Un groupe de journalistes d’investigations basés notamment à Maurice et Madagascar a tenu ce jeudi un wébinaire sur la circulation illicite de drogues entre les îles de l’Océan Indien. Des réseaux organisés permettent, en bateau ou en avion, d’importantes livraisons d’un territoire à l’autre à la faveur de complicités à terre, indiquent les enquêteurs.
Premier constat de l’ONG Global Initiative qui chapeaute ces enquêtes avec l’aide de services d’enquête occidentaux, Madagascar s’est imposée comme une plaque tournante majeure des trafics de produits stupéfiants. Les drogues dures notamment comme l’héroïne ou la cocaïne y transitent par centaines de kilos à chaque livraison, avant d’être empaquetées et redistribuées soit par avion, soit, de plus en plus, par des vedettes rapides de type « Go Fast ».
Ainsi à Maurice où la cocaïne est notamment prisée par les expatriés occidentaux et les touristes, « les saisies se multiplient, avec de grosses saisies tous les deux à trois mois, soit depuis l’Afrique du Sud, soit depuis le hub de Madagascar. Le trafic par voie maritime semble bien organisé, et les réseaux ont infiltré la douane, la police et la poste, notamment les sociétés de colis express » explique le journaliste Vel Monnien, qui participait au wébinaire. Selon lui, « le trafic de drogue ne s’est jamais porté aussi bien » dans la zone, et ce « malgré la crise sanitaire ».
A Maurice, qui a une longue histoire de consommation d’opium et de cannabis, les saisies d’héroïne sont de plus en plus nombreuses. La Chimique est elle aussi en plein boom, avec des prix d’environ 2€ par dose « accessibles aux collégiens », déplore le journaliste. Sur l’île, une unité spécialisée a dû être créée à l’hôpital pour prendre en charge ces adolescents, précise-t-il.
Un enjeu de santé publique donc qui intéresse de près la police anti-corruption. Dans leur viseur, l’économie informelle qui permet de blanchir l’argent : location de voitures, vente de chiens ou encore fast-foods sont autant de secteurs où l’argent sale est facilement dilué.
Des Kalashnikovs en circulation ?
A Madagascar on l’a dit, ces drogues dures transitent et sont redistribuées par la mer ou par les airs. Mais un autre fléau se répand : la culture du chanvre indien. Selon la journaliste Riana Raymonde Randrianarisoa, cette culture est favorisée par l’isolement de vastes zones agricoles propices, et le désintérêt des médias locaux pour ce sujet. Le trafic de cannabis y a pourtant des conséquences lourdes : d’abord les agriculteurs n’en bénéficient pas, ce qui crée des tensions sociales. Ensuite, les dealers eux, se sentent pousser des ailes, et varient leurs activités : vols de bétail, kidnappings et trafics d’armes se développent sur la Grande Île dans l’ombre de la culture du « bangué » comme on l’appelle ici à Mayotte. Ce qui n’est pas sans poser question chez nous. Madagascar exporte « des volumes croissants d’héroïne » selon le dernier rapport de l’ONG (ici en anglais), mais aussi de cannabis. L’héroïne est produite en Afghanistan et transite par l’Afrique de l’est avant d’arriver à Madagascar. Pour l’heure les drogues dures, coûteuses, sont peu prisées à Mayotte, mais une offre importante pourrait faire baisser les cours. Ainsi aux Seychelles, le prix de l’héroïne a baissé, entraînant une augmentation de sa consommation.
A Mayotte, c’est surtout la chimique qui inquiète. « Depuis 2015, sa consommation a explosé », de même qu’aux Comores et à Maurice, note l’ONG. Importée depuis la Chine où elle est produite et vendue via le Dark Web, elle a l’avantage pour les dealers de ne nécessiter aucune structure de transformation sur place. Aux côtés de cette drogue qui fait des ravages, le cannabis malgache semble peu inquiéter. Mais ce dernier induit un corollaire plus alarmant. « Dans le nord des témoignages font état d’usage par les trafiquants de kalashnikovs aves lesquelles ils n’hésitent plus à tirer sur les forces de l’ordre » note la journaliste malgache qui cite les autorités locales selon lesquelles les criminels « tirent à vue » sur les gendarmes qui s’aventurent en forêt. La circulation de ces armes de guerre à quelques heures de barque de chez nous a de quoi inquiéter les autorités françaises.
Comme on peut le voir dans le graphique ci-contre, les incidents en mer « concentrés sur la route maritime » qui mène des Comores à Mayotte ont repris rapidement après le confinement, signe d’échanges intenses entre les îles de la zone proche. Selon l’ONG, le choc économique lié à la pandémie a fait la part belle aux trafics de drogue, qui ont en quelque sorte compensé les pertes de revenus liés au tourisme ou au commerce.
La crise sanitaire et la crise économique qui en découle risquent donc de déstabiliser davantage notre zone qui compte parmi les plus pauvres au monde, avec des répercussions imprévisibles notamment sur les territoires français de Mayotte et de La Réunion.
Y.D.