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Mamoudzou

Cité de la police, drones, caillassages entre bandes : l’heure est au passage de relais pour Laurent Simonin

Son arrivée à Mayotte n’avait pas été préméditée* en 2021, mais Laurent Simonin s’est attelé à la réorganisation des services en réponse à la montée de la délinquance. Le Directeur territorial de la Police nationale qui chapeaute de commissariat et la PAF a mis en place des dispositifs parfois innovants, et s’est appuyé notamment sur un de ses meilleurs amis, le drone. A quelques jours de son départ, nous avons fait le point avec lui sur les organisations à sanctuariser, au cours d’une interview ponctuée d’humour.

Nous vous avions interrogé quelques mois après votre arrivée en 2021, lors de la réorganisation des services que vous aviez initiée pour mettre « plus de bleus dans la rue les nuits et les week-end ». Où en êtes-vous ?

Laurent Simonin : C’est en effet l’évolution la plus marquante pour le service sur ces deux années que ce basculement de la présence policière sur les horaires de la délinquance. Si en métropole, elle sévit surtout la nuit, elle se double à Mayotte d’évènements très tôt le matin, sur la plage 5h-7h. C’est le moment où arrivent en voiture les salariés qui n’habitent pas à Mamoudzou, ainsi que les bus scolaires. Il fallait donc modifier les horaires de présence des policiers. J’ai profité des renouvellements de contrats puisque tous les ans 17% des effectifs changent, pour mettre les nouveaux arrivés sur le cycle horaire 19h30-7h30, assurant une présence lors des rentrées scolaires, et ce, 7 jours sur 7. Et après cela est entré dans le planning général.

Ensuite, j’ai déployé des patrouilles la nuit, jusqu’à 12, y consacrant 43% des effectifs, contrairement à la métropole où en nocturne, on atteint au maximum 27%. Mais il faut dire que la nuit, c’est environ 12h ici !

Avec des résultats ?

Des policiers sur les hauteurs, passages privilégiés par les bandes pour les agressions entre quartiers

Laurent Simonin : Oui, davantage d’interpellations, et les épisodes nocturnes de violence durent moins longtemps car la masse de véhicules engagés est bien supérieure. En plus, nous pouvons agir sur plusieurs fronts en même temps.

Pour autant, nous avons eu des problèmes récurrents peu après la rentrée au lycée Bamana ,où règne un joyeux mélange de différents quartiers car il n’y a pas de carte scolaire ici. Au début, nous avons appliqué la méthode classique, avec 90 interpellations et garde à vue, mais cela n’a rien donné.

NOUNOUS POUR LYCEENS

Parce que les primo délinquants ne peuvent pas être incarcérés pour des caillassages ?

Laurent Simonin : Voilà. Donc il fallait trouver autre chose. Nous avons travaillé avec le lycée Bamana et les parents d’élèves, nous gérons désormais les flux des 2.700 élèves en fonction des quartiers, Doujani, Mtsapéré, etc., en les faisant sortir à des horaires décalés, des policiers les accompagnent jusqu’à leur village. Si c’est relativement facile à la sortie, à l’arrivée le matin, ça aurait pu être plus compliqué, mais on voit que d’eux-mêmes, ils arrivent groupés par village, nous les faisons passer par des itinéraires différents.

Nous menons également un travail avec les parents d’élèves de la FCPE qui ont déployé un dispositif de type « parents relais » identique à celui de la mairie de Mamoudzou. Ils sont désormais très nombreux de 5h à 7h du matin entre le lycée Bamana et Doujani en passant par Cavani et Mtsapéré.

Intervenez-vous en sensibilisation auprès des lycéens ?

Arrestation de l’individu qui avait agressé une mère de famille et son fils chez eux le 5 août dernier

Laurent Simonin : Je ne suis pas sûr que l’on soit audibles quand on leur dit qu’on condamne ces affrontements de bandes. Ils nous écoutent, mais quand on voit le degré de violence déployée, on voit que dès qu’ils sont à l’extérieur ça recommence.

Ce modèle de travail de proximité avec le lycée et les parents d’élèves est-il transposable ailleurs sur le territoire ou sur d’autre départements français ?

Laurent Simonin : Tout dépend de la configuration du terrain. Là nous sommes en zone urbaine avec beaucoup d’élèves arrivant à pied, quand en zone gendarmerie, ils viennent en bus.

« CE QUI NOUS A LE PLUS AIDE, CE SONT LES DRONES »

Les conflits entre bandes ont également sévi du côté de Mtsapéré, Doujani, Cavani. Le climat s’est apaisé ?

Laurent Simonin : Oui cela s’est calmé fin septembre car 9 personnes sont parties en prison, après l’affaire du jeune homme retrouvé avec des brûlures dans une poubelle à Cavani, et celle du jeune décédé d’un coup de barre de fer à la tête. Ça a bien calmé les choses. Et alors que Kawéni était agité jusqu’à cette émeute massive du 17 août 2022, les 25 interpellés incarcérés ont permis de stopper l’engrenage.

