ». C’est la raison pour laquelle, certains logements sont donnés prioritairement à des personnes fragiles, quand d’autres logements ne peuvent être attribués à certaines personnes, faute de répondre aux critères ou d’être prioritaires.
De nombreux collectifs et associations de défense de la situation des migrants ont fait du sujet du relogement leur cheval de bataille, en dénonçant que les propositions de relogement dans le cadre de la loi ELAN n’étaient pas systématiques et en dessous des besoins des relogés.
A Gouloué, la députée LIOT Estelle Youssoupha a martelé que « le problème du foncier » en revenait à une situation où « le serpent se mord la queue » puisque d’après la députée « si le foncier manque à Mayotte, c’est justement que certains terrains destinés à la construction de logements sociaux sont occupés illégalement. »
Sans un parc de logements sociaux suffisamment important, les opérations de décasage constitueraient logiquement un risque, en détruisant les habitations de nombreuses personnes, qui faute de moyen de relogement, précarisent ces personnes à la rue, sans distinction de nationalité ou de situation administrative. C’est le cas de Aly* que nous avons pu interroger, qui a été expulsé de sa case à Koungou en mai dernier : « Je suis parti je n’avais plus le droit de vivre là-bas, il n’y avait pas de place dans les logements de la préfecture. » Depuis, Aly* vit ici à Passamaïnty, dans un autre quartier informel.
Pour ceux qui n’ont pas la possibilité d’être relogés, l’urgence est de trouver refuge ailleurs, conscients des risques que cela entraîne, n’ayant plus d’autre solution que celle de se faire un autre nid en taule ailleurs, et où parfois, au milieu, coule une rivière…
* Pour préserver l’anonymat de cette personne, son nom a été changé.
Mathilde Hangard