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Mamoudzou

Au centre de rétention, santé et procédure sacrifiées sur l’autel de la course aux expulsions

Règles sanitaires de base méprisées, procédure administrative litigieuse, le témoignage d'un élève brillant intégré au centre de rétention soulève bien des questions quant à manière dont sont menés interpellations, placement au CRA et expulsions dans une Mayotte en proie à l'épidémie et à la course aux reconduites.

« Je savais qu’il y avait des problèmes au CRA mais franchement, je ne m’attendais pas à ça ». Quelques jours après son arrestation par des agents chargés de la lutte contre l’immigration clandestine, Saïd* est encore sous le choc des évènements qui s’en sont suivis. Alors qu’il descend à la station des taxis du nord pour se rendre à un rendez-vous médical, vendredi, le jeune homme n’est pas arrêté une, ni deux, mais trois fois par les policiers. « La première et la deuxième fois, je leur ai montré mon attestation de prise en charge par l’aide sociale à l’enfance, la troisième fois ils n’ont rien voulu savoir », résume-t-il. « Ils m’ont mis dans le camion, on a pris la barge et vers 10h j’étais au CRA ». Saïd n’en ressortira que le lendemain à l’heure du couvre-feu. Avec la peur d’y avoir contracté le coronavirus.

Car pendant près d’une journée, le jeune homme est enfermé dans une petite salle censée former le sas temporaire préalable à l’intégration dans le centre de rétention. « Nous étions jusqu’à 50 à certains moments, tellement serrés que nous étions obligés de rester debout. Il y avait des femmes, des bébés, il y avait aussi une personne handicapée qui réclamait ses médicaments. La chaleur était étouffante, la climatisation ne tournait pas et les fenêtres étaient fermées », se rappelle-t-il. Parmi ces dizaines de personnes, aucune n’est testée au coronavirus. Pire, certains assurent être positifs quoique asymptomatiques. Le dépistage n’aura lieu que le lendemain après-midi. « J’ai pu partir avant que tout le monde soit testé mais je savais déjà qu’il y avait un cas positif », assure Saïd qui évite tout contact depuis sa sortie, de peur de « créer un cluster ». Car si son test antigénique est négatif, il en est convaincu, « on ne pouvait pas faire meilleures conditions pour se contaminer les uns les autres ».

« C’est ça ou arrêter de placer des personnes en rétention »

« La situation est hors de contrôle au CRA, on mélange tout le monde, les personnes peuvent passer des heures et la nuit sans être testées tout en restant dans une grande promiscuité », abonde un juriste oeuvrant dans le centre de rétention. « Je me sens pas du tout en sécurité au travail en sachant ce qu’il se passe à l’intérieur. De fait, on est cas contact en permanence. Il y a beaucoup de chance pour que mes collègues malades aient attrapé le covid ici », poursuit-il, pointant un autre aspect que le volet strictement sanitaire. « Pour moi c’est une entrave aux droits, notamment parce qu’on refuse d’aller en zone où les personnes sont testées et non testées. Donc forcément, on passe à côté de personnes qui sont potentiellement protégées d’une expulsion. En plus de cela, depuis que Petite-Terre est confinée, les familles ne peuvent plus comme avant venir devant le CRA pour donner les documents, il est impossible pour nous de travailler correctement. À la fois la course aux chiffres imposée par le gouvernement et la peur d’une fermeture des frontières comoriennes leur font faire n’importe quoi alors que l’épidémie explose », s’indigne le juriste.

« Oui, c’est vrai on mélange potentiellement des gens positifs avec des personnes qui viennent d’être testées, mais comme on l’a fait pendant quatre mois quand nous utilisions des tests PCR pour lesquelles les résultats arrivent entre 24 et 48h. Mais nous n’avons tout simplement pas le choix, c’est ça ou arrêter de placer des personnes en rétention et d’expulser. Je ne crois pas que c’est ce que souhaite la population », rétorque Nahalie Gimonet, sous-préfète en charge de la lutte contre l’immigration clandestine. Qui assure toutefois « travailler là dessus avec le CHM pour réduire au maximum ce genre d’éventualités ».

