De notre envoyé spécial à Paris. «Contrasté». C’est le terme employé unanimement jeudi dernier au Sénat pour qualifier le bilan de trois ans d’Europe à Mayotte. Lors du séminaire économique de l’océan Indien, Younous Omarjee, le député européen classé très à gauche, comme Thierry Galarme, le patron du Medef dans notre département, faisaient le même constat. Pour l’instant, l’histoire d’amour entre Bruxelles et Mamoudzou se résume surtout à des dossiers techniques qui ne se transforment jamais en réalisation concrète.
Thierry Galarme expliquait ainsi que sur les 148 millions d’euros prévus via le FEDER, 40 millions seulement sont programmés… Mais rien n’est encore arrivé. Pire encore, pour la recherche et l’innovation, 18 millions sont prévus mais seuls 544.000 euros ont été sollicités. Et actuellement, il faut 379 jours pour faire valider un dossier… Bref, ça ne marche pas bien du tout.
Martin Wittenberg, directeur à Bruxelles d’Euros/Agency racontait ce dossier monté avec la commune de Sada pour faciliter la réinsertion d’adultes en difficultés. Non seulement il a fallu plus de 10 mois que le dossier soit instruit, mais lorsque la convention est revenue, elle comportait tellement d’erreurs qu’elle a dû être renvoyée. Au final, plus d’un an a été nécessaire pour faire aboutir le dossier.
Des papiers et des papiers…
Dans l’océan Indien, les préoccupations de La Réunion concernent surtout les accords commerciaux avec des pays tiers qui favorisent le sucre étranger ou encore ces certificats phytosanitaires qui seront obligatoires à partir de 2019 pour exporter des fruits et des légumes de nos départements vers l’Union européenne.
Mais à Mayotte, on se focalise sur les sujets administratifs: D’un côté, une Europe un peu technocratique, de l’autre un service préfectoral qui a mis du temps à se mettre en place pour aider, mais aussi des cofinancement locaux parfois difficiles à trouver et enfin des porteurs de projets «qui doivent se remettre en cause et faire appel à des cabinets conseil» pour apprendre à boucler ces dossiers, de l’aveu même du patron du Medef…
Des Allemands bientôt à Mayotte
Pourtant, tout le monde s’accorde à dire que l’Europe peut aussi donner des raisons d’être optimiste.
«On se concentre beaucoup moins sur les fonds sectoriels à Mayotte alors qu’on a plus l’habitude de les utiliser à La Réunion. Il faut se faire à ses outils parce qu’il y a de belles opportunités», analysait Martin Wittenberg. Pour lui, Mayotte bénéficie aussi… de ses retards. «Comme il y a beaucoup moins d’antériorité dans les politiques publiques, Mayotte peut devenir un territoire test pour des programmes pilotes».
Figurez-vous, par exemple, que des Allemands et des Hollandais vont suivre très attentivement un programme de collecte sélective de déchets qui pourrait se mettre en place chez nous. «Ils vont venir voir comment ça fonctionne. C’est très intéressant de renverser les choses et de penser différemment». Mayotte peut aussi s’insérer dans des consortiums qui existent déjà pour devenir le partenaire français de projets montés par d’autres pays européens. «L’Europe ne pourra répondre à tous les besoins d’investissement de Mayotte, mais elle peut apporter énormément», conclut Martin Wittenberg.
Des budgets maintenus
L’autre raison d’être optimiste est que même si l’Europe connaît des turbulences, les budgets qui nous concernent ne sont pas affectés. Malgré le Brexit (10 milliards d’euros de budget en moins), malgré les nouvelles priorités que sont la sécurité, les migrants ou les frontières, les fonds des politiques régionales sont maintenus. Certes, il faudra batailler un peu plus pour obtenir des dérogations, mais il y a encore moyen d’espérer en l’Europe.
Le Medef aussi a trouvé des motifs pour positiver. «Il existe maintenant une équipe de 35 fonctionnaires à la préfecture pour faire sortir les dossiers», soulignait Thierry Galarme qui formulait plusieurs propositions pour améliorer le fonctionnement: aller vers un guichet unique, prolonger la délégation de gestion des fonds à la préfecture (au SGAR) et ne pas le transférer au département qui ne serait pas prêt, ouvrir les fonds européens aux filiales mahoraises de groupes nationaux qui, chez nous, sont des PME… et instaurer une zone franche, la mesure défendue quelles que soient les circonstances.
Mayotte et l’Europe ont déjà un vrai rendez-vous au cours duquel les Mahorais auront l’occasion d’échanger très directement avec les membres des institutions européennes à Bruxelles. Le 4e Forum des RUP est en effet prévu à la fin du mois de mars.
RR
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