Ce dimanche, les trois ministres en déplacement à Mayotte ont coché les cases. L’objectif annoncé lors du lancement de l’opération Wuambushu d’un millier à faire tomber sous les tractopelle devrait être atteint à la fin de l’année leur a-t-il été assuré. En réalité, peu importe de savoir sur les chiffres ont été gonflés sur certaines démolitions comme à Barakani/Koungou, puisque le taf sur ce thème est fait, « depuis 2019, 2.600 cases ont été démolies », rappelait Psylvia Dewas, Chargée de projet sur l’habitat insalubre à la préfecture de Mayotte, nous avions consacré un article à ce sujet.
Il était rappelé à Gérald Darmanin, Jean-François Carenco et Olivier Klein (Logement), mais surtout aux médias nationaux, les objectifs poursuivis. La construction de logements sociaux à Talus 2, d’une station d’épuration à Barakani/Koungou, du dojo du lycée des Métiers du bâtiment à Longoni, et sur le site même qui accueillait les présences ministérielles à Dzaoudzi, la restauration d’une zone qu’on nous présente comme ancienne mangrove.
Premier acquis des renforts de cette opération de Gérald Darmanin, « l’accélération du rythme des instruction des périmètres de destruction, avec 10 arrêtés préfectoraux, et 8 à venir d’ici l’été ».
« Ceux qui ont fait du tourisme juridique »
Profitant de la présence des ministres, la 1ère opération de démolition de Petite Terre, à Marzoukou aux Badamiers, s’est tenue pour sa phase A. Sur les 35 cases concernées par les deux périmètres, deux étaient encore occupées ce dimanche matin, « beaucoup de familles ne croient pas que cela va se faire », expliquait l’officier de gendarmerie qui supervise l’opération. Une fois l’opération achevée, après passage des travailleurs sociaux, relogement provisoire des familles, et prise en charge de leurs meubles, il faut éviter que certaines rebâtissent sur la zone, « nous organisons des patrouilles ou, comme à Talus 2, le maintien d’un dispositif 24h/24 ». 63 gendarmes étaient mobilisés ce dimanche.
Lors la conférence de presse sur le site, Gérald Darmanin s’est expliqué, et défendu, sur le retard à l’allumage de l’opération Wuambushu, censée avoir débuté le 24 avril, mais qui commence en réalité à porter ses fruits.
Sur le chapitre judiciaire, il revenait sur le nombre important de recours, dont celui en appel jugeant incompétent le tribunal correctionnel, « qui fait jurisprudence pour les suivants », et c’est un tantinet amer que le ministre de l’Intérieur invitait tous ceux qui ont fait du « tourisme juridique » à visiter les cases « où il n’y a pas d’eau courante », et « où s’il y avait eu un cyclone, tout le monde aurait pleuré. » Pas de pose devant les caméras à proximité des démolitions, pour les ministres.
En matière diplomatique qui ne touche pas son ministère, mais aurait du être planifié lors du lancement de l’opération pour ne pas arriver à un blocage par le président Azali, Gérald Darmanin impliquait tous les acteurs : « Nous avons des difficultés avec les Etats d’Afrique des Grands Lacs, Burundi, Rwanda, Mozambique ou Tanzanie, pour lesquels il y a peu de reconduites à la frontière. Or, ils sont 5.000 à venir de ce pays. Nous mettons des moyens importants sur les autres reconduites et l’arrêt des flux d’entrée, il y en a trois fois moins, et j’annonce la construction d’un Centre de rétention administratif en Grande terre, ça nous évitera notamment de payer la barge pour les étrangers en situation irrégulière. Là dessus, les élus doivent faire un effort, et également sur l’octroi de mer importé par la gendarmerie. Mais il faut aussi que la population mahoraise ne loue pas ces bangas, ne fasse pas de reconnaissances frauduleuses de paternité, chacun doit faire son travail. »
Une OIN pour gagner un an sur les procédures
Pour permettre d’accélérer les opérations de démolition, en dehors des renforts de gendarmerie, de police et de magistrats, chacun sur leurs compétences, il faut accélérer la production de logements d’urgence, pour être en adéquation entre le nombre de démolition et celui des relogements, « un travail de longue haleine », soulignait Olivier Klein. Une réunion sur ce thème se tenait d’ailleurs ce dimanche après-midi à Mayotte, indiquait Jean-François Carenco, qui annonçait « une opération d’intérêt national pour gagner un an de délai sur toutes les procédures. » Enfin, pourrait-on dire puisque cette OIN avait été annoncée après le mouvement social de 2018.
Il s’agit d’une opération d’aménagement qui répond à des enjeux « d’une importance telle qu’elle nécessite une mobilisation de la collectivité nationale et l’engagement de l’Etat à y consacrer des moyens particuliers », indique la réglementation. Plusieurs quartiers en ont bénéficié, l’aménagement de la Plaine du Var, de Saint-Etienne, du quartier d’affaires de La Défense…). Il faut donc attendre de connaître la zone ciblée, « il faut attendre que les démarches administratives soient finalisées », indiquait le ministre délégué aux Outre-mer. Qui indiquait également attendre du projet de budget 2024 « une augmentation de la ligne LBU », la « ligne budgétaire unique » (LBU), qui regroupe les crédits finançant la politique du logement dans les cinq DOM. « Nous en débattons ce lundi avec Gabriel Attal », le ministre des Comptes publics.
Ces opérations de démolition qui étaient donc menées régulièrement avant qu’elles soient estampillées Wuambushu, vont sans doute pouvoir l’être en accéléré avec les moyens déployés par une opération que Gérald Darmanin veut voir prolongée. « On a laissé faire depuis de trop nombreuses années, il faut mener ces destructions et empêcher les réinstallations sinon c’est une ‘prime à l’habitat illégal’. Par notre travail, nous voulons inverser la démographie à Mayotte. Je ne me résous pas à ce que Marine Le Pen ait eu la majorité sur ce territoire, qui est de plus à majorité musulmane. Les Mahorais ont poussé un cri lors des élections présidentielles, nous l’avons entendu. »
Un retour du ministre de l’Intérieur en septembre pour faire le point n’est pas exclu.
Anne Perzo-Lafond