Au sortir du rassemblement annoncé, ce lundi 6 novembre, qui n’avait guère suscité grande et concrète émulation populaire en Petite-Terre, nous avons souhaité prendre la température auprès des membres de l’association Mayotte a soif et notamment de leur présidente. Entretien.
Racha Mousdikoudine bonjour, cette dernière manifestation n’a donc pas remporté le succès escompté, comment pouvez-vous expliquer cela ?
Initialement cette manifestation se voulait principalement composée de mamans mais de vous à moi, je sais qu’une personne est allée envoyer un message à ces mamans en leur indiquant de ne pas se déplacer. Il faut être objectif et dire les choses avec transparence, la notion de solidarité est très complexe et aléatoire en notre territoire; à cela vous ajoutez souvent des histoires de discorde, de méfiance ou de jalousie. C’est une sorte de repli. Cette rétractation de ces personnes n’est absolument pas due à des faits en lien avec ce combat pour le droit d’accès à l’eau. Il y a d’autres facteurs et cela est bien entendu triste mais je ne veux pas polémiquer dessus. Passons à autre chose et avançons.
Comment vous définissez-vous Racha ?
Je sais que les gens sont fiers de revendiquer une appartenance notamment géographique, pour ma part je suis fière d’être française, fière de la richesse de cette diversité, des ces cultures, de son ouverture et je ne veux absolument m’enfermer ou me faire enfermer dans des carcans communautaires et encore moins politiques contraires aux idéologies et aux valeurs de la constitution française et c’est bien là toute la problématique aussi de ce combat.
Vouloir se battre et se mobiliser pour ce qui incarne la vie, c’est tout de même quelque chose de plutôt novateur ici, ne pensez-vous pas ?
Oui tout à fait et c’est justement là le point, entre guillemets, de discorde organisationnelle et d’essoufflement du mouvement. Jusqu’à présent, nombreuses ont été les revendications et manifestations collectives de tous bords à travers les années mais sur une même trame de fond plus ou moins directe qui se base sur des fondations avant tout politiques. Dans le cas présent, nous ne sommes pas sur des questions politiques mais bien des prises de conscience qui se doivent d’être car on parle d’une notion de vital. C’est la première fois que l’on mène ce genre de combat ici et la population n’y est pas habituée.
Quelle va être la marche à suivre de cet après manifestation timide du coup ? Découragée ?
Absolument pas, par contre je concède qu’on apprend de ses expériences. Après avoir aspiré à dynamiser et mobiliser les collectifs et autres figures connues de notre territoire, je pense que l’approche va se tourner dans une démarche relevant bien plus de la pédagogie et de la sensibilisation, notamment auprès de la jeunesse et des associations éducatives et environnementales. Notre nouveau statut associatif va nous permettre ce virage. Nous nous battons aussi pour l’avenir de nos enfants voilà la réalité. Prendre ses responsabilités, conscientiser, reconnaitre ses torts et informer notre jeunesse.
Selon vous, la population de Mayotte est-elle suffisamment consciente de cet enjeu, aussi planétaire ?
En toute objectivité, 58% des personnes résidant sur le sol mahorais sont en situation d’illettrisme. Lorsque l’on communique une information, elle doit pouvoir être perçue dans sa globalité aussi avec un sens critique et un minimum de connaissances et malheureusement, beaucoup de gens ici ne sont pas armés pour cela. Outre le fait qu’on n’ait pas cette culture de l’anticipation et de la vision lointaine, il faut dire les choses avec saine impartialité, notre éducation est défaillante et cela ne date pas d’hier. Nous n’avons pas cette sensibilité environnementale tout comme cette approche d’interêt global.
Concrètement, outre les manifestions, quelles ont été les actions engagées par le collectif et quelles seront-elles par le biais de votre association ?
Nous avons saisi Madame la Défenseure des droits et d’autres actions juridiques mais il subsiste des voies de recours gratuites qui n’ont pas été mobilisées par la population et cette passivité perdurera tant que les gens n’auront pas pris conscience de leur responsabilité individuelle dans cette crise. À leur décharge, la majorité d’entre eux n’ont pas cette autonomie critique et cette sensibilisation de leurs droits.
À l’heure actuelle, nous avons 20 dossiers auprès des services de la Défense des droits mais s’il était question rien que de 1 000 dossiers, je peux vous garantir que le Gouvernement par rapport aux observations du Médiateur de l’eau n’agirait pas de la même façon et cela, nous l’avons enfin compris. Les futures mobilisations engagées par l’association Mayotte a soif ne se voudront pas populaires, c’est inutile, elles seront basées sur des actions en lien avec l’accès aux droits et la Justice. On va réunir les gens, prendre le temps de les informer et surtout, de les accompagner. Ce statut associatif était une volonté lorsque nous avons commencé à lever des fonds pour notre mouvement; c’est une manière évidente de sécuriser les dons et d’offrir garantie et transparence sur l’ensemble de nos démarches.
