Les dérives des collectivités sont régulièrement révélées par la Chambre régionale des Comptes. Dans un rapport qui mélange les gestions des agents de deux exécutifs successifs, nous allons tenter de regarder les deux côtés du verre, qui semble encore aux trois-quarts vide pour le conseil départemental. Qui ne se plaint pas de la maison aux briques roses sise à Mamoudzou ?
Tout d’abord, en dehors de l’absence d’inscription au budget de l’annulation par le premier ministre Manuel Valls du remboursement des 32,5 millions d’euros de trop perçu d’impôt en 2013, pas de grosses irrégularités, mais un laisser faire dans plusieurs domaines.
Alors que le nouvel organigramme était brandi comme un étendard de vertu par le président du Conseil départemental, on ne peut que constater qu’il n’a pas franchi le stade de la volonté initiale. Les mentalités évoluent peu dans une maison où les retours sur investissements électoraux sont toujours prégnants dans une gestion clientéliste des recrutements. C’est en tout cas ce qu’avait dénoncé l’intersyndicale du CD en 2016 qui reprochait des embauches de complaisance. « La matière grise agonise », avait-elle critiqué.
Le contrôle de la gestion du département de Mayotte a débuté le 14 décembre 2016, et porte sur les exercices 2012 et suivants. L’équipe actuelle a pris les manettes en mars 2015. Le document a fait l’objet d’un retour à mi-parcours en août 2017, et, fait déplorable, ni l’actuel ni l’ancien président n’ont répondu, laissant les observations définitives être arrêtées en l’état par la Chambre régionale des Comptes dans sa séance du 11 décembre 2017.
La situation financière du département demeure difficile, nous disent les magistrats de la Chambre régionale des Comptes : « Si certains postes de dépenses ont été volontairement limités, il n’a pas été mis en place une stratégie réelle de redressement des comptes ». Ils nuancent par un contexte jugé défavorable : Depuis la mise en place de la fiscalité de droit commun en 2014, le département ne perçoit plus les impôts sur le revenu et sur les sociétés. Et il doit partager avec les communes la fiscalité directe locale et l’octroi de mer. « L’augmentation des dotations versées par l’État ne compense pas en totalité la baisse des recettes issues de la fiscalité ».
Détournement des procédures de nomination
Mais face à cette situation compliquée, « le département a fait le choix d’augmenter les rémunérations et d’accorder davantage de subventions tant en fonctionnement qu’en investissement », critique la Chambre.
« Les charges de personnel de l’ordre de 127 millions d’euros en 2017 représentent un tiers des dépenses du département », c’est beaucoup. Gonflées notamment par les 40% d’indexation des salaires, la titularisation de « près de 700 agents contractuels en quatre ans », et, par le passage de 19 à 26 conseillers départementaux. Tout ce qui part en masse salariale le prive d’exercer ses compétences, « en particulier dans le domaine social », et de développer ses investissements.
Le principal reproche réside sur une gestion « magnégné* » des ressources humaines, pire même puisque la Chambre parle de « détournement des procédures de nomination des directeurs ». Par exemple, sur le poste de Directeur général adjoint (DGA) des ressources et des moyens, « deux candidats avaient un grade supérieur au grade de l’agent nommé » et « aucun candidat ne disposait d’un grade d’administrateur ou équivalent », idem pour le DGA chargé de l’aménagement et du développement durable, ou pour le DGA chargé du développement économique, de l’attractivité du territoire et de la formation. D’ailleurs, la Chambre déplore que « le département ne dispose pas de plan de formation ».
De plus, les directeurs dont les emplois étaient supprimés ont été basculés sur des postes de chargés de mission, et d’autres ont obtenus gain de cause au tribunal après avoir été écartés. Engrangeant des frais supplémentaires.
Bien que les « effectifs du département soient stables », ils sont, avec 3.219 agents en 2016, élevés, « les métiers et compétences ne correspondent pas au besoin du département. En découlent « de l’inoccupation et un absentéisme non justifié, et des agents ont continué à être rémunérés par le département plusieurs années après l’avoir quitté ».
Pas de suivi des absences
À la demande de directeurs, la direction des ressources humaines a pris neuf arrêtés en 2016 afin d’appliquer une retenue sur salaire à des agents pour des absences injustifiées. « Elle a adressé deux lettres de rappel en vue d’une décision d’abandon de poste. Aucune procédure de suivi des absences n’a été instaurée visant à transmettre l’information à la direction des ressources humaines. »
Sur les frais de mission, le compte rendu des magistrats est ambigu. Il évoque « un régime de frais de mission généreux en totale contradiction avec les textes réglementaires en vigueur. Celui des élus est le double des montants fixés par le décret ». Citant en exemple, « les frais de mission des élus ont été multipliés par 2,6 entre 2012 et 2014, exercice au cours duquel ils atteignent plus de 750.000 € », c’est à dire sous l’exécutif de Daniel Zaïdani, alors qu’« ils sont revenus en 2016 à un coût légèrement supérieur à celui de 2012 ». On en déduit donc, que depuis l’ère Soibahadine, les frais de mission ont été divisé par 2,6 et cela avec un nombre de conseillers passés de 19 à 26… les magistrats ne le mentionnent nulle part.
Sur les tickets de barge, idem, on ne sait pas si le tir a été redressé, « le département a acheté des tickets de barge pour piétons et véhicules au Service des transports maritimes à hauteur de 23.463 € en 2015. Ramené à une semaine de cinq jours ouvrés, la consommation moyenne de tickets piétons est de près de huit par jour, plus de trois par jour pour les véhicules en 2015 », l’année d’arrivée de la nouvelle équipe. Pourquoi ne pas faire un focus sur les années 2016 ou 2017 ?
Là encore, l’information reste partielle, on ne sait si le laxisme dénoncé a été rectifié ou non. On peut penser que non : « Le stock, géré auparavant par le service des finances, est désormais confié au service du garage qui dépend de la direction des moyens généraux. Aucun enregistrement des entrées et sorties des tickets n’est tenue ». La chambre invite le département à réaliser un suivi des tickets de barge.
La composition du parc de véhicules n’est pas exactement connue : « il comporterait entre 169 et 173 véhicules selon les différents états obtenus par la Chambre, 43 véhicules n’ont aucune consommation de carburant en 2016 »…. Plus de 50 agents sont affectés au garage. Un agent est responsable en moyenne de 3 véhicules, contre 28 véhicules en moyenne dans les autres collectivités.
De manière générale, des efforts ont été faits en 2016 et 2017, souligne le rapport : « La collectivité a limité en volume les missions à l’extérieur du département, soit une économie de 1,2 M€, les effectifs en contrats aidés ont été ramené au nombre fixé par convention avec l’État, ce qui a généré une économie de 1,6 M€ ».
Outre la prise en compte des manquements énumérés ci-dessus, la collectivité est invitée à mettre en place d’autres actions pour diminuer la masse salariale. Le non-remplacement des agents partant en retraite et un recrutement limité aux agents experts dans leur domaine, l’application de la réglementation en matière de rémunération, mais aussi de frais de mission et de déplacement, les avantages en nature, notamment une diminution de la prise en charge des tickets restaurant, etc. « Ces mesures permettraient une économie de 2M€ de charges de personnel. »
Signe d’un je-m’en-foutisme, le Conseil s’affiche toujours comme « général » en façade, lui qui se dit si fier d’être « départemental ».
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
* Non réglementaire