Trois mois de prison avec sursis et 500€ d’amende. Pour avoir caillassé des gendarmes et tiré l’un d’eux par le bras pour l’extraire de sa voiture, ce fonctionnaire départemental s’en tire plutôt bien au regard des 17 mois requis par le parquet.
Difficile de tout démêler dans cette affaire qui respire le grand n’importe-quoi et dans laquelle même les magistrats, malgré une enquête de près de 5 ans, s’arrachent les cheveux. Ce qui est sûr c’est que le 3 octobre 2015, la situation était agitée à Bouyouni. Des étrangers en situation irrégulière, expulsés de « leur » terrain, s’étaient rendus sur une terre agricole pour réclamer de pouvoir s’y installer, causant des troubles avec les exploitants. Selon l’avocat Eric Hesler, ce terrain, propriété du Conseil départemental, avait été divisé et mis à disposition d’agents en remerciement de leur engagement politique. Une lecture officieuse du dossier qui peut expliquer l’imbroglio qui va suivre.
Car alors que les gendarmes sont appelés à la rescousse, la tension monte d’un cran. Le commandant Boura et plusieurs gendarmes mobiles identifient comme meneur un fonctionnaire du conseil départemental qui participe à déclencher les violences à leur encontre. Des pierres pleuvent et un gendarme est pris à partie dans sa voiture. Plusieurs militaires identifient le même fonctionnaire.
Lors de l’interpellation, les gendarmes arrêtent un des étrangers pour le contrôler au poste, ce qui ouvre le second chapitre, le plus grave, de cette histoire improbable.
Un des exploitants agricoles qui se trouvaient sur le terrain pris d’assaut, retraité du conseil départemental, est kidnappé par une douzaine de manifestants qui l’entrainent sur une hauteur « de laquelle on voyait la retenue de Combani ». Derrière cet enlèvement, l’espoir d’échanger le retraité, pris en otage, contre le clandestin interpellé peu avant. Le tout avec la bénédiction de la mère dudit clandestin, elle aussi prévenue au procès, mais absente et sous le coup d’un mandat d’arrêt.
Un devoir d’exemplarité
Ainsi retenu contre son gré, l’homme aurait été frappé, menacé d’un chombo et poussé dans un fossé avant d’être libéré quelques heures plus tard, profondément choqué. A la barre, la victime encore tremblante accuse le fonctionnaire identifié peu avant pour les violences sur les gendarmes. Si ce dernier était absent lors de l’enlèvement, le retraité assure l’avoir vu quelques minutes plus tôt « avec les Anjouannais ». C’est lui aussi qui, joint au téléphone par les kidnappeurs, aurait ordonné la libération de son ancien collègue. Suffisant pour le juge d’instruction, pour en faire le commanditaire de l’enlèvement. Trop selon maitre Eric Hesler qui réclamait sa relaxe au bénéfice du doute. Ce qu’il obtiendra pour la partie enlèvement.
Restait aux juges à comprendre comment un fonctionnaire en vient à se joindre à des étrangers sur un terrain agricole. Le principal intéressé affirme être seulement venu « assister » aux troubles. Selon son avocat, l’affaire se résume à « des militants opposés [qui] se disputent ces parcelles [du Conseil départemental], ça se passe comme ça ». « Il n’y a rien qui puisse servir de preuve dans ce dossier. On a du mal à comprendre comment Bazou [le prévenu NDLR] aurait demandé à le séquestrer pour réclamer la libération d’une personne en situation irrégulière pour ensuite appeler et demander à le libérer ».
La mère de l’étranger interpellé, qui avait elle appelé à garder l’otage captif jusqu’à la libération de son fils, écope aussi de 3 mois avec sursis. Elle a depuis 2015 disparu de la circulation.
Si les peines sont symboliques, l’audience aura au moins été pédagogique.
« Quand on est au service de l’Etat ou d’une collectivité, il faut être exemplaire, il est évident qu’on ne s’oppose pas aux forces de l’ordre et qu’on ne les caillasse pas » concluait le président Laurent Ben Kemoun. Une évidence, a priori, mais « ça va mieux en le disant ».
Y.D.