Ça fait du bien de l’entendre, Catherine Nave-Bekhti, Secrétaire général du Sgen-CFDT ne découvre pas les difficultés du territoire en y posant le pied, le secrétaire départemental Yacuba Galledou lui faisant régulièrement remonter, « c’est donc davantage pour une incarnation du contexte que je suis venue qu’une découverte des problématiques, j’ai d’ailleurs déjà eu à défendre le département au national ». Sa visite va lui permettre d’en couvrir pas mal.
Votre programme de visite de trois jours est-il davantage centré sur la défense des conditions de travail des personnels ou sur les déclinaisons des mesures nationales ?
Catherine Nave-Bekhti : Les deux et même au-delà. J’ai commencé lundi par me rendre au collège de Koungou, en compagnie de Christophe Bonnet, Secrétaire fédéral en charge de l’enseignement supérieur et des départements de La Réunion et Mayotte, qui m’accompagne. Accueillis par le principal que je connaissais, nous avons tout de suite pris la mesure des établissements surpeuplés, avec 1.900 élèves dans ce collège, et la problématique de l’insécurité que tentent de contrecarrer des parents relais, qui sont autant là pour aider à traverser la route que pour faire remonter les problématiques extérieures qui peuvent s’importer à l’intérieur de l’établissement. C’est une belle organisation, parce que ce qu’ils font, c’est permettre aux enfants d’être dans les meilleures conditions pour apprendre. Nous sommes restés sur les mêmes sujets lors de la visite du lycée de Kahani ensuite, avec 2.500 élèves, lors d’une AG du Sgen-CFDT. Il y avait des enseignants des premier et second degrés, des personnels administratifs, des chefs d’établissements. Ils ont expliqué être vigilants sur les projets menés, qui pourraient être malmenés en raison d’un fort turnover notamment chez les chefs d’établissements.
Ils vous ont interpellée pour faire remonter des revendications ?
Catherine Nave-Bekhti : Notre marque de fabrique c’est la résolution des demandes au niveau local, dans l’établissement. Et s’il y a blocage, nous remontons au niveau supérieur, au recteur par exemple. Et si ça n’est pas suffisant, je peux intervenir, mais en sachant le travail qui a déjà été mené.
Vous avez un exemple ?
Catherine Nave-Bekhti : Oui, je suis intervenue cet été quand des enseignants étrangers ont été bloqués par la compagnie Kenya Airways car le visa délivré par la préfecture de Mayotte ne les autorisait pas à passer par Nairobi. Le rectorat n’avait pas la main, mais, à l’issue, décision a été prise qu’il serait décisionnaire pour ces dossiers.
Vous comptez de plus en plus d’enseignants étrangers parmi vos adhérents ?
Yacuba Galledou : D’un côté nous sommes devenu la 2ème organisation syndicale de l’Éducation nationale à Mayotte, après la FSU, avec donc une augmentation de nos adhérents, d’autre part, nous sommes multicatégoriels, et enregistrons des titulaires autant que des contractuels, et enfin, c’est vrai que beaucoup d’enseignants arrivent de pays francophone, Sénégal, Congo, etc.
Catherine Nave-Bekhti : Je rajoute que je suis aussi intervenue pour défendre le maintien en scolarité des jeunes dont la famille est en situation irrégulière. Un mineur ne peut pas être en situation irrégulière, et doit être scolarisé ou avoir une formation.
Vous avez vu le différentiel entre l’accroissement géographique et le nombre d’établissements scolaires qui n’arrivent pas à suivre. Les maires sont débordés par les arrivées en nombre.
Catherine Nave-Bekhti : Oui, je sais que la situation est difficile, et cela ne concerne pas que les primaires. Beaucoup de jeunes en collège et lycée, notamment pendant l’opération Wuambushu, se sont déscolarisés par peur d’être attrapés.
C’est ce que nous avons appelé la schizophrénie de l’Etat qui oblige à scolariser à 3 ans, mais qui expulse à 18 ans…
Catherine Nave-Bekhti : Et entretemps, on vend du rêve, on fait croire au jeune qu’il a un avenir, alors qu’il n’en a pas. Certains sont sans diplôme et sans travail, qui peuvent rapidement nourrir la délinquance. C’est inconcevable que des jeunes bacheliers ne puissent quitter l’île pour poursuivre leurs études, la société se prive ainsi de compétences.
