Il a cassé dans l’imagerie populaire l’idée que l’on se faisait des sénateurs et de leur train, qui colle à ses vétérans de la politique aux cheveux gris, mais pas au jeune de 39 ans ans que Thani Mohamed était lors de son accession au Sénat en 2011. Encore moins aux essais transformés, pour ne parler que de ses amendements adoptés taillant une brèche dans le droit du sol ou portant sur la diminution de 60% des valeurs locatives. Ce dernier étant le fruit d’une action collective de l’ensemble des élus de l’île, « il va falloir s’y habituer, c’est désormais une légende urbaine qui de dire que les élus ne s’entendent pas pour porter les revendications sur Mayotte à Paris, même si nous gardons nos divergences en interne », tient à souligner celui qui appelait il y a quelques années à « chasser en meutes » : « Cela nous permet d’être davantage entendus, puisqu’en matière de dotation budgétaire comme sur l’urgence sanitaire, nous n’avons pas été oubliés. Mais nous ne sommes pas encore entendus à hauteur des enjeux ». Sans doute une explication de la « difficulté » de la population à « ressentir ces changements ».
Comme chaque année, exceptée celle du Covid, Thani Mohamed Soilihi se prête au jeu démocratique de son rendu d’actions parlementaires auprès des médias, après avoir adressé une lettre semestrielle aux élus de l’île – ses « grands électeurs » – pour leur rendre compte.
Compilant les années 2020 et 2021, la somme de travail du sénateur Mahorais intègre sur 140 pages ses interventions en séance publique et en commission, et ses différents courriers, aux ministres, au président de la République, et les réponses. Cette dernière partie rend visible l’action législative qui pourrait paraître nébuleuse, puisqu’il interpelle par courrier, après l’avoir fait par oral, notamment sur la piste longue, le 2ème hôpital, ou l’accord cadre France-Comores, dont plusieurs sont cosignés avec les autres élus.
Illustration de l’aura de notre sénateur, il glisse avoir été rapporteur sur les crédits outre-mer et sur les outils à disposition des entreprises en difficulté, « nos préconisations ont donné lieu à plusieurs lois ». Méconnu du commun des mortels, le « rapporteur » au Sénat exerce une grande influence lors de la discussion du texte, il a la confiance de la commission afférente.
« Quasiment tous les textes concernent Mayotte »
Même si le bilan cette année était dominé par le rapport sur l’insécurité à Mayotte de la délégation de la commission des lois dont nous avons révélé des extraits en exclusivité, ses actions parlementaires n’étaient pas passées à la trappe : « Depuis que nous sommes département, tous les textes que nous examinons concernent Mayotte, sauf rares mentions contraires. C’est donc l’occasion pour nous parlementaires d’intervenir pour défendre notre territoire. Ce fut le cas sur la réforme du Conseil économique et social, sur le projet de loi finances, sur la loi sur les mineurs isolés ou sur la justice pénale des mineurs ». Sur cette dernière, il défend l’esprit de l’ordonnance de 1945, « la réponse pénale doit mêler répression et éducation, en graduant en fonction de l’acte. Celui qui porte un tournevis mortel doit partir en prison, mais un jour, il sortira. La loi va permettre de juger plus rapidement les délinquants. La difficulté à Mayotte, c’est que nous n’avons pas toutes les réponses adaptées, avec des insuffisances en personnels judiciaires et d’enquêtes, qui durent trop longtemps, l’absence de centre éducatif fermé, un outil intermédiaire entre la prise en charge par les associations et la prison pour mineur. » Autant de recommandations donnée par le rapport sur la « Sécurité à Mayotte ».
De nombreuses interventions ont porté sur l’insécurité gangrenant le territoire, notamment un courrier au président de la République sur les trois nuits de violence en août 2020, le courrier de l’ensemble des élus demandant l’instauration de l’état d’urgence sécuritaire, etc.