Jusqu’alors, le collectif Mayotte a soif c’était quoi ?
C’est un groupe de 700 citoyens avec un noyau dur porteur d’une dizaine de personnes, je dirais. Il faut comprendre et accepter qu’au coeur même de ce collectif, chacun a une perception et une sensibilité qui diffèrent et c’est tout à fait normal, même si la revendication est commune. Nous travaillons aussi avec des acteurs et spécialistes précis hors territoire, ce qui renforce notre vision de cet engament. L’association va œuvrer dans le même sens mais avec une stratégie différente donc.
Sans vouloir tabler sur une approche malsaine visant le stérile buzz mortifère, vous avez récemment publié une video, via certains de vos réseaux très restreints, faisant état d’une sorte d’intimidation reçue par les services préfectoraux de Mayotte, souhaitez-vous vous exprimer là dessus ?
Oui ce sont les termes, coup de pression et intimidation et je ne le cache pas. On ne convoque pas un organisateur de manifestation à, soit disant, une réunion où l’on a en face de nous 5 individus, dont 3 sont en uniforme. Ce genre de procédés ne devrait pas exister sur notre sol et ma vidéo fut aussi un moyen d’encourager d’autres personnes à sortir du silence car il ne s’agirait apparemment pas d’une première. Il n’est pas question de jouer les complotistes ou les victimes mais cela prouve que nos aspirations de donner de la connaissance et du pouvoir au peuple dérange.
Il n’est pas question d’un mouvement personnel, d’exposer éternellement mon visage et de dire moi Racha, non ! Je parle de fournir à tout citoyen mahorais, et même d’un autre DOM rencontrant cette crise, les clés d’accès à ce qu’il a le droit de revendiquer et à l’heure actuelle malheureusement, nos élus de proximité ne nous permettent pas de l’exercer. Et là aussi, nous souhaitons qu’il soit entamé rapidement un vrai travail de sensibilisation auprès de nos politiciens mahorais grâce à notre association.
En tant que journaliste, je me dois aussi d’avoir une approche neutre et modérée face aux événements; j’entends que l’on reproche beaucoup de choses à l’État et particulièrement un manque de moyens donnés pourtant, il semblerait que des moyens, notamment en des décennies antérieures, en plus de ceux actuels annoncés, aient été octroyés donc qu’elle est votre vision aussi face à cela ?
Aujourd’hui, sur notre département, il y a une mémoire qui est incarnée par ces élus qui savent, qui ont voté des lois et pris des choix en temps voulu etc et ce, même si ouvertement, ils ne le reconnaissent pas; mais il se pose tout de même une question : sur un territoire lorsque des budgets sont donnés de X ou Y millions, en tant que citoyens, nous devrions pouvoir voir et constater le bon usage de ces financements.
Cela devrait être flagrant et palpable. Et malheureusement, c’est une réalité, beaucoup d’infrastructures qui ont bénéficié soit disant de moyens financiers, on n’en constate pas vraiment les changements. Alors oui, l’État investit mais contrôle-t’il ? A t’il réellement eu ce souci en amont ? Le terme corruption est un tabou plus ou moins prononcé à travers le Monde, pourtant cela existe et Mayotte n’en est pas épargné.
Un dernier mot Racha ?
Je suis une personne qui sait faire la part des choses mais qui connait aussi ses droits et je souhaite me battre pour que chacun puisse avoir la même prise de conscience. Aujourd’hui je suis indirectement en première ligne mais je ne compte pas y rester éternellement; le relai se veut d’être passé. J’ai créé ce jour un groupe Facebook de l’association Mayotte a soif pour que tout le monde ait l’opportunité d’envoyer ses questions et/ou doléances face à cette crise de l’eau. La population mahoraise est des plus pacifistes et des plus patientes et les autorités doivent aussi le reconnaitre. On ne doit pas crier sur des gens ou les intimider pour une manifestation qui se veut de revendiquer un besoin vital qu’est celui de l’eau. Je sais prioriser mes combats et je veux que les gens puissent se sentir libres, informés et suffisamment armés pour se faire leur propre opinion et sortir également de cette vision traditionnelle du regard de l’autre. Puisse chacun s’émanciper sainement et revendiquer sa dignité et celle de nos générations futures : ni plus ni moins que l’accès à l’eau. Notre association continuera de se battre férocement pour cela.
Propose recueillis par MLG