Ce samedi 21 janvier au matin, les passagers de l’avion en provenance de Paris atterris à 7h30, ont mis 5h pour rejoindre leur domicile dans le Nord de Grande Terre. Une barge a tenté d’accoster par trois fois sans succès, puis s’en est allée au quai Ballou à l’abri, récupérer des passagers. Une heure s’est écoulée sans que la moindre activité maritime n’ait lieu au quai Issoufali. Nous avons alors tenté d’appeler le directeur du service, en vain.
Pour des bâtiments dédiés à la navigation côtière, l’histoire du Service des Transports Maritimes (STM) relève d’un périple au long cours. De dérogations des permis de navigations en démissions voire licenciements, de ses cadres, les écueils se multiplient, et la gestion par le conseil départemental laisse à désirer depuis fort longtemps.
En 2013, les Affaires maritimes multiplient les dérogations pour ne pas stopper la liaison entre les deux îles de Mayotte, tant au niveau de l’état des bateaux, que de celui des capitaines. Pour finir par voir rouge, mettant un veto, ce qui avait provoqué le recrutement de capitaines 500. S’en était suivi une ère de stabilité. Mais un mouvement social avait raison de la tête pensante d’un service qui n’a pas tardé à se remettre à tanguer.
En 2018, un rapport de la Chambre régionale des comptes épingle de nouveau : « L’exploitation souffre de fraude et de sureffectifs, les investissements ne sont ni anticipés, ni suivis avec une vigilance suffisante. »
« La situation est ingérable ! »
Des compétences sont encore une fois trouvées, mais cela ne dure pas, des licenciements et des démissions viennent de pleuvoir à nouveau : il n’y a à ce jour plus de directeur général, plus de directeur technique, et le directeur d’exploitation, Rémi Chatagnon, vient de donner sa démission ! « La situation est ingérable, nous explique-t-il, les barges n’ont plus de permis de navigation. Partout ailleurs en France, les bateaux ne seraient pas autorisés à prendre la mer. Nous n’avons même plus de dérogation des Affaires maritimes pour embarquer des moutons, et on prend des passagers ! Ces derniers peuvent remercier le personnel naviguant, ce sont des héros. »
Sa situation lui permet de ne « pas avoir la langue de bois » : « Tant que les élus positionnent sur les postes de ce service des cousins éloignés qui n’ont pas de compétences, alors que des gens extraordinaires n’ont pas les moyens de bosser, cela ne fonctionnera pas. »
L’augmentation du trafic ne s’accompagne pas de moyens alloués : « En 2019, nous faisions 4,5 millions de passagers et 320.000 deux roues, cette année 2022, nous en sommes à 5,2 millions de passagers et 780.000 deux roues ». Et pas seulement en raison d’une régularisation des moyens de paiement, « il y a encore des détournements, j’ai averti le procureur », mais parce que la demande a augmenté, « rien n’a été anticipé, le matériel est sous-dimensionné ».
Pas de suivi faute de directeur
Pourtant, le conseil départemental a investi avec les fonds européens dans les deux navires, inaugurés sous les flashes, le Karihani et le Polé, en 2017. Mais les arrêts techniques quinquennaux d’entretien des navires ont impliqué leur remorquage vers le chantier CNOI à Maurice en milieu d’année 2022. Un budget de 3 millions d’euros pour le conseil départemental, qui intègre l’acheminement à Maurice alors qu’un agrandissement de la lace sèche de Petite Terre était possible, et la remotorisation complète des deux navires. Une action critiquée par le directeur d’exploitation, « une révision renforcée aurait suffi », qui fulmine contre le mauvais état des barges à leur retour, « seuls trois moteurs sur les quatre fonctionnent ». Ce qui explique leur mauvaise manœuvrabilité pendant cette période de vents forts, et les retards de samedi et de ce lundi matin, « au lieu de démarrer les rotations à 5h30, elles ont dû attendre 7h du matin pour le faire », désorganisant le trafic.
Si les moteurs ont été refaits à neuf, c’est que les deux barges arrivaient à une révision quinquennale renforcée, nous explique un connaisseur du dossier, « les problèmes qui se posent actuellement sont électroniques en raison notamment du fort taux d’humidité à Mayotte. Un contacteur empêche le moteur de démarrer, il faut dans ce cas refaire venir les équipes du chantier CNOI, sans doute pris en charge par la garantie ». Mais voilà, il n’y a plus de directeur technique, qui aurait été désavoué par les élus pour n’avoir pas déniché une vedette à passagers à la hauteur de leurs besoins.
C’est d’autant plus préjudiciable que c’est lui qui avait rédigé le cahier des charges des deux futurs amphidromes, le Chatouilleuses, qui doit arriver en mars, et le Ymane, en juin.
Selon nos informations, un appel à candidatures a été lancé pour le poste de directeur général, qui aurait reçu 4 réponses favorables, mais pour l’instant, le poste de directeur technique n’a pas été pourvu.
En conclusion de cette saga, tous nos interlocuteurs s’accordent sur un point, « il faut privatiser le STM ! »
Anne Perzo-Lafond