A Mayotte, seule la nature se plaint. Les priorités sont tellement nombreuses, que nous sommes en retard sur le reste des départements en terme de dépôt de plainte.
En 2021, les services de Police et de Gendarmerie nationales ont enregistré sur le plan national, 31.400 délits ou contraventions liées à l’environnement*, un nombre en augmentation de 7 % par rapport à 2016. Un phénomène « hétérogène » : un tiers relève d’actes visant les animaux, 25 % d’actes liés à l’exploitation forestière ou minière illégale et 13 % d’infractions à la règlementation sur la chasse et la pêche. Parmi les affaires environnementales traitées par les parquets (hors actes visant les animaux), celles enregistrées par les services de sécurité en représentent près de la moitié (47 %) en moyenne.
Logiquement, la moitié des infractions environnementales sont commises dans des communes rurales, soit un taux de 9,3 infractions pour 10.000 habitants (contre 4,5 sur l’ensemble du territoire national). La Guyane présente un taux d’infractions environnementales neuf fois plus élevé que la moyenne nationale, 42 pour 10.000 habitants, « en raison de la forte concentration des infractions liées à des exploitations minières illégales ». Les côtes atlantique et méditerranéenne concentrent les taux d’infractions liées aux forêts, « exploitation forestière illégale et non-respect des règles de prévention des incendies », pour 100 km? de surface forestière les plus élevés. Et Mayotte ?
De l’orange de la carte au rouge de la réalité des feux de forêt
A ce stade de l’étude, nous nous sommes attardés sur la carte de dégradations des forêts publiée par le SSMSI (voir ci-dessus). Notre département y figure en orange, traduisant une atteinte modérée au massif forestier. Or, le comité français de l’UICN avait publié en 2020 une alerte sur la déforestation à Mayotte, la considérant comme « le département détenant le record de déforestation en France« , estimant « entre 2011 et 2016, un défrichement de 6,7 %, 1400 hectares de terres boisées ont disparu », amenant Mayotte à « un taux de déforestation annuel de 1,2%, similaire à ceux de l’Argentine ou de l’Indonésie », concluait l’UICN.
Et la situation se dégrade d’année en année, selon l’association les Naturalistes, notre département aurait donc dû voir sa couleur virer au rouge grenat, à l’instar des Bouches-du-Rhône ou de la Seine-Saint-Denis.
D’où vient ce grand écart ? Il peut certainement s’expliquer par le nombre insuffisant de plaintes pour atteinte à l’environnement à Mayotte. Qui se rend à la gendarmerie pour déplorer qu’un pan de forêt part en fumée ?! Le constat ne vaut d’ailleurs pas seulement pour les forêts, mais aussi pour les autres catégories de dégradations : les violences sur animaux, et particulièrement les chiens ici, ou la réglementation sur la pêche. Celle-ci est davantage traitée sous l’angle de la prévention, plutôt que de la plainte et de la sanction.
Sur le plan national, ceux qui déposent plainte pour des atteintes à l’environnement sont pour moitié des collectivités ou des sociétés (personnes morales).
Ce sont par contre très majoritairement des personnes en chair et en os qui sont accusés de dégradation, et 86% sont des hommes, âgés pour plus de la moitié de 30 à 60 ans.
La publication de ces statistiques, si incomplètes soient elles pour Mayotte, est une bonne chose. De la même manière que les violences familiales, en parler, c’est déjà crever l’abcès, et peut-être inciter aux dépôts de plainte. Mais sur un territoire où la sécurité et les violences restent un enjeu majeur, la forêt et le lagon offrent une bien pâle concurrence pour les dépôts de plainte. Pourtant, chaque bout de terrain est désormais convoité, avec une densité de population en forte hausse, avec des atteintes qui se multiplient, contre les arbres dans les zones urbaines, contre les plantations, et contre la forêt. Des statistiques qui amèneront il faut l’espérer, une prise de conscience à terme.
Anne Perzo-Lafond
* Les données sur les délits et contraventions sont recueillies au sein de la Nomenclature statistique française des infractions (NFI) en cohérence avec la nomenclature internationale ICCS (International classification of crimes for statistical purposes)