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Mamoudzou

Criminalité en forte hausse : le tribunal judiciaire ne connaît pas la crise

L'activité du tribunal judiciaire a explosé en 2021, avec une hausse inédite des procédures criminelles et délictuelles, une explosion des condamnations, y compris à la prison ferme, et une prison qui s'en trouve remplie à 160%, au point d'envoyer des détenus en métropole.

L’insécurité est « une réalité » concède le procureur Yann Le Bris qui balaye le terme de « sentiment ». Il confirme « une délinquance qui augmente, cette délinquance existe.

Un constat que les chiffres confirment : la délinquance et la criminalité sont en hausse, et la justice est au rendez-vous, même si le procureur refuse tout « triomphalisme » car « la paix publique n’est pas rétablie à Mayotte ». Pour Yann le Bris, « l’activité pénale a suivi l’évolution de la délinquance (…) On essaye de faire en sorte que les plus dangereux soient mis à l’écart pour protéger la société » indique-t-il toutefois.

De fait, le parquet de Mamoudzou a été « saisi de 50% de procédures supplémentaires par rapport à 2020 » soit, 14 000 au lieu de 9916 l’année précédente. Ce chiffre témoigne d’une forte augmentation de la délinquance en 2021, après une année marquée par le premier confinement. Parmi ces faits en hausse, principalement des infractions graves. Les affaires criminelles augmentent de 25%. Les délits, de 21%.

Alors que « le nombre de personnes mises en cause est aussi en augmentation constante », le pôle d’instruction s’est vu confier pas moins de 107 procédures criminelles à traiter, et un total de 20% d’informations judiciaires ouvertes en plus par rapport à 2020. Les poursuites devant les juridictions pour mineurs augmentent quant à elles de 9%.

Face à cet afflux de procédures, la réponse est-elle à la hauteur comme l’affirme le procureur ?
Selon ce dernier, le taux de réponse pénale est passé entre 2020 et 2021 de 68% à 81% « alors que nous avons été saisis de 50% de dossiers en plus » indique-t-il.

Dans le détail, les condamnations corroborent ce constat global. Sous l’impulsion du procureur, les procédures de plaidé-coupable, ou CRPC (comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité) ont explosé, avec +180% de procédures traitées dans ce cadre. Le premier avantage : une sanction qui tombe dans les heures qui suivent la garde à vue, et une peine exécutée immédiatement. En 2021 il y a ainsi eu 646 CRPC contre 230 en 2020.

Contrepartie de cette politique pénale, les comparutions immédiates sont, elles, en légère baisse, passant de 265 « compas » à 227 entre 2020 et 2021.

Souvent taxé de laxisme, le tribunal de Mamoudzou a de quoi faire taire les mauvaises langues. « La réponse judiciaire, même si elle est perfectible et doit accepter la critique s’est renforcée et a fait preuve d’une capacité d’adaptation remarquable, éloignée des clichés de laxisme que parfois on entretient » balaye Yann Le Bris.

Le nombre de condamnations au tribunal a augmenté de 27% passant à près de 1800. « Le nombre de peines de prison ferme a augmenté de 35%, passant de 396 à 536 en un an. Un tiers des peines prononcées sont des peines d’emprisonnement ferme.Les incarcérations immédiates passent de 84  181, soit +115% en 2 ans. » détaille le parquet.
Résultat immédiat et mathématique, la prison de Majicavo accuse un taux d’occupation de 160%. Pour tenir l’afflux de détenus, « mutualisation » des espaces et envois de détenus dans d’autres départements sont désormais nécessaires assure le procureur. Il l’assure, les décisions pénales rendues par les juges ne tiennent pas compte du taux de remplissage de la prison.

Une sévérité accrue

Les juges prononcent donc plus de condamnations à de la prison ferme, mais aussi des peines en moyenne plus longues.  Le quantum des peines est passé de 2019 à 2021 de 7,6 mois à presque 13 mois en moyenne. Le nombre de peines supérieures à 1 an a augmenté de 162% sur le même période. A l’inverse, les peines aménageables sont passées de 80% de peines aménageables à 56% seulement.

