Et si la réponse au duel Corsair-Air Austral dans la zone passait par une triangulaire ? Pour rebattre les cartes sans trop s’exposer financièrement avec une guerre des prix qui l’avait déjà fragilisée, Air Austral propose une parade : positionner sa filiale Ewa Air sur des créneaux fortement concurrentiels, à savoir la ligne Mayotte-Réunion et, grande nouveauté, un direct Mayotte- Maurice. Le tout sous la forme d’une offre low-cost, allant de 21,5€ HT (67,64 TTC) pour un Mayotte-Réunion jusqu’à à 410€ l’aller-retour sur la même ligne. Le Dzaoudzi-Maurice devrait se positionner autour de 450€ AR. Pour parvenir à ces offres alléchantes, Ewa table sur les méthodes du low-cost : bagages en supplément (50€ le premier bagage, 70€ le second), choix des sièges payants, tarifs variables selon la demande, et plus de passagers, pour un coût par siège revu à la baisse grâce à la suppression de la première classe. Par ailleurs pour limiter les risques, la compagnie Ewa enrichira sa flotte d’ATR (avions à hélices) par un Boeing 737-800 loué… à sa maison mère Air Austral, en leasing.
Le président de ladite maison-mère, Marie-Joseph Malé, mesure les risques, qui sont calculés et qui, dans un premier temps, n’engagent que la petite sœur mahoraise Ewa. « C’est un véritable tournant, un décollage, après la création de la compagnie en 2013. On change de dimension, c’est compliqué mais essentiel, ça comporte beaucoup d’opportunités mais aussi des risques, liés à la capacité d’une petite entreprise qui va croître.
On va s’intéresser à un marché avec des ventes importantes ailleurs, comme Maurice et La Réunion, il va falloir s’adapter. On peut gagner beaucoup d’argent mais aussi en perdre très vite » prévient le PDG qui table sur un doublement des recrutements, et un chiffre d’affaires qui pourrait passer de 12 à 26 millions d’euros.Ce bond en avant pour Ewa va aussi donner des ailes à la compagnie pour viser d’autres cieux. Le 737, qui est en train d’être repeint aux nouvelles couleurs d’Ewa (la nouvelle identité visuelle de la compagnie qui accompagne ces changements sera dévoilée dans les jours à venir), lui offrira « un rayon d’action considérable, dans l’océan Indien et tout le Moyen Orient et une bonne partie de l’Afrique » indique Marie-Joseph Malé. Outre les deux liaisons hebdomadaires pour La Réunion et les futures liaisons en direct pour Maurice, la compagnie pourra donc à moyen terme desservir des liaisons ponctuellement demandées, notamment pour le Hadj (pèlerinage à la Mecque).
Avec un tel positionnement tarifaire, en période de pandémie toujours active, on pourrait avoir l’impression qu’Air Austral se tire une balle dans le pied en faisant venir la concurrence de son propre camp, mais c’est au pied du mur que l’on redouble d’audace. « Air Austral a des capacités qui ont été revues à la baisse » concède le PDG du groupe. « Corsair s’est positionné, globalement la compétition s’est mise en place, les tarifs ont baissé, tout le monde doit se remettre en cause. Ewa arrive dans le cadre d’une volonté politique et à un moment où la solution doit être une solution mahoraise, ça va dans le sens de l’histoire » estime-t-il.
Coup de poker sur Maurice
Or, le défi est grand. La compagnie promet deux vols hebdomadaires vers Maurice en direct et autant vers La Réunion, en desservant les aéroports de Saint-Denis et de Saint-Pierre. Un service qui ne sera rentable que si les réservations vont dans les deux sens. A La Réunion, Air Austral a déjà repéré une forte clientèle mahoraise qui se plaint d’avoir à monter sur Saint-Denis pour se rendre à Mayotte. Des billets moins cher près de chez eux trouveront sans doute preneurs. Pour Maurice, c’est plus compliqué : les Mauriciens ne viendront pas en vacances à Mayotte. Si la crise sanitaire permet une reprise des vols vers ce voisin de La Réunion, il faudra y bâtir une clientèle nouvelle. La création récente de centres de formation à Mayotte, dans les domaines du tourisme ou du commerce, demandera des liaisons vers ce partenaire qu’est Maurice. On peut donc s’attendre à voir arriver des stagiaires, des entrepreneurs et sans doute aussi des formateurs, pour apporter à Mayotte un savoir-faire, et fournir à l’hôtellerie mauricienne une manne de stagiaires qui n’ont pas ici de complexes touristiques pour se faire la main.
La rentabilité éventuelle de la ligne Mayotte-Maurice tiendra peut-être aussi par un partenariat entre Ewa et Air Mauritius qui avait déjà des vues sur Mayotte.
Si la ligne vers Maurice n’est pas attendue avant le premier semestre 2022, les vols vers Saint-Denis et Saint-Pierre débuteront eux rapidement, dès les 21 et 22 décembre.
Ceux qui auraient renoncé à s’y rendre en raison du prix des billets trouveront peut-être là matière à revoir leurs projets de vacances.
Y.D.