Nous ne sommes qu’au début des coupures de 48h, et pas encore au bord de la vidange des retenues collinaires, que des ondes de protestations se répandent.
Tout d’abord, la Commission européenne s’est dite « au courant et très inquiète de la crise à Mayotte », et se dit favorable à la proposition du Président de la Commission REGI, Younous Omarjee (La France Insoumise), d’apporter une aide d’urgence via des transferts depuis le Fonds européen de développement régional (FEDER) vers le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD). « Ces transferts permettraient notamment l’achat et la distribution gratuite de l’eau à toute la population mahoraise », précise Younous Omarjee dans un communiqué.
Une très bonne nouvelle, encore faut-il ne pas ponctionner sur des fonds FEDER alloués à la construction d’infrastructures pour Mayotte, mais bien, ouvrir une aide supplémentaire. Le député européen invite la Commission européenne « à préciser, par un règlement, les modalités de ces transferts ».
Du côté du Parlement européen, la commission en charge des affaires régionales a tenu, aujourd’hui, un débat sur la situation à Mayotte. Nora Mebarek, co-présidente de la délégation de la gauche sociale et écologique est intervenue au cours de ce débat pour évoquer « la capacité de l’Union européenne à apporter des solutions d’urgence et de solidarité », et revient sur, « la réorientation exceptionnelle des fonds régionaux européens », en évoquant également « la possibilité d’importer de l’eau minérale depuis un pays tiers, ou encore la mobilisation du fonds de solidarité de l’Union européenne ».
L’eurodéputée demande également qu’une partie significative des 347 millions d’euros du FEDER alloués à Mayotte pour 2021-2027 serve « à des investissements massifs pour le stockage des eaux pluviales et la production d’eau potable », en invitant l’Etat à « s’engager dans le lancement d’une Opération d’intérêt national dans ces territoires, à l’image de celle lancée à Marseille, en associant étroitement les collectivités locales à sa gouvernance ». Rappelons encore une fois que cette OIN avait été promise en 2018, mais qu’elle n’a pas encore été mise en œuvre.
4 questions au préfet
C’est une voix quasi-unitaire qui se fait entendre ensuite, celle d’une intersyndicale CFDT, CGT Ma, FSU, CFE CGC, CFTC, SNU TER, qui demande audience au préfet Thierry Suquet sur quatre points : la disponibilité de l’eau au quotidien, sa potabilité, son prix facturé aux abonnés et un calendrier de réalisation des infrastructures annoncés. Rappelons que cela avait fait l’objet d’une interpellation du JDM auprès du ministre délégué aux Outre-mer qui a répondu que des « tableaux » seraient élaborés en pour figer les échéances, et qu’il s’agissait en cela « d’adopter la méthode du CIOM », le Comité Interministériel des Outre-mer mis en place par Elisabeth Borne. La population est en attente sur ce point, nous avons d’ailleurs de notre côté initié une chronologie des investissements en fonction de leur mise en production.
Par ailleurs, les syndicats demandent au syndicat Les Eaux de Mayotte (LEMA, ex-SIEMA) et à son fermier la SMAE (Vinci construction OM), une distribution quotidienne de 2 bouteilles d’eau à toutes les familles de l’île « sans discrimination », la suspension du contrat d’affermage de ladite SMAE, la révision du protocole d’analyse de l’eau par l’ARS Mayotte en matière de potabilité de l’eau, et en profite pour secouer « les élus locaux et les parlementaires » qu’ils jugent défaillants, et pour demander au gouvernement de faire bénéficier le territoire de la solidarité nationale.
L’intersyndicale indique « soutenir » les actions en justice de la part d’associations de consommateurs, et appuie « tout acte de contestation », dont « le gel du paiement des factures d’eau jusqu’au complet rétablissement de la distribution régulière et normale de l’eau potable ». Une pression qu’elle pousse jusqu’à demander aux employés des secteurs public et privé d’user de leur droit de retrait dans une « désobéissance civile *», tout en demandant que les employeurs mettent en place un Plan de continuité d’activité (PAC).
Suspension des indemnités des élus au syndicat LEMA
Autre voix, politique celle-là, le représentant local du Rassemblement national (RN), qui s’insurge également contre les factures d’eau, un sujet pour lequel Saïdali Boina Hamissi est sûr de faire mouche. « Les usagers continuent à recevoir des factures exorbitantes sans qu’il y ait un service rendu », pointe-t-il accusant la SMAE de « vider le porte-monnaie des mahorais sans scrupule ». C’est bien la seule chose qui reste à vider en effet…
Le ministre des Outre-mer est également dans son viseur pour sa proposition de distribution partielle de bouteilles d’eau aux personnes les plus vulnérables, et des gourdes aux enfants, « plaçant Mayotte en situation d’un pays du tiers-monde ».
Également visée, la déontologie des élus du syndicat Les Eaux de Mayotte (LEMA, ex SIEAM) « qui brillent par leur silence (…) et continuent à percevoir des indemnités », et des maires « ignorant leurs responsabilités aux droits à l’accès à l’eau potable de tous les citoyens ». Rappelons que chaque commune dispose de deux représentants dans ce syndicat qui est passé d’intercommunal à mixte pour accueillir les EPCI. Il appelle les maires et les présidents d’interco à « mettre la main à la poche ».
Le RN demande en conséquence, « la suspension immédiate des indemnités des élus de cette structure qui semble être à l’agonie », « la suspension et le remboursement aux usagers des sommes perçues sur les factures émises sans services rendus depuis le début de cette crise d’eau » étant donné les précautions à prendre pour la rendre potable sur la période de purge, « la distribution des bouteilles d’eau à tous les Mahorais sans distinction » et le placement de Mayotte en « catastrophe naturelle ».
« Faites du bruit » avec des bouteilles vides
Du côté de la population, un appel à manifester est lancé pour ce samedi sous le slogan « Mayotte a soif ». Rendez-vous est donné à 8h devant la SMAE à Kawéni, avant de se rendre à la préfecture puis à la place de l’ancien Marché au rond-point de la barge à Mamoudzou. Des pancartes devraient fleurir sur les différents services touchés, santé, éducation nationale, avec une nouvelle dégradation de l’image de l’île. Des instruments pour « faire du bruit » sont confectionnés, « bouteille vide avec cailloux, mbiwi, sifflets, mégaphone », etc. Une pétition contre cette pénurie est rédigée, et une plainte collective constituée.
Anne Perzo-Lafond
*Action militante, généralement pacifique, consistant à ne pas se soumettre à une loi pour des motifs politiques ou idéologiques (Larousse)