C’était alors la 1ère fois qu’une ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche atterrissait à Mayotte, nous étions en 2021 et le CUFR (Centre Universitaire de Formation et de Recherche) soufflait ses 10 bougies. Frédérique Vidal avait assuré : « En 2024, l’université de Mayotte pourra délivrer ses propres diplômes ». Son passage avait été marqué par des tensions au sein du centre universitaire de Dembéni, certains réclamant une université de plein exercice immédiatement, quand la ministre lui préférait celui d’Institut National Universitaire (INU), le tout jeune établissement ayant besoin « d’une étape avant l’autonomie totale ». On en était resté là.
Ce mardi, le Conseil National de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (Cneser), organe consultatif présidé par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, s’est penché en présence de la ministre Sylvie Retailleau, sur le seul texte à l’offre du jour : « Adopter le projet de décret transformant le CUFR en EPSCP intitulé ‘université de Mayotte’ ». Le libellé de l’évènement nous rappelant furieusement celui du référendum de 2009 demandant aux mahorais s’ils approuvaient la transformation de Mayotte en une collectivité unique « appelée département », une sorte d’emballage acceptable, nous avons interrogé Abal-Kassim Cheik Ahamed sur cette évolution.
« Nous aurons la bouteille, à nous de la remplir »
Quels habits revêt notre jeune CUFR de 12 ans à partir du 1er janvier 2024 ? Un INU, un EPSCP, une université ?
Abal-Kassim Cheik Ahamed : Nous serons une université mais avec une organisation propre à notre établissement, comme c’est le cas ailleurs. Le CUFR a initialement été pensé pour permettre aux jeunes bacheliers mahorais de pouvoir continuer leurs études sur place jusqu’à Bac+2. Il offre aujourd’hui aux étudiants du territoire, dont les effectifs ont été multipliés par 4, des formations de niveau Licence à Master dans des disciplines variées. Nous sommes passés de 600 à 2.000 avec des infrastructures identiques. Dans mon discours hier au Cneser, j’ai souligné cette évolution en Établissement public à caractère Scientifique, culturel et professionnel homogénéisée avec celle de l’ensemble des EPSCP de France, avec une autonomie renforcée et entière, un principe de participation élargi à plusieurs conseils, et l’opportunité de construire une organisation en cohérence avec le contexte interne et local.
Pour autant, une fois que le texte sera passé en conseil d’Etat avec la publication du décret, nous aurons la bouteille, mais à nous de la remplir avec de l’eau potable !
C’est-à-dire ?
Abal-Kassim Cheik Ahamed : Notre évolution dépend d’une masse critique. Nous avons seulement deux professeurs d’université et 30 maîtres de conférence. Et nous devons nous doter d’un patrimoine pour maitriser notre trajectoire. Aujourd’hui, le conseil d’administration s’est engagé sur le classement du foncier, c’est-à-dire que nous devons engager la maitrise foncière de deux cités universitaires, la première à Dembéni bien sûr, et la seconde à Ouangani. Il faut qu’on gagne en puissance.
Ces deux pôles n’est-ce pas antinomique avec le concept d’un campus ?
Abal-Kassim Cheik Ahamed : Non, à La Réunion ils sont sur deux sites, un au Nord, l’autre au Sud, et un 3ème est en réflexion à l’Est. Le site de Ouangani pourrait être polarisé sur les enseignements et la recherche en vue d’une autosuffisance alimentaire par exemple.
Un positionnement régional
unique
Quelles sont les autres axes de travail pour nourrir cette évolution ?
Abal-Kassim Cheik Ahamed : La priorité immobilière, ainsi que le Schéma directeur de formation initiale et continue. Tout en tenant compte des autres Schémas organisateurs comme le SAR, nous devons tracer les priorités pour 2024 et jusqu’en 2040. L’une d’entre elles est l’insertion professionnelle de nos étudiants, et bien, elle doit être en cohérence avec le plan de développement du territoire.
Autre priorité, les relations internationales avec notamment les autres universités de la région. La réflexion ne pourra se faire qu’avec notre collectivité, avec le conseil départemental. Car on parle de développement accéléré du territoire, mais porté par qui ? L’avenir, ce sont nos étudiants insérés dans notre tissu local qui vont le porter. Nous avons une chance énorme, la seule université de France à être positionnée avec les pays d’Afrique de l’Est et du Sud. Au sein d’une coopération scientifique, nous pourrons porter les grands sujets de la région. Ma philosophie c’est de définir les métiers d’avenir et mettre en place les formations qui correspondent.
Donc vous allez agir en totale autonomie, pédagogique et financière ?
Abal-Kassim Cheik Ahamed : Oui, nous avions aujourd’hui une autonomie de fonctionnement, elle sera renforcée. Nous aurons la possibilité de ‘diplomation’, de délivrer des diplômes, seuls ou conjointement. Et sur le plan financier, nous aurons notre propre budget, avec un contrôle budgétaire du rectorat*, comme partout ailleurs.
Vous restez en poste comme directeur de la future université ?
Abal-Kassim Cheik Ahamed : Les autorités exécutives restent en place, et le mandat du directeur est porté à cinq ans.
Êtes-vous solidement entouré pour mener à bien cette transformation ?
Abal-Kassim Cheik Ahamed : Je compte sur l’ensemble des acteurs de l’établissement, le personnel, les étudiants. Nous avons également besoin d’une implication forte du conseil départemental au titre de Région car l’enseignement supérieur doit prendre toute sa place sur le territoire. C’est bien de parler de l’atout de la jeunesse, mais il faut donner des perspectives de croissance. Je veux souligner que le texte a reçu 45 voix pour, 3 contre et 10 abstentions au Cneser ce mardi, c’est rare un tel vote favorable !
Précisons en conclusion que le projet de décret prévoit l’installation des nouveaux conseil d’administration et conseil académique à partir du 17 février 2025. Il faut donc désormais attendre son adoption par le conseil d’Etat.
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond