Lorsque un mouvement social avait profondément ébranlé le Service Départemental d’Incendie et de Secours (SDIS) de Mayotte en septembre 2020, sa présidente, Moinécha Soumaïla avait tenté un juste arbitrage entre les travaux, notamment d’hygiène, à mener, et l’équilibre budgétaire à préserver. Elle mettait en garde contre les difficultés du service, et avait été conspuée. Un protocole d’accord suivant les doléances des pompiers, avait été signé. La catastrophe annoncée s’est concrétisée : le budget du SDIS976 est annoncé en déficit de 4,9 millions d’euros sur 2023, soit 21% de son montant total.
Les services de la préfecture ont refait les calculs d’un budget présentable livré par le SDIS, se sont aperçu de trous dans la raquette, et ont saisi la Chambre régionale des comptes (CRC) afin qu’elle se penche sur les chiffres. Ils ne sont donc pas bons, et le protocole de sortie de crise de septembre 2020 est pointé du doigt : « cosigné par le Département et la préfecture, il a eu pour conséquence d’accroître aussi bien les charges de fonctionnement que celles d’investissement sans prévoir les financements associés. »
Elle relève également que la convention pluriannuelle de juin 2021 entre le SDIS et le Département a limité la progression de la participation du Département aux charges de fonctionnement à 1,5 % par an, contre +3,5% pour les communes, « sans prendre en compte les conséquences financières engendrées par le protocole d’accord de septembre 2020 en fonctionnement ». Le protocole de sortie de crise de 2020 a prévu 36 millions d’euros de financement du CD pour les opérations d’investissement.
Ne pas compromettre l’action des pompiers
Sur les nombreux travaux à mener, on trouve la rénovation de la caserne de Kawéni, la construction de la caserne d’Acoua, la mise en place d’un atelier mécanique, mais le SDIS n’a pas prévu de recettes, alors que la convention pluriannuelle signée avec le CD prévoit le versement de 30% du montant de l’opération au lancement des travaux. Et il mise sur 8,5 millions d’euros du fonds FEDER pour financer l’école régionale de sécurité civile, alors qu’aucune garantie n’a été donnée, selon la CRC. Par contre, il faut rajouter pour cet investissement 4,5 millions d’euros prévu dans la convention annuelle signée avec le CD.
La chambre formule des propositions tendant au rétablissement de l’équilibre budgétaire tout en veillant à ce que les mesures contraignantes ne compromettent pas les capacités d’intervention des pompiers ou bien le rattrapage de ses retards d’équipements, notamment au regard du des objectifs fixés par le schéma départemental d’analyse et de couverture du risque (SDACR), document stratégique élaboré sous l’autorité du préfet.
Les charges à caractère général ont augmenté de 10%, et pour appliquer le protocole d’accord de 2020, il a fallu accroitre les charges de personnel, +6,6% de 2018 à 2022, et +5,5% en 2023, amenant la chambre à considérer le déficit non pas comme conjoncturel, « mais structurel ». « L’équilibre de la section de fonctionnement ne serait établi qu’en 2026 ». La construction provisoire d’un centre d’incendie et de secours à Coconi pourrait donc être abandonnée, c’est en tout cas le conseil donné par les magistrats.
Un fonds d’aide à l’investissement non sollicité
La chambre a considéré que les déséquilibres ne peuvent être résorbés sur un seul exercice et doivent faire l’objet d’un plan de redressement sur plusieurs années. Leur résorption passe notamment par l’obtention par le Département de la recette résultant de la taxe sur les contrats d’assurance et reversée au profit du SDIS. « Elle passe également par une maîtrise rigoureuse des dépenses courantes (charges à caractère général et subventions) et de ses charges de personnel, notamment par une diminution du nombre des personnels non titulaires. »
Il est également conseillé au SDIS976 de demander au Département l’exonération d’octroi de mer, « au titre de l’exercice de missions régaliennes, pour l’achat des équipements concourant à la réalisation de ses missions ». Cette exonération contribuerait à « réduire ses dépenses et rétablir ses équilibres plus rapidement ». Des recettes d’octroi de mer qui bénéficient, ne l’oublions pas, aux communes.
La chambre relève également que pour financer ses investissements, le SDIS n’a eu recours jusqu’à présent qu’aux seuls financements du Département « sans jamais mobiliser le fonds d’aide à l’investissement des services départementaux et territoriaux d’incendie et de secours, qui prévoit des aides pour les équipements et matériels de lutte contre feux, risques, d’intervention pour le secours à personnes, d’aide au commandement, d’appui à la formation, informatique et transmission, études ». Le montant des subventions pouvant être allouées pourrait représenter de 20 à 60 % des dépenses « voir 70 % lorsqu’il est constaté d’importants retards d’équipement, comme c’est le cas à Mayotte ». L’octroi de tels financements contribuerait à rétablir l’équilibre plus rapidement.
Le plan de redressement est envisagé jusqu’en 2027.
Consulter l’Avis de la CRC sur le SDIS976
Anne Perzo-Lafond