Notre œil de profane a du mal à toujours faire le distinguo entre le « d » et le « r » qui sépare la détention de la rétention : toits grillagés, barbelés à l’entrée, téléphones munis d’appareil photo confisqués et redonnés à la sortie… nous sommes dans un entre-deux d’illégalités, un entre-deux frontières au Centre de rétention administrative (CRA).
Aucun journaliste n’est apparemment en situation irrégulière sur le territoire car il a fallu attendre deux ans après l’inauguration de l’actuel CRA pour que caméras et blocs notes y fassent leurs entrées. « Une volonté du préfet », nous explique-t-on, qu’avait évoqué la ministre des Outre-mer lors de son passage à Mayotte.
C’est un bâtiment à la taille somme toute impressionnante pour ses 136 places, dont 72 hommes, 24 femmes et 40 places pour les familles. Tous les étrangers en situation irrégulière ne passent pas par le CRA, « ça n’est pas une obligation, certains sont directement renvoyés, d’autres passent par la case prison », explique le commandant Cyril Nadal, directeur adjoint de la PAF.
Kit d’hygiène
Ils sont amenés après des interpellations terrestres ou maritimes, et commencent par renseigner leur situation administrative, après être passés sous le portique détecteur et le magnétomètre. Contrairement aux prisonniers, ils peuvent conserver certains objets, souligne le commandant Isabelle Bettioui, « les téléphones uniquement s’ils ne font pas appareils photo, carnets ou stylos, argent, baladeur, produits hygiéniques, etc. »
Le dossier de reconduite est monté « avec le greffe en lien avec la préfecture et le parquet, en respect avec les règles du CESEDA*. » Des procédures qui connaissent parfois des couacs qui amènent des étrangers reconduits illégalement, ou des enfants rattachés arbitrairement devant le tribunal administratif. Maître Ghaem en sait quelque chose… Il faut dire que Mayotte détient le record de reconduites, « 20.000 l’année dernière, dont 18.000 sont passés par le CRA », rapporte Etienne Guillet, le directeur de cabinet du préfet.
Le bâtiment est clair, propre et comme neuf deux ans après, quelques matelas fortement noircis pourraient être changés. Chaud par contre, et la ventilation naturelle doit encore faire ses preuves, par un jour sans vent comme ce lundi.
Lors de la dernière phase d’admission, l’étranger se voit signifier ses droits à l’asile en shimaoré, en même temps qu’il reçoit son kit individuel d’hygiène, « des draps jetables, du savon, du dentifrice, du shampoing, et pour les enfants, des biberons, du lait et des couches. »
Médecin libérateur
En cas de nombreuses interpellations, le CRA peut bénéficier des ses « extensions », « les LRA, locaux pour Rétention administrative, avec 12 places dans notre zone d’attente, 30 en LRA gendarmerie, et une dizaine quai Ballou. Mais ils ne sont pas souvent utilisés ». Une pièce permet de mettre à l’écart un individu violent.
Une infirmerie est mise à disposition, « surtout de la ‘bobologie’, mais surtout, ils pensent qu’après avoir vu un médecin, ils vont être relâchés », explique l’infirmier du CHM. Le médecin assure une permanence de 14h à 17h, « mais toute urgence est prise en charge à n’importe quel moment. »
Quelques hommes placés attendent dans la cour grillagée. « Je suis arrivé hier, et je n’ai pas été reconduit car j’attends l’assistante sociale de Tama », nous explique l’un d’eux. Arrivé en 2000 à Mayotte, il y a été scolarisé, et a déjà été reconduit par le passé, « c’était dans l’ancien CRA, dans celui là, au moins, il y a des matelas pour dormir ».
Un téléphone permet de contacter un avocat, « mais la plupart du temps, ce sont les familles qui appellent, longuement parfois, et il faut recadrer tout ça, car chacun veut y avoir accès. » Ou posséder un téléphone dinosaure, sans appareil photo.
Des interpellations suscitées par les maires
Les plateaux repas de la société Panima sont déposés sur la table par le personnel de cuisine, « sans qu’il y ait un contact avec les retenus. »
Les numéros de téléphone des associations Mlézi (ex Tama) et Solidarité Mayotte sont affichés, « nous intervenons tous les matins pour rappeler notre mission et les situations de droit, particulièrement en ce qui concerne des mineurs éventuellement restés sur le territoire. Nous les mettons en garde sur leur éventuel isolement, et l’intérêt de demander un regroupement familial », explique l’assistante de Mlézi.
Dans la cour de la zone famille, des trottinettes et voiturettes égayent un peu les lieux. Aucun occupant par contre, « il y avait 76 personnes ce matin, 67 ont été éloignée par bateau vers les Comores, et 4 ont été libérées par décision préfectorale pour une étude de la situation administrative. Il ne reste que 5 personnes au CRA », explique le commandant Isabelle Bettioui, à qui on chuchote dans le creux de l’oreille qu’une arrivée est imminente, « 19 personnes à la suite d’interpellations terrestres. »
Elles peuvent être diligentées par la PAF elle-même, comme l’explique le commandant Jean-Marie Cavier, directeur de la PAF, « avec notre Groupe d’appui opérationnel, surnommé police basket pour leur rapidité d’intervention », ou à la suite d’évènements, « ou encore sur informations des maires ou du préfet, sous contrôle du procureur de la République ».
Les journalistes seront restés 2 heures au CRA, où la durée moyenne « de moins de 24h » est régulièrement critiquée par les associations de défense des droits de l’homme. « La réglementation parle de ‘ temps strictement nécessaire à la mesure d’éloignement », précise en conclusion le commandant Nadal.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
* CESEDA : Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile