Quoi de mieux que le film « Jusqu’à la garde » pour illustrer les propos de la bâtonnière Fatima Ousseni : « Face aux violences conjugales, nous, les avocats, nous sommes au cœur du dispositif, en accompagnant autant les victimes, les enfants que les auteurs ». Une triangulaire qui les amène souvent à travailler avec l’ACFAV, l’Association pour la Condition Féminine et l’Aide aux Victimes devenue ACFAV France Victimes 976 Mayotte, comme ce lundi, et qui a incité les avocats à diversifier les propos, « en s’adressant aux adultes de demain », nous confiait l’avocate. Ainsi, la salle de conférence du lycée de Mamoudzou Nord était archicomble de collégiens et de lycéens représentant l’ensemble du territoire, Kani Keli, Koungou, ou Pamandzi, « avec la bénédiction du recteur ».
L’objectif n’est donc plus uniquement de dénoncer, mais de tenir un discours « préventif et protecteur, les deux maitres mots de cette journée ». Et sur ce sujet, les élèves adoptent une certaine maturité. Beaucoup de filles prenaient la parole, « Cette violence, c’est parce que les hommes veulent avoir le dessus, ça peut être aussi mental, c’est inégalitaire dès le départ », « il faut être vigilante aussi au niveau du boulot, en tant que futures femmes, on est toutes concernées », mais des garçons aussi, « je voudrais signaler que des hommes se font frapper aussi », « la violence, c’est aussi de penser qu’une femme doit rester à la maison que pour préparer à manger, et râler quand c’est pas fait. Il y a les muscles, mais au début, sans une mère, on ne peut pas avoir un homme ! »
Un débat suscité par Maître Kassurati Mattoir, avocate au barreau de Mayotte, avant son intervention sur « La problématique juridique, judiciaire et sociétale des violences conjugales ».
« On devient vite l’ennemi public n°1 »
Sur le plan national, le premier ministre Édouard Philippe et la ministre Marlène Schiappa ont voulu marquer cette journée par la présentation des 40 propositions issues du Grenelle des violences conjugales. Elles introduisent la notion d’ « emprise » psychologique qui précède souvent « la violence physique », et crée une circonstance aggravante pour les auteurs de « harcèlement ayant conduit à un suicide ».
Des notions qui recouvraient aussi les champs d’intervention de Me Mattoir, « quand le partenaire suit son agression par des regrets, ‘je ne l’ai pas fait exprès’, il faut se convaincre que si, c’est intentionnel, ce n’est jamais un accident. » L’avocate interrogeait son jeune public, « est-ce un problème de couple ou de société ? » Là encore, les élèves ont bien perçu que la victime dans le couple avait besoin d’être protégée par la société, et Me Mattoir en donnait la raison : « A Mayotte notamment, on ne dénonce pas les conjoints par peur de les envoyer en prison. C’est mal perçu par la famille de l’auteur des violences, et on devient vite l’ennemi public numéro 1. De plus, viennent se greffer la peur d’assumer seule la charge de famille, et la peur du regard de la société. De ce fait, la société s’est organisée pour protéger la victime et l’épauler. »
Des hébergements sont disponibles à l’ACFAV, à Kavani, avec un numéro d’urgence, le 55.55, et une mise à l’abri rapide, « pour 3 à 21 jours, et quelque soit la situation administrative de la victime. » Le Téléphone Grand Danger doit être mis en place pour venir en aide au victime, c’est un des objectifs de l’ACFAV France Victimes 976 Mayotte.
Des protections rapides pour la victime et les enfants
Revoir quelques notions imprégnées dans beaucoup de familles, c’est aussi un des objectifs de l’avocate : « On peut encore entendre certaines grands-mères recommander de bien soigner son mari, de lui préparer de bons repas, ‘sinon il pourra t’envoyer une bonne claque’ ! On inculque aux filles une soumission totale dans le couple. Et quand il arrive que le mari soit violent, elles pensent qu’il faut patienter, que ça changera. Or, un homme violent ne changera qu’avec une prise en charge psychologique. Parfois, celles qui en meurent avaient déjà signalé des agressions. »
Au cours de l’année 2018, le service de l’ACFAV a réalisé 499 accueils de femmes victimes de violences, et 390 en 2019.
Des mesures existent donc, comme les ordonnance de protection, « elles peuvent être demandées par le procureur, et le juge des affaires familiales prend la décision en urgence pour mettre la victime à l’abri. Le conjoint violent peut-être obligé à quitter la maison et à payer une pension alimentaire, même quand il n’y a pas eu de mariage. » Des décisions qui prennent encore du temps, « le législateur travaille à le raccourcir à 3 jours. »
Quant aux enfants témoins des scènes de violence, difficile pour eux de dénoncer son papa ou sa maman, « vous pouvez ne pas être à l’origine de la procédure. Les assistantes sociales ou les Conseillers d’éducation peuvent recueillir votre témoignage et en informer le procureur. » L’objectif est de comprendre que de l’aide sera apportée aux deux parents, « la victime et l’auteur qui a besoin d’être soigné. »
La projection « Jusqu’à la garde » suivait cet échange. Il décrit un cas de divorce pour violences avec emprise du père sur l’ensemble de la famille, soit par violence, soit en amadouant, avec une contrainte grandissante sur le petit Julien 11 ans, qui ne parvient plus à gérer les moments de « garde » avec son père. Il commence par un huis clos remarquable avec la juge et les avocates.
Une projection que l’on doit au Conseil national des barreaux, dont la présidente Christiane Féral-Schuhl est venue à Mayotte le mois dernier. Une belle initiative.
Anne Perzo-Lafond