Des préoccupations récurrentes qui avaient amené le président du CD et ancien sénateur Soibahadine Ramadani à solliciter son ancienne maison pour qu’une mission se déplace sur le territoire. Composée de 4 sénateurs, elle était menée par le LR François-Noël Buffet, et composée du même bord politique par Stéphane Le Rudulier, par le centriste Alain Marc et par le LReM Thani Mohamed, « un sénateur de gauche avait été désigné, mais n’a pu se déplacer ». Ils étaient à Mayotte en septembre dernier et ont produit leur rapport dans un temps record. Consulter le Rapport sénatorial insécurité Mayotte octobre 2021
« La venue de mes collègues était importante pour qu’ils constatent le sentiment de vive lassitude et d’abandon ressenti par la population mahoraise, qu’ils ont pu traduire dans un rapport qui a fait du bruit sur le plan national. »
« Je leur souhaite bon courage ! »
Le rapport révèle la sous-estimation du phénomène de délinquance, « cela ne reflète pas la réalité. » Seize recommandations (Liste des propositions) émanent des témoignages sans langue de bois des acteurs de la sécurité. Nous avions rapporté la déclaration du directeur territorial de la police nationale (DTPN), Laurent Simonin, « le niveau de délinquance ne permet pas aux habitants de l’île de mener une vie normale ». Ou les explications du procureur Yann Le Bris sur les raisons d’un bas niveau de dépôt de plainte.
Sur la partie des mesures relevant du Sénat, son ancien vice-président est confiant, « étant donné qu’elles émanent de la majorité des sénateurs, elles passeront, que ce soit sur la Cour d’appel de plein exercice, comme nous avons eu l’ARS et le rectorat, avec les effets positifs que l’on connaît, ou celles sur le droit du sol imposant une année de présence régulière sur le territoire à un des parents d’un nouveau né avant sa naissance. » Sur cette dernière qu’avait annoncée le ministre Darmanin, Thani Mohamed nous avait confié sa crainte de voir son élargissement des trois mois actuels retoqué par le conseil constitutionnel, « j’ai eu tant de mal à l’obtenir, que je souhaite bon courage à ceux qui vont en défendre l’extension ! », réitérait-il. En l’état actuel, l’efficacité de ses amendements portés en 2018 ne sera mesurée que par une campagne de communication de grande ampleur à mener de part et d’autre du bras de mer qui nous sépare d’Anjouan, avait-il indiqué, « c’est au gouvernement de le faire ».
L’étude du projet de loi Mayotte repoussé
Autre recommandation des sénateurs, renforcer les moyens alloués à la lutte contre les reconnaissances de paternité contre rétribution, une fraude qui pourrait être contrée par la constitution d’un fichier unique d’état civil sur le territoire. En reprenant dans ces recommandations des arguments inscrites dans le projet de loi Mayotte, les parlementaires se donnent une chance de les voir menées à bien… étant donné les reports successifs de l’étude de cette loi, « le projet de loi Mayotte devait être étudié en décembre, maintenant on nous parle de janvier », se démarque le sénateur LReM.
Il est aussi question d’intervention des services de police et de gendarmerie en dehors de leur zone et à proximité, lorsque les évènements le nécessitent, et d’inciter à affecter des policiers mahorais sur leur territoire, comme l’y incitait le rapport Lebreton sur les centres d’intérêt matériels et moraux, « même si je comprends qu’il est nécessaire qu’ils aillent se former ailleurs, la proportion des policiers originaire de l’île est inférieure à celle de la Guyane. Nous avons aussi invité à une meilleure organisation de l’intervention des forces de gendarmerie et de policiers municipaux sur le territoire, notamment la nuit où se commettent surtout les faits de délinquance. »
Alors, « un énième rapport pour rien ? ». Thani Mohamed a en main une réponse toute trouvée, celle d’un précédent rapport sénatorial de 1975, aux pages jaunies, que lui a retrouvé la sénatrice de l’Orne, et qu’il brandit : « C’est grâce à lui que nous avions pu obtenir le décompte des voix île par île et ainsi éviter de partir sur la voie de l’indépendance avec les Comores. » L’opinion du président du Sénat de l’époque, Alain Poher, avait en effet pesé dans la balance.
Pour être à la hauteur de l’enjeu, les élus de Mayotte doivent se saisir des recommandations et exiger du gouvernement leur mise en place.
Anne Perzo-Lafond