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Mamoudzou

Distribution de bons alimentaires : « On voudrait faire plus, mais au moins ça commence »

« Marahaba. » Echati* s’en va, doucement, arpentant le chemin de terre rouge qui la mènera jusqu’à son banga dans les hauteurs de Cavani. Serrée contre elle, une  pochette en plastique. Elle contient ses documents d’identité. Et surtout, deux bons alimentaires de 20 euros chacun. Ils sont l’objet du déplacement matinal et la source d’un soulagement temporaire. « On va pouvoir manger un peu plus… », lâche timidement Echati. « En ce moment c’est encore plus compliqué que d’habitude, plus personne ne peut travailler et comme les enfants ne vont plus à l’école, ils ne reçoivent plus à manger là-bas », poursuit la jeune femme, rassérénée par un coin d’ombre.

Avec le confinement, les deux maigres revenus du ménage ont disparu. « Je gardais des enfants chez une dame, et mon père faisait des petits boulots comme de la maçonnerie mais maintenant c’est fini, ils nous ont dit qu’ils n’avaient plus besoin de nous ». Impossible, dans ces conditions de nourrir les huit bouches de la famille. « Souvent je ne mange pas pour laisser aux petits et à ma vieille tante mais avec ça je vais au moins pouvoir acheter un sac de riz, après on verra », livre encore la grande soeur, dévoilant ses deux précieux coupons. Et, se retournant pour désigner d’un signe de tête un groupe situé en contrebas : « heureusement qu’ils sont là, j’espère qu’ils reviendront ».

« Eux », ce sont les équipes du Man, employés, services civiques et bénévoles confondus. Depuis 11h ce mardi matin, ils cuisent sous un soleil de plomb pour délivrer les bons alimentaires fournis par la DJSCS (la direction de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, appelée « DJ » dans le milieu associatif). « On était à M’tsapéré ce matin, maintenant Cavani et jeudi nous serons à Koungou », détaille Cyndie, la gestionnaire de l’association. Pour chaque secteur, la « DJ » leur a octroyé 400 coupons à distribuer, à raison de deux par foyer. « C’est vrai que c’est peu mais ça permet de commencer le travail et ça c’est la bonne nouvelle, il y a vraiment besoin », considère la gestionnaire, qui, les jours précédant, organisait les difficiles tournées dans les quartiers pour dresser les listes de bénéficiaires.

Une opération bien rodée

Une opération des plus délicate pour les équipes qui, au-delà des terrains escarpés, aura eu à choisir quand « la misère est partout ». « Qui suis-je pour juger de qui est le plus dans le besoin ? », se questionne encore Cyndie qui avait tenté de se limiter à 500 familles par secteur. Pour se mettre au diapason des services de l’État, l’association aura ainsi dû

Face au nombre restreint de bons, les familles avec le plus d’enfants et de personnes âgées ont été privilégiées.

en sélectionner 200, privilégiant les familles avec le plus grand nombre d’enfants et de personnes âgées. Tous n’auront cependant pas répondu à l’appel ce jour. En cause « la PAF est venu tourner dans le quartier avant qu’on arrive, du coup il y a des bénéficiaires qui ont peur de sortir. On a changé d’endroit pour se rapprocher d’eux mais ça complique les choses », regrette la gestionnaire avant de replonger le nez dans sa liste.

« Combien ? », lance-t-elle. « 9/7 ! », lui répond un des équipiers en polo bleu affairé avec un père de famille. Comprendre : neuf personnes dont sept enfants. Un code parmi d’autres car il faut dire que la charité est ici bien ordonnée. L’un passe les appels aux bénéficiaires au fur et à mesure, un autre duo accueille ceux-ci sur place pour vérifier qu’ils sont bien dans la liste, puis une équipe remplit la grille de distribution tout en remettant les bons. « C’est toute une organisation mais c’est essentiel, ça nous permet d’éviter les attroupements et donc de bien respecter les gestes barrières », explique-t-on. Ce matin, la mécanique est parfaitement huilée. Mais l’angoisse se fait déjà sentir pour jeudi et l’opération de Koungou. « Il faudrait vraiment que l’on puisse avoir un local, j’ai peur que là-bas les attroupements soient inévitables, il y a tellement de monde ! », s’inquiète Cyndie.

« C’est très frustrant de ne pas pouvoir tous les aider »

Un local qui pourrait leur être ouvert par le CCAS de la ville. Lesquels centres communaux d’action sociale avaient été désignés comme coordinateurs des distributions de bons alimentaires. Pourtant, si certaines communes, à l’instar de Dembéni, ont entamé les démarches, aujourd’hui, sur le terrain, on fait sans eux. « Koungou n’a pas signé avec la préfecture et nous n’avons pas de nouvelles de Mamoudzou, alors on fait exactement comme l’année dernière », indique la gestionnaire du Man. Soit en lien avec « la DJ », qui « nous a dit de ne pas attendre, ce qui nous va bien car on sent qu’il y a de plus en plus de besoin ».

Et ce n’est pas Soidridine qui va dire le contraire. Car l’employé de l’association est aujourd’hui chez lui, dans son quartier où il connaît « presque tout le monde ». Malgré la bonne ambiance qu’il s’attache à faire régner chez les polos bleus, il le sait, « la situation

« Les gens ne vont pas comprendre pourquoi leurs voisins reçoivent de l’aide et pas eux alors que, globalement, ils vivent la même chose. C’est très dur pour ceux qui n’auront rien », estime Soidridine.

est très compliquée ». « Les mamans ne vendent plus, les papas ne peuvent plus faire de petits travaux et les enfants ne vont plus à l’école. Tout le monde a besoin d’aide et c’est très frustrant de ne pas pouvoir tous les aider », estime le jeune homme qui fait vivre toute sa famille de sept. Surtout, Soidridine craint qu’à trop faire le tri, « on crée des jalousies ».

« Soit tu meurs de faim, soit tu attrapes le covid »

« Les gens ne vont pas comprendre pourquoi leurs voisins reçoivent de l’aide et pas eux alors que, globalement, ils vivent la même chose. C’est très dur pour ceux qui n’auront rien », analyse-t-il. Un partage va peut-être s’opérer en coulisses ? « Non, ça [les bons], ça permet juste d’acheter un sac de riz et un carton de mabawa. Pour une grande famille ce n’est pas énorme. Il faudrait plus pour espérer du partage et ici, si c’est pas la famille c’est chacun pour soi, surtout en ce moment », poursuit-il, lui aussi habitué à se priver pour les petits. 

La DJ pourrait réévaluer ses dotations en fonction d’un prolongement ou non du confinement mais pour le jeune homme, « ça ne suffira jamais si le confinement dure, il y a trop de misère ». « Je suis sur que si on leur demandait, les Mahorais préféreraient qu’il n’y ait pas de confinement, ça voudrait dire plus de morts, mais ça voudrait aussi dire qu’ils pourraient manger ». « De toute façon ici c’est soit tu restes chez toi et tu meurs de faim, soit tu sors et t’attrapes le covid ! »

Le ton est dur, révolté. « Et qu’on ne vienne pas me dire qu’il ne s’agit que de clandestins, on est tous dans la même galère ! »

Soidridine marque une pause. Et pose le regard sur ses collègues à l’œuvre. « Heureusement qu’il y a ça, voir un vieux arriver en peine et repartir avec le sourire, c’est la plus belle chose qui soit », se revigore Soidridine, les yeux plissés au-dessus de son masque. Arc-bouté sur sa canne, le vieux s’en va prendre le chemin. Et lance le mot magique : « marahaba ! ».

G.M.

*Le prénom a été modifié.

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