La moitié de la population de Mayotte a moins de 17 ans. Pourtant l’étude menée depuis 2016 ne concerne que les majeurs. Sachant qu’un trouble psychique sur deux commence avant 15 ans, ce travail auprès de la population alerte sur la santé mentale des mineurs de l’île, et doit alerter sur les politiques à mettre en place à leur égard aussi.
Les données de cette étude, rendue publique ce lundi, donnent froid dans le dos. Sur la méthodologie, 900 adultes représentatifs des différentes catégories de population (sexe, revenus, etc.) ont été interrogés pendant 45 minutes, en français ou en shimaoré. « L’enquête consistait à connaître l’état de santé mentale de la population mais aussi les représentations qu’elle s’en fait » explique le Dr Jean-Luc Roelandt, psychiatre à l’établissement public de santé mentale de Lille et directeur du centre coordinateur de l’OMS de Lille, qui a chapeauté l’étude.
« Il en ressort l’importance des troubles anxieux et dépressifs à Mayotte et la place des familles » résume le praticien. En chiffres, 35,6% des personnes interrogées présentent « au moins un trouble de santé mentale ». C’est notamment le cas de 45% des 18-29 ans. Plus de la moitié d’entre eux estiment que ce trouble les gêne dans leur quotidien.
Les troubles anxieux (24%) et les troubles de l’humeur (19%) sont majoritaires. Il est à noter une prévalence importante des troubles d’allure psychotiques (3,5%) et de ceux liés à l’alcool (3,5% aussi). « On a été étonnés de l’ampleur des problèmes d’alcool ici, du fait de la religion » note le psychiatre. En revanche l’alcool semble bien rester un sujet sensible. C’est le seul trouble pour lequel les Mahorais ne se confient pas à leurs proches, signe selon la psychiatre du CHM Elodie Beranger d’un « tabou fort, ce qui peut constituer un obstacle à l’accès aux soins ».
Pour les autres troubles, les Mahorais se disent assez enclins à se rapprocher de leur famille pour les soutenir (plus de la moitié), sont confiants envers la psychiatrie, mais sont aussi nombreux à se tourner vers les soins « religieux » ou « magico-religieux » (14% pour soigner les troubles de l’anxiété).
Mais d’une manière générale, le contexte culturel de Mayotte ouvre des voies de prise en charge innovantes, qui s’éloignent du tout-hôpital. « La culture mahoraise mêlant culture musulmane et animiste laisse une grande place à la tradition » estime ainsi Issa Issa Abdou, vice-président du CD en charge du médicosocial.
Ensuite, l’étude se penche sur la perception des « fous », « malades mentaux » et « dépressifs » qu’en a la population. Par rapport à la métropole et aux autres pays de la zone, Mayotte se distingue par son optimisme : c’est un des seuls territoires à croire majoritairement que ces troubles peuvent se guérir, et un des rares où la population est largement favorable à une prise en charge des malades à domicile auprès de leur famille. Néanmoins la perception de la maladie mentale reste selon l’étude stigmatisante à Mayotte. La plupart des sondés estiment qu’un « fou » ou un malade mental (les deux termes sont soumis à l’appréciation des sondés) est quelqu’un dont l’attitude anormale est visible et qui peut être dangereux. Beaucoup estiment en outre que les dépressifs sont davantage responsables de leur maladie et du comportement qui en découle que les « fous » et « malades mentaux ».
Cette étude apporte une multitude de données épidémiologiques qui doivent aider le CHM et les autorités à bâtir le plan territorial de santé mentale, en cours d’élaboration. Mais elle pose aussi des questions auxquelles il faudra désormais répondre. Les troubles psychotiques semblent plus présents à Mayotte (3,5%) qu’en métropole (2,4% des sondés). En outre, si le risque suicidaire (4% à Mayotte) reste plus faible qu’en métropole (10%), il semble être en hausse sur le territoire.
Surtout ce qui interroge, c’est la forte proportion de jeunes touchés par ces troubles variés. Les 45% qui ressortent pour les 18-29 ans posent la question de la santé mentale des mineurs. L’étude ne se penche pas sur ces derniers mais constate une hausse « exponentielle » des demandes de prise en charge en pédopsychiatrie. Et si aucune donnée scientifique ne l’atteste dans cette étude, la fragilité des jeunes adultes laisse supposer une exposition plus forte encore des enfants aux troubles psychiques. La précarité et la violence qui constituent le cadre de vie de beaucoup de ces enfants n’aident probablement pas, et il semble difficile d’imaginer un plan territorial de santé mentale qui ne prenne ces questions à bras-le-corps.
Y.D.