Vous êtes connu comme étant le premier officier originaire de Mayotte qui ait incorporé l’Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Police (ENSOP) avec le statut police nationale. Est-ce un challenge si difficile à réussir ?
Chaharoumani Chamassi : J’ai en effet intégré cette école d’élite en 2006 car je ne voulais pas rester un officier au rabais. Sur une action, il faut pouvoir se sentir au niveau de ses collègues, notamment dans le parcours. Cette expérience m’a notamment donné un savoir encyclopédique sur la police nationale, et permis d’agir constamment en parfaite connaissance de la loi. Pour autant ce ne fut pas facile, car j’étais sur les mêmes bancs d’école que des jeunes qui avaient une trentaine d’années. J’étais alors papa d’une famille nombreuse, mes garçons étaient des ados que je ne voulais pas laisser seuls à Mayotte avec leur mère, avec le risque qu’ils basculent dans la délinquance. J’ai donc vendu une parcelle de terrain, pour financer le billet d’avion de toute la famille. Le fait d’avoir les enfants et mon épouse Zoulfati à mes côtés, m’a aidé à travailler sereinement et j’ai terminé avec un 18/20 en commandement, la meilleure note du groupe des 13 élèves officiers. Avant de revenir à Mayotte, j’ai travaillé dans une compagnie de CRS avec des interventions très lourdes, dans des quartiers difficiles comme la Grande Borne, où on ne reçoit pas des cailloux mais des boules de pétanque ! J’ai également travaillé à l’aéroport d’Orly et à la police judiciaire à Versailles. Tout ça a été un sacrifice lourd mais que je ne regrette pas une seconde.
Et qui vous a permis de mettre à profit votre expérience pour Mayotte…
Chaharoumani Chamassi : Nommé adjoint du commandant Mogné Mali, j’ai ensuite évolué comme officier chargé de la communication, puis chef du Commissariat annexe. J’avais auparavant été responsable de la première BAC (Brigade anti-criminalité) créée à Mayotte. C’est lorsque j’ai été chargé de la brigade d’intervention du maintien de l’ordre en 2008, que j’ai géré l’émeute de 2008 et la « chasse aux blancs », en représailles à l’accueil sur le territoire de l’ex-président anjouanais Mohamed Bacar venu s’y réfugier.
Ensuite, en 2011, il a fallu négocier sans relâche avec les syndicalistes meneurs du mouvement contre la vie chère. Je l’ai fait dans le respect continuel des grévistes. Mais ce mouvement a été débordé sur différents points de l’île, par des mineurs qui caillassaient, agressaient et dépouillaient les automobilistes sans que l’ordre soit donné aux forces de l’ordre de dégager les routes.
A l’époque, constatant que les gendarmes bien que présents n’intervenaient pas face à de très jeunes érigeant des barrages, vous aviez lâché, ‘on a légalisé la délinquance !’…
Chaharoumani Chamassi : Ce qui ne s’est pas démenti. Les caillassages continuent depuis…
Qu’est ce qui vous a incité à intégrer la préfecture de Mayotte ?
Chaharoumani Chamassi : En 2015, un nouveau conflit, très violent, secoue Mandzarsoa, Kavani, Mtsapere et Doujani. En 4 jours, 80 véhicules sont saccagés, également des maisons. J’interviens alors à Tsoundzou où je suis contraint d’utiliser mon arme de service. Blessé, et bien qu’en poste aménagé les jours suivants, je demande au préfet Seymour Morsy l’autorisation de poursuivre les négociations. Avec son accord, je pars chercher les leaders de chaque côté et leurs parents, et nous entamons deux heures de discussions en terrain neutre, pointe Mahabou. Pour une négociation réussie au delà de mes espérances, puisque toutes les violences se sont alors arrêtées. Le préfet Veau qui a succédé, me demande alors d’intégrer la préfecture comme chargé de mission, un honneur pour moi, poste que j’ai occupé jusqu’à ma retraite.
Quelle perception a-t-on depuis la préfecture, au cœur des instances de décisions des politiques à mener pour Mayotte ?
Chaharoumani Chamassi : J’ai vu les subtilités, découvert les rouages. Si plusieurs travaillent pour l’avenir du territoire, certains hauts fonctionnaires s’autoproclament experts de Mayotte en quelques mois sans écouter les insulaires, qu’ils soient originaires ou pas de l’île. Une attitude arrogante qui provoque des erreurs, alors que les Mahorais demandent un minimum de respect. Et cela engendre une perception de racisme, alors qu’il s’agit en fait de la confrontation entre un complexe de supériorité chez certains hauts-fonctionnaires et d’un complexe d’infériorité chez des Mahorais même diplômés, qui se sentent victimes sans même utiliser les ressorts de la loi.
Quelle est votre plus grande fierté ?