Un cas d’école 

Seulement Saïd n’avait rien à faire au CRA. Et ce n’est qu’in extremis qu’il a pu être sauvé de l’expulsion vers les Comores, « l’étranger » pour le jeune homme arrivé sur le territoire à l’âge de huit ans et demi. Vendredi soir, Saïd quitte l’étroit local dans lequel il a passé la journée pour intégrer le centre de rétention.

La Citadelle SGTM
C’est de justesse que Saïd aura échappé à une expulsion vers les Comores. Un pays qui est étranger à l’élève brillant arrivé à Mayotte à huit ans.

C’est là qu’on lui remet son OQTF (obligation de quitter le territoire français) le décrivant comme vivant dans la clandestinité. Et sur laquelle il découvre avec stupeur qu’il aurait déclaré ne comprendre ni ne lire le français et demeurer à Domoni, aux Comores. Le tout sous un nom mal orthographié.

Or, comme le relèvera quelques jours plus tard le juge administratif, Saïd vit en famille d’accueil sous la supervision de l’aide sociale à l’enfance. Quant à sa prétendue non maîtrise du français, le juge écrira sobrement qu’il « résulte également de l’instruction que le requérant  a accompli à Mayotte une scolarité brillante jusqu’à l’obtention d’un baccalauréat général,  série « économique et sociale » (ES), avec la mention « très bien », lui permettant d’être  accepté à s’inscrire à l’université polytechnique des hauts de France en première année  d’économie ».

« Il n’y a pas que pour moi qu’ils ont écrit n’importe quoi, ils avaient attrapé un jeune en Petite-Terre qui était Français et ils l’ont déclaré Comorien, il avait sa carte d’identité et tout, c’est incompréhensible », ajoute l’élève brillant pour qui « les  travailleurs sociaux du département de Mayotte ont attesté de ses efforts permanents  d’intégration et de formation, ainsi que de son comportement irréprochable », comme l’indique l’ordonnance du Tribunal administratif de Mamoudzou. Et ce ne sera pas la seule « erreur », constatée ce jour-là.

« Je ne m’attendais pas à ce que les règles soient à ce point ignorées »

« La préfecture n’avait aucune demande de régularisation de la part de ce monsieur », répond Nathalie Gimonet. Problème, « il résulte enfin de  l’instruction qu’il [Saïd] a sollicité en vain la délivrance d’un titre de séjour auprès de la préfecture  de Mayotte », note l’ordonnance. « C’est tout le problème, comme rien n’est fait pour permettre aux personnes qui y ont droit d’obtenir un titre de séjour, celles-ci peuvent se retrouver au CRA et rapidement expulsées puisque nous ne pouvons absolument pas voir tout le monde», pointe le juriste qui y travaille. Un élément étayé par une autre ordonnance du tribunal administratif, datant de fin janvier et constatant « la quasi impossibilité pour un demandeur d’une admission au séjour d’obtenir un  rendez-vous dans un délai raisonnable ».

Heureusement, Saïd est parvenu depuis sa salle à prévenir une série d’acteurs qui s’est mise en branle pour l’en sortir. En saisissant notamment le juge des libertés et de la détention. Mais voilà une nouvelle embûche. Le passionné d’économie n’est pas présenté devant le magistrat. Une chance, finalement, car cela poussera ce dernier à ordonner sa libération, intervenue samedi en fin de journée. «  Un problème technique de visioconférence avec le tribunal », justifie la préfecture. Tout en assurant, par la voix de sa sous-préfète « être prête à rencontrer ces personnes pour mieux comprendre ce qui a pu se passer et l’améliorer ».

« Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi grave, que les règles soient à ce point ignorées je m’en suis sorti mais je sais maintenant que c’est seulement par chance, tout le monde n’y aura pas droit », résume de son côté Saïd. Libre, mais « déçu ».

Peut-être le juge administratif saura-t-il lui apporter réconfort, avec la perspective d’un meilleur avenir. Car « il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de suspendre les effets de la mesure  d’éloignement litigieuse et d’enjoindre au préfet de Mayotte de délivrer au requérant une  autorisation provisoire de séjour et d’instruire dans les meilleurs délais sa demande de titre afin qu’il puisse poursuivre ses études supérieures, notamment en métropole ». Saïd, c’est certain, préférera l’avion au bateau. 

*Le prénom a été modifié.

G.M.

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