« Sur le plan national cette année, c’est l’impact de la crise Covid sur les politiques de mobilité qui focalise l’attention. Chez nous à Mayotte, peu de perturbation, puisque nous n’avons aucun transport en commun terrestre, les taxis ont continué à circuler », a rapporté Mohamed Hamissi à la 28ème édition des Rencontres nationales du Transport public qui s’est tenue fin septembre à Toulouse. Le ministre délégué auprès de la ministre de la Transition écologique, chargé des Transports, Jean-Baptiste Djebbari avait ouvert le bal de cet événement qui aura drainé 8.000 participants.
Loin d’être un novice dans ce type de rencontres, le Directeur Environnement, Plan Climat Air Energie Territorial, Transport et Mobilité à la Communauté de Communes de Petite Terre, a tissé son réseau d’experts en mobilité dès 2013, lorsqu’il a planché sur le projet CARIBUS pour la mairie de Mamoudzou puis la CADEMA, qu’il a fait adhérer au GART, le Groupement des autorités responsables de transport dont il est devenu un conseiller régulier. « Il ne faut pas s’isoler sur ce type de projets, les décisions ne sont pas prises à Mamoudzou, mais à Paris, il faut coller à leur actualité », justifie Mohamed Hamissi. Il est d’ailleurs intervenu comme expert à Toulouse – c’est une première pour Mayotte – à la table ronde sur le thème « Territoires ultra marins : une mobilité durable et innovante », qui a réuni une soixantaine de participants. Deux vice-présidentes de l’interco de Petite Terre l’accompagnaient, Nema Maliki Fazul et Chamssia Mohamed, « un déplacement efficace, rendu possible grâce au président Saïd Omar Oili ».
Les élus garants de l’égalité républicaine
Seul transport en commun, les barges à Mayotte, qui est le seul département de France à ne pas en avoir de terrestre. « Certains réclament à l’Etat l’égalité républicaine en matière de transport, mais ce sont les élus locaux qui ont cette compétence, et pas Paris. La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 rend obligatoire cette compétence de transports publics pour les communautés d’agglomération, donc celle du Grand Nord et la CADEMA à Mayotte. Le préfet n’est là que pour subventionner et éventuellement accompagner en ingénierie, et le conseil départemental et la Région, restent garants des transports scolaires et des handicapés », rapporte celui qui a donc supervisé le projet CARIBUS.
A partir de là, il faut pousser la réflexion sur le modèle de transport en commun souhaité, avec force innovation si nécessaire : « Il faut choisir sur le plan énergétique si nous voulons des bus fonctionnant à l’hydrogène, au gaz, à l’électricité, etc. et pour quels usages, à l’intérieur d’une ville, entre deux communautés de communes, d’agglomération, car va en découler la politique tarifaire. »
Lors de la table ronde, s’est posée la question du type de gouvernance pour les politiques publiques de transport en commun, « chaque territoire d’outre-mer a ses spécificités, il ne faut pas aller à La Réunion et dupliquer leur modèle. Car l’enjeu d’un transport public ne doit pas répondre à la seule envie d’éviter les bouchons. Il y a plusieurs facettes du territoire, en terme économique, social, d’inclusion, de lutte contre le réchauffement climatique. Tout cela va influencer le comportement des habitants qui vont, ou pas, prendre le transport en commun. Ce n’est pas parce que vous allez mettre un bus ou un bateau que tout le monde va se ruer dedans. L’innovation, c’est le changement de comportement. Il y a des affinités de l’individu avec sa voiture, il y aura toujours des résistants, quelque soit les kilomètres de bouchon à avaler. » Il faut donc travailler à l’attractivité vers ces transports publics.
Ce qui veut dire, lever deux freins majeurs, « l’insécurité qui sévit avec les caillassages de bus, et le confort. Même si vous offrez un bus ultra-moderne, certains vont préférer leur voiture, où ils peuvent écouter la radio, fumer une cigarette, ou régler leur clim comme ils veulent. Ce sont des paramètres à ne pas négliger, même gratuits, ils n’iront pas dans les bus ou les bateaux. »
Ratisser large pour être rentable
Sans s’y pencher, le risque c’est de ne capter que les non-véhiculés, la clientèle des taxis qui est la moins fortunée, avec une perte de rentabilité annoncée du réseau : « Il faut se garder d’investir des millions dedans, car ce sera un fiasco financier. Les ressources d’un transport en commun sont de trois types : les recettes commerciales fournies par les clients, le versement de la taxe mobilité perçue chez les entreprises et les collectivités de plus de 11 salariés qui se trouvent sur le périmètre du transport, et enfin, le budget des collectivités. Or, si il n’y a pas de recettes faute de solvabilité des clients dont 77% sont sous le seuil de pauvreté à Mayotte, les collectivités ne pourront pas le supporter. Il faut donc trouver un moyen de détourner les presque 30% de ménages qui sont véhiculés, des cadres qui peuvent payer un abonnement au mois, avec un argumentaire sur les deux points, le confort et la sécurité. » Le modèle qu’a choisi de soutenir le conseil départemental en insufflant des millions dans le service déficitaire des barges pour préserver un tarif socialement acceptable, n’est pas forcément duplicable à l’envi. En tout cas, c’est un débat à avoir.
Réussir sa politique de transport en commun, c’est un combat « de longue haleine », lâche-t-il en soulignant la difficulté à La Réunion et en Guyane, « la part modale, c’est à dire de l’utilisation des transport en commun par la population, est très basse chez eux, moins de 10%. » Adapter les véhicules à la population à capter, c’est possible, « avec des bus confortables, climatisés, rapide grâce à une voie dédiée », les études des voiries dans le cadre de Caribus sur le Grand Mamoudzou ont abouti à 95% à une 3ème voie dégagée uniquement aux bus et aux vélos. Il faudra donc trouver le modèle de rentabilité, « c’est un sujet pour les 5 à 10 ans qui viennent. Et il faut bien sût intégrer les taxis au modèle retenu ».
La semaine dernière, le gouvernement a annoncé que Mayotte était retenue sur un appel à projets transports à hauteur de 7 millions d’euros, pour 4 projets, terrestres et maritimes. On est bien loin des 9 millions d’euros pour le seul projet CARIBUS que Mohamed Hamissi avait mené, qui avait décroché la meilleure note de France, « ce qui a été rappelé lors de la table ronde », mais ce qui est pris… « Je l’ai toujours dit, sur le domaine des transports, l’Etat nous accompagne systématiquement, et à hauteur des demandes quand les dossiers sont bien montés. Ce qu’il faut ensuite, c’est utiliser ces subventions sinon, on ne sera plus crédibles. »
L’interco de Petite Terre s’est donc dotée d’un expert qui se prépare à y relever ces défis, mais Mohamed Hamissi invite plus largement tous les élus de l’île à se pencher sur une politique des transports pas seulement destinée à faire sauter les bouchons, mais qui bénéficierait à une grande partie de la population.
Anne Perzo-Lafond