La ministre des Outre-mer Annick Girardin nous a fait don de son directeur de cabinet qui s’est muté à la fois en Délégué du gouvernement et en préfet, et a nommé une Délégation interministérielle dans un seul but : cibler les rattrapages d’investissement à Mayotte. Les 101 propositions du Collectif-Intersyndicale qui recoupent, avait-elle précisé, les axes issus des Assises des Outre-mer, sont une bonne base. Et des idées fusent d’ailleurs, on ne peut pas reprocher à l’île d’être en mal de projets.
Seulement, tout cela n’a pas été chiffré. « Nous avons adopté la méthode de la ministre, basée sur la confiance », avaient prudemment annoncé les leaders de la mobilisation.
Lors de la conférence de presse parisienne annonçant la délégation interministérielle ce 28 mars 2018, la ministre avait été interpellée par un journaliste sur la diminution de la participation de l’Etat à Mayotte au projet de loi de finances 2018 pour les Outre-mer. Il avait été présenté en septembre 2017, et nous avions alerté sur ce risque. Mayotte est en effet le seul département à subir une telle ampleur de désengagement : -7,1% en 2018, en comptant les charges de personnel des fonctionnaires de l’Etat, et -17,5% hors personnel, c’est à dire sur le développement pur.
Les projets sont là
Nous avons repris dans le détail le Document de Politique Transversale du Projet de loi de finances 2018 : la chute des autorisations d’engagements* de l’Etat se monte à 84 millions d’euros. Il touche notamment le secteur agricole, qui perd 4 millions d’euros. En crédit de paiement*, c’est logiquement la même tendance, avec une perte de 5%, se chiffrant à -60 millions d’euros.
Annick Girardin s’était défendue en avançant le déficit en projets du territoire. A cette réponse, trois objections.
Tout d’abord, l’accroissement des engagements de l’Etat en 2017, sous le ministère d’Ericka Bareigts (sans vouloir créer de polémiques stériles qui desservirait le territoire), avait été de 21% pour Mayotte, cela s’expliquait-il par un regain de projets ?
Ensuite, des propositions de développement, l’île en regorge, ne serait-ce que au sein des différentes Plateformes actuellement étudiées, ou les reprises d’existants, qui ont fait l’objet d’études et ne demandent qu’à accoucher, comme les a résumés l’élu Issihaka Abdillah. Un entrepreneur nous expliquait attendre une réponse des services du SGAR sur une demande d’étude pour son projet d’implantation de pontons pour des dessertes maritimes. A ce titre, les médias pourraient presque faire office de portes d’entrée tellement nous sommes sollicités sur des projets déposés mais restés sans réponse.
Commencer par remettre les pendules à l’heure
Enfin, l’eurodéputé Younous Omarjee s’était fait le messager d’un rapport d’experts commandé et remis à la Commission européenne, qui conclut à la nécessité d’investissements de prés de 2 milliards d’euros pour le rattrapage d’infrastructures et de services publics à Mayotte. A moins de cela, le territoire n’arriverait pas à répondre au défi des fonds européens, par manque de structuration. Un manque d’ingénierie notamment, pour laquelle Younous Omarjee avait d’ailleurs reçu l’approbation du gouvernement sur l’arrivée à Mayotte d’une assistance technique sur les fonds européens, dont on n’a toujours pas de nouvelles.
Nous avons donc deux montants, qui restent des chiffres plancher. Il faudrait en effet revenir a minima au niveau d’engagement de l’année dernière pour Mayotte, en réinjectant les 84 millions d’euros perdus. Et en rajoutant les 2 milliards diagnostiqués par la Commission européenne, pour pouvoir consommer les fonds. Ensuite ne manqueront pas de se greffer des projets de plus grande envergure, qui nous permettront d’obtenir, comme la Guadeloupe ou la Guyane, une augmentation des engagements qui avoisine les 4%.
Après tant de rencontres ces derniers jours, d’analyses, qui se mêlent à la certitude que « tout est urgent à Mayotte », comme l’a dit Annick Girardin lors de cette même conférence de presse, nulle doute que chacun se sera fait à l’idée qu’il ne s’agit pas de mendicité, mais d’investissement pour l’avenir.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
* Autorisation d’engagement : le plafond maximum d’engagement de dépenses de l’Etat sur une année
Crédit de paiement : le maximum de paiement que peut consentir l’Etat sur une année, au regard de ses engagements