Forts du label « Mayotte, Territoire d’Industrie » reçu le 9 novembre dernier, la Chambre de Commerce et d’Industrie de Mayotte (CCI) et du Conseil départemental (CD) ont ouvert des Assises consacrées au secteur industriel à Mayotte, animées sous la forme de tables-rondes autour d’une problématique phare : « Comment faire évoluer le secteur industriel à Mayotte face au développement endogène et aux crises majeures mondiales ? »
Pour comprendre cet événement qui n’est pas une première sur le territoire, il faut revenir à ses origines. Plus de dix ans auparavant, les ambitions pour l’industrialisation de Mayotte étaient centrées autour d’un renforcement des échanges économiques au sein de l’Océan Indien et l’accompagnement des entreprises mahoraises existantes vers le marché de l’export.
Lors de ces Assises, les premières allocutions protocolaires soutenues par Thierry Suquet, Préfet de Mayotte, sont plus ambitieuses : « Nous vivons dans un système économique mondialisé concurrentiel, il est fondamental de s’unir, dans un esprit de cohésion, malgré la difficulté du contexte actuel, pour relever le défi de l’industrialisation. » Mais si ces propos ne datent pas d’hier, on peut aisément comprendre pourquoi aujourd’hui, ils sont réitérés et quels ont été les freins pour la mise en oeuvre d’une politique de réindustrialisation sur le territoire.
Un secteur à « haut potentiel »
A Mayotte, la croissance démographique et l’émergence d’une classe moyenne importante sur le territoire nécessite de répondre aux besoins d’une population plus exigeante, en matière de biens et de services dans différents domaines : alimentation, santé, éducation, mobilités, logement, foncier, etc.
Alors qu’elle est une des régions françaises les plus dynamiques en termes de création d’entreprises, Guillaume Rubin, directeur d’Ekwali, constate que « Mayotte est sous-dotée en infrastructures industrielles ».
Pourtant, le secteur de l’industrie est un secteur à « haut potentiel » et les emplois qu’il génère sont des emplois « à haute valeur ajoutée », pour reprendre les termes de Denis Brichon, Responsable du service compétitivité du développement durable à la CCI. De plus, les emplois du secteur industriel ne sont pas délocalisables. Quand on sait que Mayotte est fortement dépendante des autres Etats pour ses importations, cela suscite un intérêt majeur pour la question.
Des freins conjoncturels
D’après Emmanuel Clerc, directeur de la Laiterie de Mayotte, pour être rentable et productive, une activité industrielle nécessite « un savoir-faire spécifique, des ingénieurs, des ouvriers et des artisans hautement qualifiés. » En faisant le constat qu’un manque de compétences sur l’île, le directeur confie avoir été contraint de faire venir un soudeur de l’île Maurice, faute de pouvoir en recruter à Mayotte.
Mais le manque de main d’oeuvre n’est pas la seule problématique. Les difficultés chroniques de Mayotte liées notamment à l’insécurité, au stress hydrique, au manque de main d’oeuvre et aux problèmes d’accès au foncier, rendent extrêmement difficile de répondre aux enjeux d’une industrialisation de pointe.
Raissa Andhum, chargée de mission Mayotte territoire d’industrie à la CCI, l’explique : « Il y a un dynamisme important dans le sous-canal du Mozambique, en Tanzanie, au Kenya, qui nécessite que Mayotte prenne ce cap vers l’industrialisation, on ne peut plus se permettre de fonctionner sur un système D en raison du contexte. » En effet, Mayotte se retrouve enliseée dans une dépendante de fonds publics venus de l’Hexagone, quand son voisin mauricien parvient à s’appuyer sur ses entreprises pour accroître son PIB…
Mayotte, une des plus riches îles de l’océan indien occidental
Malgré cela, Mayotte enregistre un PIB par habitant, dix fois plus important que celui des Comores et vingt fois supérieur à celui de Madagascar.
D’après le Président de la CCI de Mayotte, Mohamed Ali Hamid : « L’industrie c’est la feuille de route de l’avenir. Les politiques publiques doivent instaurer une politique de substitution aux importations. »
Forte de ses savoir-faire, Mayotte doit pouvoir relever le défi de l’industrialisation : « Nous devons encourager la montée en compétences de nos entreprises dans divers domaines : technologique, maritime, cosmétique, agroalimentaire, éducatif, la culture du jasmin et des fleurs de Mayotte, l’économie circulaire, l’artisanat ou encore le tourisme. » énumère le Président de la CCI.
Mayotte, fière de son label « Territoire d’Industrie »
Ces Assises ont nécessité la réalisation de plusieurs diagnostics : politiques, économiques, historiques, géographiques et sociologiques du territoire, pour comprendre quelles ont été ses priorités en matière d’industrialisation et quels seront ses défis pour l’avenir.
Mais des questions persistent encore. Comble de ces Assises, lorsque nous demandons « combien d’industries sont présentes à Mayotte? », aucun acteur n’a la réponse !
Raissa Andhum l’avoue : « Nous avons peu de données sur le secteur industriel à Mayotte, mais la valeur ajoutée de ce secteur d’activité représente 7% du PIB à Mayotte, 12% dans l’Hexagone et seulement 4,5 à 5% à La Réunion. »
Des chiffres pourtant très encourageants, appuyés par les conclusions de ces deux journées d’échanges. Ces Assises se sont clôturées par la présentation d’une feuille de route, rassemblée sous la forme d’un « Livret blanc », qui sera finalisée au début de l’année 2024. Cette trame a pour ambition de faire émerger des leviers d’action pour le bâtir un « écosystème industriel » à Mayotte.
Si les événements sécuritaires et la crise hydrique venaient à se résorber, c’est tout un boulevard qui s’ouvrirait pour le domaine industriel… Et pour bien d’autres !
Mathilde Hangard