Ce n’est que momentanée, ils vont ressortir

Les travaux actuels d’agrandissement et de construction d’un méga groupe électrogène

Laurent Simonin : En attendant, le quartier se sera apaisé et aura trouvé un autre fonctionnement. Par contre, nous avons davantage de difficulté à Tsoundzou où un des auteurs de violence a pris 4 ans de prison ce vendredi. Lors des émeutes au moment du déclenchement de Wuambushu, une des meneurs, Ali Prince a été condamné à 7 ans, ça s’est calmé depuis. A Vahibé, ce sont 30 personnes qui ont été emprisonnées. Actuellement, et à la suite des violences du week-end dernier avec les divers incendies, nous travaillons sur Disma, entre les bandes de Majikavo et celles de Kawéni, en coordination avec la gendarmerie nationale. Nous nous échangeons des renseignements. Mais ce qui nous a le plus aidé, ce sont les drones. Le décret autorisant leur utilisation est paru le 6 avril 2023, et ce sont 6 appareils qui sont utilisés sur le Grand Mamoudzou. De portée de 6 à 8 km, ils nous permettent de voir le positionnement des bandes, les barrages mis en place. Je peux donner des ordres depuis la camionnette où sont installés les écrans. Je retrouve la même vision que celle que j’avais avec les caméras parisiennes. C’est d’ailleurs un peu grâce aux caméras parisiennes que je suis ici (rire).

A propos d’informations et de renseignements, où en est la réorganisation du service ?

Laurent Simonin : Pas très avancée. Nous avons besoin de davantage d’informations dans le domaine de l’insécurité. D’un côté, il faut que les habitants parlent, et d’un autre, il faut un service opérationnel. J’y ai nommé quelques personnes, et je fonde beaucoup d’espoirs sur un recrutement récent qui en a pris la tête. Il a compris la mission et a déjà identifié un certain nombre de personnes.

Pourquoi ne pas nommer un mahorais à la tête pour sa connaissance du territoire et de la langue ?

Laurent Simonin : Parce qu’il n’y a plus qu’un seul officier mahorais au sein du commissariat, Hervé Mogne-Mali, et il est proche de la retraite. L’idéal ce serait surtout qu’il y ait un mahorais à ma place !

LA PROMOTION, UNE FORME D’ATTRACTIVITE

Comment attirer des directeurs de votre niveau, vous qui êtes Commissaire général, le grade le plus élevé dans la police ?

Nombreuses interpellations de kwassas en septembre (Photo : PN976)

 Laurent Simonin : Ce grade, c’est juste la marque d’un parcours professionnel. Mais pour ce qui est de l’attractivité, il faut se donner les moyens d’avoir des cadres et des spécialistes. Le salaire en est un, mais il faudrait peut-être établir une contractualisation : le cadre pourrait par exemple bénéficier d’une promotion en n+1 sous réserve que le travail ait été effectué.

Qui contrôlerait ?

 Laurent Simonin : Le préfet localement constate si ça marche, et sinon le ministère. L’avantage de ce système est d’avoir des personnes jeunes. Et ce système peut s’appliquer à tous les échelons.

Pour finir avec le commissariat et avant d’évoquer la PAF, une extension des bâtiments est-elle prévue ?

 Laurent Simonin : Elle est même en cours. Nous avons effectué deux prolongements du bâtiment l’année dernière, mais récupérés pour y installer l’antenne du RAID. Et là, je profite de la construction d’un énorme groupe électrogène adapté à la capacité de 400 policiers du site qui va permettre de tenir en autonomie 15 jours en cas de cyclone ou de troubles à l’ordre public, pour faire une extension. L’énorme dalle va servir d’en-base pour deux étages de bureaux climatisés en container.

Mais surtout, à plus grande échelle, nous avons un projet avec la ville de Mamoudzou d’une Cité de la Police sur un terrain de 3.000m2 apparentant à l’État. Y seront implantés plusieurs bâtiments. Pour les polices municipale et nationale, avec notamment une salle de commandement commune, et agrémenté d’un stand de tir, car à Doujani par temps pluie, on ne peut pas tirer, et une salle de sport. J’ai déjà supprimé 3 loyers inutiles sur les sites de Baobab, Kawéni et zone Nel, une économie de 100.000 euros par an, et là il reste 50.00 euros de loyer qui seront économisés et investis, comme je l’ai fait notamment dans les drones.

La Police Aux Frontières est-elle aussi mieux équipée en moyens humains et matériels ?

Démonstration de l’utilisation d’u drone par la PAF en janvier 2023

Laurent Simonin : Les effectifs ont augmenté de 5 à 6% par rapport à il y a deux ans, avec un nombre d’agents passés de 195 à 255 en sécurité publique et à 90 en police judiciaire. Nous avons obtenu davantage de mobilité entre les services alors qu’avant il fallait passer par Paris, mais nous restons plombés par le nombre de personnes qui doivent travailler au CRA* avec plus de 21.000 reconduites à mi-novembre, qui impliquent une partie procédurale conséquente.

Quant à la PAF en mer, sur 6 bateaux, deux sont en permanence opérationnels grâce à l’achat de deux unités neuves. Je précise que depuis ce mois d’octobre nous avons un drone qui peut se poser sur l’eau, mais son autonomie est faible. Nous souhaitons des drones « longue élongation « qui restent des heures en l’air, et qui couvrent des surfaces de plusieurs centaines de kilomètres-carrés, comme ceux qui sont utilisés au Sahel. Ce qui nous permettraient d’aller chercher les kwassas éloignés des côtes mahoraises car sur le dernier kilomètre, ils ne s’arrêtent plus ! Des drones plus couteux, mais qui seraient rapidement amortis quand on sait le poids financier engendré par le flux migratoire sur les services publics à Mayotte.

Va-t-on également améliorer la couverture radar ?

 Laurent Simonin : Les quatre radars actuels vont être « upgradés », avec une version plus récente, car certains sont anciens.

Laurent Simonin passe du territoire le plus sec de France au plus humide, puisqu’il est nommé directeur interdépartemental de la Police nationale du Pas-de-Calais, qui couvre également la Somme et le Nord. Son successeur, le commissaire divisionnaire Hervé Derache, est déjà arrivé sur le territoire.

Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond

*Arrivée de Laurent Simonin en mars 2021

**Centre de Rétention administrative

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