Pour contrer le problème d’attractivité des enseignants, un dispositif de formations a été mis en place à Mayotte. Le validez-vous ?
Yacuba Galledou : Non seulement nous le validons, mais le Sgen était porteur de l’idée des concours spécifiques à Mayotte. Le Concours de recrutement des professeurs des écoles existe depuis 6 ans maintenant, et le concept a été décliné pour le secondaire depuis 3 ans avec succès puisque nous sommes passés de 82% de contractuels dans le 1er degré avant sa mise en place à 20% actuellement. Pour le secondaire où on compte encore 55% de contractuels, il faut le temps que les premières promos sortent. Les CAPES se sont diversifiés, puisqu’en plus des maths et des lettres, il y a depuis cette année SVT et histoire-géographie.
Quelle est votre position sur le passage du CUFR à une université de plein exercice ? Êtes-vous en phase avec le passage par un Institut national Universitaire ?
Christophe Bonnet : On n’a pas le choix. Pour devenir une université de plein exercice, il y a des contraintes de termes d’effectifs, il faut des universitaires, il faut atteindre le niveau d’un vrai établissement d’enseignement supérieur, et sur l’implantation, un nécessaire 2ème campus à Mayotte. Il y a encore de la distance à parcourir avant d’être au niveau d’une université. Le directeur que nous avons rencontré ce lundi souhaite développer la structure à l’échelle de la région pour devenir l’université du Canal du Mozambique.
Le personnel de l’Education nationale demande la poursuite de l’indexation qui est actuellement à 40% comme dans les autres Outre-mer, sauf à La Réunion où se rajoutent 13%. Un objectif qui pourrait répondre au problème d’attractivité, revendiquent-ils.
Catherine Nave-Bekhti : La position de la fédération est que nous allons suivre les militants locaux. On voit le coût de la vie sur l’île, qui se rajoute à la crise de l’eau et aux violences, donc si on veut attirer les collègues, il faut envoyer des signaux forts.
Mais des compensations comme l’Indemnité de Sujétion géographique relèvent déjà le niveau de l’indexation
Yacuba Galledou : Oui, mais les conditions de l’ISG de 5 mois de salaire par an imposable valable pour l’ensemble du couple est moins intéressante que l’IEN qui existait avant. Nous demandons donc d’y revenir et de relever l’indexation. Car avec les concours locaux, de plus en plus de collègues sont originaires de l’île et n’accèdent pas à l’ISG. Ils font donc le même travail pour un salaire différent. Et encore faut-il que les salaires soient versés !
La nouvelle gestion de la paie intégrée pose encore problème ?
Catherine Nave-Bekhti : Oui, certains ne sont pas du tout payés, même si le rectorat s’efforce de donner des avances. Nous allons interpeller le ministère, car c’est une problématique nationale qui touche plus particulièrement l’Éducation nationale : chaque changement n’est pas assez accompagné, il faut des effectifs supplémentaires. Alors qu’il y a des règles de gestion spécifiques, c’est le ministère le moins administré. Cela induit des risques psychosociaux, de l’absentéisme, et plus de charges pour ceux qui restent.
Quelle est la position du SgEn CFDT sur le « Pacte enseignant » ?
Catherine Nave-Bekhti : Il doit en priorité reconnaître les missions déjà effectuées par l’enseignant, comme le temps passé en 1er degré sur les repérages des élèves destinés à l’école inclusive, ou dans le secondaire, sur le recrutement des référents harcèlement. Tout ce qui est déjà chronophage et qui n’est pas rémunéré. Nous nous sommes donc opposés au Pacte en intersyndicale. Nous ne voulons pas un bilan comptable ensuite, qui prouverait par exemple que beaucoup d’enseignants y souscrivent, mais plutôt, quel est leur niveau d’épuisement.
Outre une réunion avec le recteur ce mardi, la délégation Sgen CFDT doit se rendre à l’école maternelle Koropa. Et la Secrétaire générale confie qu’au regard des défis, le ministre de l’Éducation national Gabriel Attal prévoit un déplacement à Mayotte en 2024.
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond