Tout est parti d’un article publié le 6 février 2023 par nos confrères de France Mayotte Matin. Celui-ci dénonçait les conditions de location insalubres d’une grande maison mahoraise, située à Passamaïnty et divisée en plusieurs appartements. Alertée, l’ARS s’est alors déplacé sur les lieux pour constater qu’en effet la maison n’était pas raccordée au système d’assainissement, obligeant les occupants à vider leurs eaux usées dans un caniveau, que plusieurs des chambres louées ne possédaient pas de fenêtre, que des moisissures courraient sur les murs et que le système électrique n’était pas aux normes. Un beau panel d’infractions à la loi dont Marie M., la prévenue âgée de 69 ans et résidant à La Réunion, ne semblait pas avoir totalement conscience à la barre.
Ce qui n’est pas venu arranger son cas a été la présence de plusieurs enfants dans ces appartements. En revanche, si les locataires étaient pour certains d’origine comorienne, ils étaient tous en situation régulière en tout cas au moment du procès. Les présumées victimes, qui semblaient tous connaître la propriétaire depuis longtemps, l’ont d’ailleurs défendue à la barre en expliquant qu’elle leur avait rendu service car ils ne trouvaient pas d’autre logement à des prix accessibles pour eux. Le montant des loyers, pour ceux qui payaient, s’élevait en effet entre 100 et 200 euros selon la taille de la pièce louée. Une unanimité qui a fait soupçonner des faits d’intimidation sur les victimes par le juge et ses assesseurs, un soupçon vivement démonté par maître Andjilani qui n’a pu s’empêcher de lâcher un petit « c’est n’importe quoi ! », audible par le public.
« Une question de perception »
Pour sa défense, Marie M. a déclaré qu’elle avait demandé depuis longtemps à ses locataires de partir afin qu’elle puisse effectuer les travaux, mais que ceux-ci restaient, rendant la réalisation des travaux impossible. Depuis la visite de l’ARS, elle a entrepris quand même quelques travaux, « mais pas dans les chambres puisqu’ils y habitent toujours ». Me Andjilani, qui avait demandé un renvoi pour cette affaire, renvoi qui ne lui a pas été accordé d’où peut-être son humeur assez massacrante au cours de ce procès, a appuyé les déclarations des locataires en déclarant que Marie M. avait voulu « rendre service » à ces personnes en les logeant à bas prix puisqu’ils ne trouvaient pas ailleurs. Il a d’ailleurs osé le parallèle avec la salle d’audience de ce mardi au tribunal de grande instance de Mamoudzou dont plusieurs néons et la climatisation ne fonctionnaient pas. « Moi aussi j’aimerais bien habiter un palace à Mamoudzou, mais parfois on est obligé de se contenter de ce qu’on a. Les conditions de logement à Mayotte sont ce qu’elles sont car nous sommes dans un pays pauvre et un grand nombre de logements ou de lieux de travail ne sont pas aux normes ici ! Personne n’a forcé ces personnes à habiter ces logements, elles l’ont fait parce qu’elles ne trouvaient rien d’autre, Marie M. leur a donc rendu service ! », a-t-il lancé d’un air exaspéré.
Le substitut du procureur n’a toutefois pas vu les choses de cette manière-là. Concédant qu’il s’agissait « d’une question de perception du délit », il considère néanmoins que « si les personnes n’ont pas d’autre choix que de vivre dans ces conditions, il s’agit d’une position de dominance et d’un profit tiré de personnes vulnérables ». Il a également noté « un aveuglement » et « une mauvaise foi » de la part de Marie M. Soupçonnant en outre une tentative d’intimidation des victimes, il a choisi de ne pas tenir compte de leurs déclarations indiquant leur ressenti de gratitude envers leur propriétaire et a requis pour elle 24 mois de prisons avec sursis et 20 000 euros d’amende. Une somme importante, justifiée par l’autre délit perpétré par Marie M., à savoir de ne pas avoir déclaré les loyers perçus à l’administration fiscale. « Depuis 2011, c’est environ 146 000 euros de revenus locatifs qui n’ont pas été déclaré. Je conçois cependant qu’il soit délicat de déclarer de l’argent provenant d’une infraction », a déclaré le procureur. Sa réquisition a été suivie à la lettre par le tribunal que les arguments de la défense n’ont pas eu l’air de convaincre du tout. « Une question de perception », oui, mais celle de la loi française est celle qui prévaut dans le 101ème département !
Nora Godeau