Le procureur Yann Le Bris constate une explosion des faits délictuels et criminels, ainsi qu’une réponse pénale plus sévère

A noter que ces données ne concernent que l’activité délictuelle. Les procédures criminelles, jugées devant la cour d’Assises avec des quantums de peines bien plus élevés, ne sont pas pris en compte dans ces moyennes. Mais l’activité des Assises a, elle aussi, fortement augmenté. En 2019, il y avait 3 sessions d’assises. En 2020, il y en a eu 7, et en 2021, 9 sessions étaient programmées. « Rien qu’au premier trimestre 2022, ce seront 51 jours d’audiences aux assises qui se tiendront. Le stock d’affaires à juger dépasse les 50 dossiers » précise le procureur.

Pour lui, ce bilan en nette progression est le fruit du travail de tous les partenaires de la justice. Les juges, greffiers et autres fonctionnaires du tribunal bien sur, malgré un sous-effectif chronique et un taux d’arrêts maladie lié au Covid qui atteint jusqu’à 30% du personnel. Mais aussi « une activité soutenue des policiers et gendarmes dont le salue toute l’action, nous savons la difficulté qui est celle de leur mission, ils sont en première ligne pour juguler la délinquance endémique que connaît l’île. L’activité judicaire n’est que la traduction de leur engagement quotidien » insiste le procureur, soucieux de leur rendre justice à l’occasion de ce bilan annuel.

Un travail d’équipe à grande échelle

Autre corps de métier à l’honneur, les avocats. Le procureur salue l’engagement « du barreau, qui n’est jamais dans la complaisance mais qui fait preuve d’une grande responsabilité, qui est investi dans la permanence pénale, et qui nous permet de fonctionner presque normalement ».

Les mois et les années qui viennent devront confirmer cette tendance, avec des moyens supplémentaires pour tenir le rythme. Une cité judiciaire avec de nouveaux locaux plus spacieux devrait voir le jour d’ici quelques années. Des effectifs supplémentaires sont souhaités au siège comme au parquet, avec au moins 6 magistrats (dont la création d’un poste de juge foncier), dans l’idéal et en tenant compte de la place disponible dans le tribunal actuel, récent, mais déjà bien trop étroit.

Autres évolutions attendues, un pôle de médecine légale au CHM, une montée en puissance de la lutte contre les infractions environnementales, et les « atteintes à la probité », ou délinquance en col blanc. Pas moins de 3 enquêtes pour des créations de pistes illégales en forêt sont notamment en cours actuellement. Les violences intrafamiliales, faites aux femmes et aux enfants, sont une des grandes priorités de la Justice à Mayotte.

Enfin, parceque derrière chaque coupable, il y a des victimes, le parquet accompagne la montée en puissance du SCJE (Service de Contrôle Judiciaire et d’Enquêtes) qui doit avec le CDAD (centre départemental d’accès au droit) améliorer leur prise en charge, avec des conseils juridiques. « On constate encore trop souvent des victimes isolées à l’audience, qui n’ont pas eu contact avec des associations ou des avocats, c’est un travail de fond à mener avec le CDAD, les avocats et le SCJE » note le procureur.

Dernier point notable de l’activité du tribunal, le volet civil. Le parquet est en effet chargé de poursuivre les délinquants mais aussi de régler les questions d’état civil. Chaque année, entre 1200 et 1500 procédures étaient en souffrance. Un coup de collier du parquet a permis de réduire ce stock à environ 300 procédures en attente, « soit une division par 4 en un an ».

Tous ces chiffres, s’ils sont en progression, sont aussi une photographie bien terne du territoire, confronté à des violences croissantes. Et parce que la Justice ne pourra pas indéfiniment suivre la montée de la délinquance, nourrie par une pauvreté extrême et un déficit d’encadrement de la jeunesse, il faudra que ces chiffres nourrissent de solides projets de prévention, de formation et d’occupation. Le ministre la Justice, initialement attendu le 14 février à Mayotte, sera donc attendu sur des annonces qui devront aller bien au delà des seules réponses répressives.

Y.D.

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