[Article mis à jour le 28/10/21*]
Que s’est-il passé le 11 juillet 2017 au port de Longoni ? Une certitude, un homme, Martin Beulin, a perdu la vie au volant de son camion. Victime d’une crise d’épilepsie alors qu’il transportait des conteneurs fraîchement débarqués d’un cargo, il était tombé à la mer avec son camion et s’était noyé.
A l’arrivée des gendarmes, un collègue du défunt explique que l’homme avait déjà fait un malaise et qu’il ne devait plus conduire de camion car c’était trop dangereux. Un avenant à son contrat de travail devait en faire un manutentionnaire, mais il aurait refusé de signer l’avenant. Affecté tout de même à des fonctions de manutention, il n’a jamais eu de visite médicale auprès du médecin du travail. C’est ce qui ressort de la procédure résumée en préambule par la juge Poizat.
Plus de quatre ans après, la Justice ne cherchait toutefois pas un coupable à la mort du malheureux. Ont seulement été évoquées et jugées les conditions dans lesquelles l’homme avait été embauché. En effet, les gendarmes et l’inspection du travail ont vite compris ce jour-là que la victime n’était pas censée être au volant. D’abord parce que l’homme n’était pas déclaré comme salarié, ensuite parce qu’il n’avait pas bénéficié de la visite médicale obligatoire censée le déclarer apte à la conduite de camions, enfin parce que l’entreprise qui l’employait n’était, elle-même, pas encore déclarée au registre du commerce. Ce qui ne l’empêchait pas d’exercer sur le port. D’où les poursuites à l’encontre de Mayotte Channel Gateway, en sa qualité de gestionnaire.
Quatre prévenus se voyaient ainsi poursuivis. MCG pour « recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé », deux transporteurs, la SARL Aziz et Fils, pour le chef que MCG et la société RTM, Routiers transporteurs de Mayotte, pour travail dissimulé et embauche sans déclaration préalable ainsi qu’un particulier, l’employeur direct du jeune homme décédé.
Les trois juges et le substitut du procureur se sont surtout attelés à essayer de comprendre comment fonctionnait le transport des cargaisons au sein du port. Qui de MCG ou de ses sous-traitants avait employé M. Beulin, qui était au courant de la situation administrative de l’entreprise et du propriétaire du camion ? L’employeur avait expliqué aux gendarmes être payé 70€ de l’heure par MCG, qui n’aurait jamais cherché à vérifier qu’il était bien inscrit au registre des sociétés. Ida Nel, présente à la barre, plaidait le manque de rigueur de ses équipes. « Aziz est un des principaux transporteurs, ce jour là il était pour nous ,d’autres jours il travaille pour les autres acteurs du port pour transporter les conteneurs. Suite à l’accident il m’a dit qu’il n’avait pas les documents » a-t-elle reconnu à l’audience. « Mon service n’a peut être pas été vigilant sur cette situation ».
« C’est un peu magnegne tout ça madame »
Des réponses vagues et très administratives qui ont échauffé les oreilles du juge Vivien.
« M Beulin, il a laissé une veuve, des enfants ? Vous ne vous sentez pas concerné ? On se rend compte que les choses se font de façon un peu erratique, pas très juridique et que c’est un peu du bricolage (…) C’est un peu magnégné tout ça madame”.
Les juges n’auront pas non plus de réponses précises sur les revenus de la société MCG. Une information pourtant utile aux fins de définir une sanction pécunière. « Je n’ai pas le chiffre en tête », a répondu Ida Nel. « En 2020 on a fait environ 25 millions de chiffre d’affaire. On a fait un peu de bénéfice mais je n’ai pas de chiffre en tête, peut être 500 ou 800 000 je ne sais pas. »
De quoi pousser le procureur à dénoncer une forme de « résistance de la part des prévenus face à des questions simples ». Il se chargeait alors lui-même de simplifier le dossier. « Nous avons un fait le 11/7/2017, la mort d’un homme dans un accident du travail, qui a permis de révéler le caractère irrégulier de bon nombre d’activités sur le port dans le transport de containers. On a pu mettre en cause 3 sociétés et un particulier ». « Nous avons affaire à des faits relativement anciens mais qui revêtent un caractère inquiétant puisqu’il y a eu le décès d’un homme, et tout une chaîne de négligences. On voit aussi que ce mode de fonctionnement pourrit le fonctionnement de l’île et obère le fonctionnement de Mayotte, en privilégiant le travail illégal, c’est autant d’argent perdu pour la société. Comment s’étonner que des particuliers recourent à la fraude et commettent des actes de délinquance si les grandes entreprises en font autant ? » a-t-il déploré en substance avant de requérir des peines d’amende, à hauteur de 1500€ pour RTM et son patron, plus 6 mois de prison avec sursis pour ce dernier, et 10 000€ d’amende pour MCG et Aziz et Fils.
Les juges ont eu une autre lecture des responsabilités, sans les occulter. L’entrepreneur qui n’avait pas déclaré la victime écope de 4300€ d’amende dont 2800 avec sursis. RTM écope de 2300€ d’amende, et MCG, « seulement » 1500€.
*La société Aziz et Fils, défendue par Me Stéphane Babonneau, a quant à elle été relaxée.
Y.D.