Chaharoumani Chamassi : D’avoir servi un métier que j’ai intégré par vocation. Mon père était policier, mon grand-père était brigadier de police indigène, j’ai un cousin major de la police, un neveu brigadier chef et deux cousins gardiens de la paix. Un de mes fils termine ses études de droit. Si je l’ai fait dans un esprit apolitique, j’espère que la relève pourra profiter d’une évolution favorable de la situation géopolitique. Ma fierté, ce serait que les îles de l’Océan Indien s’entraident. Nos anciens ont fait des choix, notre rôle c’est de taire la haine et d’initier l’entraide.
Avez-vous des regrets ?
Chaharoumani Chamassi : Oui. La perte de la solidarité entre nous les Mahorais, notamment entre les cadres. On a des intellectuels, sortis des grandes écoles, mais des divisions se font jour. Officiellement, on se bat pour l’intérêt général, mais on a des collectifs à chaque coin de rue !
Vous avez des souvenirs forts. Quel est le meilleur ?
Chaharoumani Chamassi : Avoir réussi l’école nationale de police et avoir défilé sur les Champs-Elysées le 14 juillet 2007, après l’avoir fait à plusieurs reprises à Mayotte. Ce jour là, le tableau était blanc avec une craie noire sur la célèbre avenue ! C’était face au président Sarkozy qui a départementalisé Mayotte, et je portais mon épée de commandement où est gravée la devise ‘Wa masiwa nariké hashiri narivendzané’, ‘Les iliens soyons vigilants et aimons nous’. C’est le même président qui a accepté que la police de la collectivité départementale de Mayotte intègre la police nationale, un combat que j’ai mené en tant que secrétaire général du syndicat Autonome de la police.
Tout au long de ma carrière, j’ai pu compter sur l’appui et les conseils d’un ancien commissaire de police à Mayotte, Alain Gence, un homme juste, qui, en tant que Réunionnais, a fait le parallèle, « ce que vous avez subi ici comme discrimination, nous l’avons vécu à La Réunion ». Même depuis sa retraite à La Rochelle, il est resté mon conseiller privilégié. Un exemple de son trait de caractère : il avait aménagé les nouveaux bureaux du commissariat juste avant son départ, en sachant qu’il ne les utiliserait pas. Dans cet esprit, je regrette de ne pas avoir servi sous les ordres du commissaire général actuel, Laurent Simonin, qui met en place de bonnes actions.
La délinquance et l’insécurité commencent à coller à la peau de Mayotte.
Comment s’en défaire ?
Chaharoumani Chamassi : J’avais initié les Comités de médiation des sages, les fameux ‘gilets jaunes’, tous affiliés à une association loi 1901. Les parents, des notables, tout le monde était bénévole pour surveiller son quartier dans l’esprit de la musada, ‘tu surveilles mon enfant, je surveille le tien’. Le calme était revenu. Malheureusement, cela a été politisé par certains collectifs. Or, toutes les personnes étaient en situation régulière, avec des titres de séjour valides. On les a découragés. Et l’on entend, ‘la sécurité est une mission régalienne’. Oui, quand le cambriolage ou l’agression sont commis. Mais c’est trop tard. Il faut agir sur la prévention de la délinquance, il y a un Fonds interministériel pour ça. Or, le pilote dans ce domaine, c’est le maire, certaines communes ne l’ont pas encore compris.
L’éducation par les familles doit être prioritaire, il faut d’ailleurs soutenir les parents pour que tous les enfants soient scolarisés. Et il faut parallèlement, les élus doivent expliquer dans les quartiers l’application du droit commun. Pour les Mahorais, c’est la chicote qui prime. Or, il faut leur expliquer ce qu’est l’ordonnance de 1945, qui privilégie l’éducation plutôt que la prison, mais qui n’exclut pas cette dernière.
Il faut également agir sur l’immigration clandestine.
Vous avez à plusieurs reprises invité à positionner une base de surveillance des entrées sur l’îlot Mtsamboro…
Chaharoumani Chamassi : Il faut d’abord initier une coopération technique entre les justices et les polices de Mayotte et d’Anjouan pour éviter que les délinquants passent d’une île à l’autre. Et installer un ponton flottant à l’îlot Mtsamboro, avec la présence des services de l’Etat, gendarmerie nationale, Douane, etc. Avec quelques algeco et des drones qui surveilleraient les passages, nous obtiendrions de meilleurs résultats. Et faire pareil à Saziley. Nous pourrions alors régulariser sur le territoire ceux qui peuvent l’être.
Vous avez définitivement « déposé les armes » ? Au sens propre et figuré ?!
Chaharoumani Chamassi (rires) : Au sens propre oui, mais je vais m’investir différemment pour l’intérêt de Mayotte. Je suis ouvert à toutes propositions.
Et notre petit doigt nous dit qu’il en a déjà, reste à espérer que cette somme de compétences soit utilisée au mieux. C’est tout le bien qu’on souhaite à Mayotte.
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond